André-Ernest-Modeste Grétry
Zémire et Azor
Comédie-Ballet en quatre actes
Libretto von Jean-François Marmontel
Uraufführung: 09.11.1771, Théâtre Royal, Schloß Fontainebleau
Acteurs
Azor, jeune prince persan, sous une forme effrayante, mais non pas hideuse: de noirs sourcils, une barbe touffue, une épaisse crinière, les bras et les jambes nus et couverts d’une peau, tigrée, mais le reste du corps vêtu d’une veste et d’un doliman avec une riche ceinture: dans l’attitude et dans l’action toute la noblesse possible
Zémire, jeune persane
Fatmé,
Lisbé, soeurs de Zémire
Sander, père de Zémire, de Fatmé et de Lisbé
Ali, esclave de Sander
La scène change d’un acte à l’autre, et représente tantôt le palais ou les jardins d’Azor, tantôt la maison de Sander.
Acte premier.
La théâtre représente un salon richement décoré à la manière orientale. Des vases de fleurs entre les croisées.
Scène première.
Sander, Ali.
SANDER.
Quelle étrange aventure! un palais éclairé,
Meublé, richement décoré,
Où je ne rencontre personne!
ALI, avec frayeur.
Monsieur, délogeons prudemment.
Il n’y fait pas bon: je soupçonne …
SANDER.
Quoi donc?
ALI.
Que tout ceci n’est qu’un enchantement.
SANDER.
Un enchantement, soit. Au milieu d’un orage,
La nuit, dans un bois ténébreux,
Nous sommes encor trop heureux
De trouver cet asile.
ALI.
Auriez-vous le courage
D’y passer la nuit?
SANDER.
Pourquoi non?
ALI.
Monsieur, prenez-y garde.
SANDER.
Bon!
Tu vois que, si quelqu’un dans ce palais habite,
Il nous y reçoit assez bien.
ALI.
Et si c’est un génie?
SANDER.
Eh bien?
ALI.
Croyez-moi, partons au plus vite.
Air.
L’orage va cesser.
Déjà les vents s’apaisent;
Les voilà qui se taisent;
Partons sans balancer.
Ce n’est plus rien, rien qu’un nuage,
Dont le ciel se dégage.
Cela ne peut durer;
Le temps va s’éclairer.
Vos filles vont passer
La nuit à vous attendre;
La frayeur va les prendre;
Pourquoi les délaisser?
Vous les aimez d’amour si tendre?
Pourquoi, pourquoi les délaisser?
L’orage va cesser, etc.
SANDER.
Que dis-tu? l’orage redouble.
ALI, à part.
Il a raison.
SANDER.
Comment retrouver mon chemin?
ALI.
Je vous mènerai par la main.
SANDER.
Nous sommes bien: passons ici la nuit sans trouble.
ALI.
Sans trouble!
SANDER.
Au point du jour nous partirons demain.
Air.
Le malheur me rend intrépide.
J’ai tout perdu; je ne crains rien.
Et pourquoi serais-je timide?
Pour moi la vie est-elle un bien?
Je suis tombé de l’opulence
Dans la misère et dans l’oubli.
Un vaisseau, ma seule espérance,
Dans les flots est enseveli.
Le malheur, etc.
ALI.
Oh! moi, qui n’eus jamais d’autre bien que la vie,
Je n’aime point à l’exposer.
SANDER.
Allons, laisse-moi reposer;
Et dors, si tu le peux.
ALI.
Je n’en ai nulle envie.
Dormir chez des esprits! et sans avoir soupé! …
Une table servie paraît au milieu du salon.
O ciel!
SANDER.
Qu’est-ce?
ALI.
Monsieur! une table servie!
SANDER.
Tu vois: de nos besoins quelqu’un s’est occupé.
ALI, tremblant.
Oui, quelqu’un!
SANDER.
Mets-toi là.
ALI.
Vous mangerez!
SANDER.
Sans doute.
Notre hôte est magnifique; il ne ménage rien.
ALI, en élevant la voix.
A ce seigneur-là rien ne coûte.
Plus bas.
Il faut que j’en dise du bien;
Car il est là qui nous écoute.
Ils se mettent à table.
SANDER.
Voilà des mets fort délicats.
ALI.
Ah! si je l’osais, quel repas!
SANDER.
Ose, crois-moi.
ALI.
Voyons.
SANDER.
Quoi! du vin!
ALI, avec joie.
Du vin!
SANDER.
Goûte.
ALI.
Pour celui-ci, je n’y tiens pas.
SANDER.
Ta main tremble?
ALI.
Ah! monsieur, cette liqueur vermeille
N’est peut-être qu’un poison lent.
Il boit.
Mais n’importe. Il est excellent;
Et dussé-je en mourir, j’en boirai ma bouteille.
SANDER.
Eh bien? comment te trouves-tu?
ALI.
De cet élixir la vertu
Petit à petit me soulage.
De fatigue et d’effroi j’étais presque abattu;
Mais je sens revenir ma force et mon courage.
Il boit.
Encore un petit coup. Ah! le charmant breuvage.
Air.
Les esprits, dont on nous fait peur,
Sont les meilleures gens du monde;
Voyez comme ici tout abonde.
Quel bon soupé! quelle liqueur!
Ah! quelle liqueur!
Les esprits, dont on nous fait peur,
Sont les meilleures gens du monde.
On n’en parle que par envie:
Moquons-nous de ces contes vains.
Pour moi, j’en ai l’âme ravie:
Je ne veux pas d’autres voisins.
Avec eux je passe ma vie,
S’ils ont toujours d’aussi bons vins.
Les esprits, etc.
SANDER.
Ali, pour le coup, est un homme:
Il ne craint rien.
ALI.
Oh! rien du tout
A présent je vais faire un somme.
Il se jette sur un siège.
SANDER.
Voyons quel temps il fait.
ALI, en s’endormant.
J’aurais dormi debout.
Duo.
SANDER.
Le temps est beau.
ALI.
J’en suis bien aise.
SANDER.
Ali!
ALI.
Je dors.
SANDER.
Il faut partir.
ALI.
Quand j’ai bien bu, ne vous déplaise,
Je veux dormir.
SANDER.
Il faut partir.
Tu dormiras plus à ton aise,
Quand nous serons rendus chez moi.
ALI.
On dort si bien sur une chaise!
On est ici comme chez soi.
SANDER.
Le jour se lève.
ALI.
Qu’il se couche.
SANDER.
Ali, sans toi je m’en irai.
ALI.
Partez sans moi: je vous suivrai.
SANDER.
Et si quelque bête farouche
Vient t’attaquer?
ALI.
Je n’ai pas peur.
SANDER.
Ce vin-là t’a donné du coeur.
ALI.
Ce bon via m’a donné du coeur.
SANDER.
Allons, ma famille m’attend.
Lève-toi, je l’ordonne; et partons à l’instant.
ALI.
Ah! laissez-m’en du moins prendre encore une dose.
Il boit.
SANDER.
Je veux, en quittant ce beau lieu.
Avoir de ce prodige un témoin qui dépose.
Ma petite Zémire, en me disant adieu,
Ne m’a demandé qu’une rose;
Je vais de ce rosier en cueillir une.
Il approche d’un rosier, qui est sur une console, et il en cueille une rose.
Scène II.
Azor, Sander, Ali.
AZOR.
Holà!
ALI, tremblant.
Ciel!
SANDER.
Que vois-je?
AZOR.
Que fais-tu là?
Et pourquoi me prendre mes roses?
SANDER.
Pardon. Je ne voyais aucun mal à cela;
Et libéral en toutes choses,
Je ne te croyais point jaloux de ces fleurs-là.
AZOR.
Téméraire, ingrat, je te donne
L’asile, un bon soupé, le meilleur vin que j’ai;
Et tu veux que je te pardonne
De me voler mes fleurs! Non, je serai vengé.
Tu vas mourir.
SANDER.
Tu peux disposer de ma vie:
Je ne la plains, ni ne défends
Des jours si peu dignes d’envie.
Je n’ai regret qu’à mes enfans.
AZOR.
De trois filles, dit-on, le destin t’a fait père?
SANDER.
Hélas! ce qui me désespère,
C’est de les laisser sans appui.
ALI.
Ah! vous auriez pitié de lui,
Si vous saviez combien ses trois filles sont belles.
SANDER.
Je viens d’Ormus. J’allais y savoir des nouvelles
D’un vaisseau, mon dernier espoir.
Mes filles croyant me revoir
Dans l’opulence, l’une d’elles,
A mon départ, me demanda
Des rubans, l’autre des dentelles;
Mais la plus jeune leur céda
Toutes ces riches bagatelles;
Et d’un air tendre et caressant,
Elle me dit, en m’embrassant:
»Je ne veux qu’une rose: elle me sera chère
Plus que le don le plus brillant;
Et je dirai, c’est à moi que mon père
Daignait penser en la cueillant.«
Air.
La pauvre enfant ne savait pas
Qu’elle demandait mon trépas.
Cachez-lui bien que cette rose
Est la cause
De mon malheur.
Ah! pour elle quelle douleur!
Sa tendresse
Qui me presse
De revenir dans ses bras,
Me rappelle ma promesse.
Ah! pauvre enfant, tu ne sais pas
Que tu demandes mon trépas.
AZOR.
J’ai l’âme assez compatissante
Pour me laisser fléchir. Mais il faut que, pour toi,
L’une de tes filles consente
A venir se donner à moi.
SANDER.
Moi! te livrer ma fille!
AZOR.
Il faut me le promettre,
Ou sur l’heure! …
ALI.
Il est le plus fort;
Et c’est à nous de nous soumettre.
SANDER.
Cruel, pour une fleur!
AZOR.
Et sais-tu si mon sort
Ne tient pas à ces fleurs, qu’un charme a fait éclore?
SANDER, à part.
Non, j’aime mieux mourir que d’exposer leurs jours.
Mais je veux les revoir, les embrasser encore.
AZOR.
Eh bien?
ALI, bas, à Sander.
Promettez-lui toujours.
SANDER.
Malgré le sort qui nous menace,
J’en donne ma parole, et je te la tiendrai:
Une d’elles prendra ma place,
Ou moi-même je reviendrai.
AZOR.
Voilà qui nous réconcilie.
Reprends cette fleur.
SANDER.
Moi!
AZOR.
Reprends-la, je le veux;
Et qu’elle soit pour tous les deux
Le garant mutuel de la foi qui nous lie.
Air.
Ne va pas me tromper.
Ne crois pas m’échapper.
Sur la terre et sur l’onde
Ma puissance s’étend;
Et jusqu’au bout du monde
Ma vengeance t’attend.
Compte sur mes largesses,
Si tu me satisfais;
Sois sûr que mes bienfaits
Passeront mes promesses,
Que pour toi mes richesses
Ne tariront jamais;
Mais!
Ne va pas me tromper, etc.
Choisis, ou ma colère, ou ma reconnaissance.
SANDER.
Je redoute moins ta puissance
Que je ne respecte ma foi.
AZOR.
Prends-y bien garde. Allons, suis-moi:
Je vais t’abréger le voyage;
Et dans l’instant même, un nuage
Va te porter d’ici chez toi.
ALI, tremblant.
Un nuage! Ah! permettez …..
AZOR.
Quoi?
ALI.
Que je m’en aille à pied.
AZOR.
Pourquoi donc?
ALI.
Mon usage
N’est pas d’aller sur un nuage.
AZOR.
Aimerais-tu mieux un dragon?
ALI, avec une frayeur plus vive.
Oh! non. Pour aller de la sorte,
Je n’ai pas la tête assez forte.
AZOR.
Eh bien! tu peux attendre ici ton maître.
ALI.
Non!
Le nuage d’abord m’a fait peur; mais n’importe:
Puisque mon maître y va, j’y puis aller aussi.
AZOR.
Viens donc.
ALI.
Si pourtant ….
AZOR.
Point de si.
ALI.
Allons, que le diable m’emporte,
Pourvu que ce soit loin d’ici.
Symphonie qui exprime le vol du nuage.
Le théâtre change, et représente l’intérieur de la maison de Sander.
Fin du Premier Acte.
Acte II.
Scène première.
Zémire, Fatmé, Lisbé, travaillant à la lumière d’une lampe.
Trio.
ENSEMBLE.
Veillons, mes soeurs, veillons encore.
La nuit
S’enfuit
Devant l’aurore.
ZÉMIRE.
Mes soeurs, voilà bientôt le jour.
Jour prospère,
Rends un père,
Rends un père à notre amour.
FATMÉ.
Il m’a promis des dentelles.
LISBÉ.
A moi des rubans nouveaux.
FATMÉ.
Les dentelles les plus belles.
LISBÉ.
Et les rubans les plus beaux.
ZÉMIRE.
Il m’a promis une rose.
C’est la fleur que je chéris.
FATMÉ ET LISBÉ.
Une rose? c’est peu de chose.
ZÉMIRE.
De sa main elle est sans prix.
ENSEMBLE.
Veillons, mes soeurs, etc.
Scène II.
Sander, Ali, Zémire, Fatmé et Lisbé.
LES TROIS SOEURS.
Ah! mon père!
SANDER.
Bonjour, mes enfans.
ZÉMIRE.
Quelle joie
Nous cause votre heureux retour!
FATMÉ.
Le ciel vous rend à notre amour.
SANDER.
Il permet que je vous revoie.
ALI, à part.
Me voilà. J’en suis étourdi.
Les vents sont un fier attelage,
Et je le donne au plus hardi.
ZÉMIRE, à Sander.
Avez-vous fait un bon voyage?
FATMÉ.
Revenez-vous bien riche?
SANDER.
Hélas! tout a péri.
LISBÉ ET FATMÉ.
Tout a péri!
SANDER.
Dans la misère
Nous voilà retombés.
ZÉMIRE.
Mon père,
Vous n’en serez que plus chéri.
SANDER.
À Fatmé et à Lisbé.
À Zémire.
Mes enfans, vous pleurez! et toi, tu me consoles!
ZÉMIRE.
Vous même, vous comptiez si peu
Sur des espérances frivoles!
Nous en avons encore assez, de votre aveu.
Pour être heureux il faut si peu de chose!
L’oiseau des bois comme nous est sans bien,
Le jour il chante, et la nuit il repose.
Il n’a qu’un nid, que lui manque-t-il? Rien.
J’ai vu souvent, dans la campagne,
Le pauvre et joyeux moissonneur
Folâtrer avec sa compagne,
Et chanter gaîment son bonheur.
Allons, mon père, allons, courage.
Leur exemple est pour nous une belle leçon!
Ali peut bien lui seul vaquer au labourage;
Et vous, mes soeurs, et moi, nous ferons la moisson.
N’est-il pas vrai, mes soeurs, qu’un père qui nous aime,
Nous tient lieu de richesse, et suffit à nos voeux?
LISBÉ.
Oui, ma soeur.
FATMÉ.
Hélas! oui.
ZÉMIRE.
Nous pensons tout de même;
Ne soyez donc plus malheureux.
SANDER.
La pauvre enfant! qu’elle est touchante!
Sa raison, sa bonté, sa tendresse m’enchante.
Je me suis souvenu de toi.
À Fatmé et à Lisbé.
Pour vous deux, je n’ai pu …. vous en savez la cause.
FATMÉ ET LISBÉ.
Vous êtes trop bon.
SANDER, aux mêmes.
Plaignez-moi.
Toi, Zémire, tu n’as demandé qu’une rose;
La voilà.
ZÉMIRE.
Vous me ravissez.
SANDER.
Bas.
Oui, qu’elle te soit chère. Elle me coûte assez.
ZÉMIRE.
Air.
Rose chérie,
Aimable fleur,
Viens sur mon coeur.
Qu’elle est fleurie!
Ah! quelle odeur!
Voyez ma soeur,
Qu’elle est fleurie!
Que ses parfums ont de douceur!
Rose chérie,
Aimable fleur,
Viens sur mon coeur
Puiser la vie.
Viens du moins mourir sur mon coeur.
SANDER.
Vous avez, mes enfans, veillé toute la nuit;
J’ai besoin de repos moi-même.
À part.
Venez, embrassez-moi. Ciel! où m’as-tu réduit!
Fatmé et Lisbé se retirent; Zémire reste, observant son père, qui se jette sur un siége, accablé de douleur.
Scène III.
Sander, Ali, Zémire,
ZÉMIRE, à part.
Comme il est affligé!
SANDER, l’apercevant.
Va-t’en.
ZÉMIRE.
Non, je vous aime
Plus que ma vie; et je ne puis ….
SANDER.
Va-t’en. Dans l’état où je suis ….
Laisse-moi.
ZÉMIRE.
D’où vient cette douleur extrême?
SANDER.
A part.
Haut.
Que lui dirai-je? Va, ce n’est rien.
ZÉMIRE.
Ce n’est rien!
Non, votre coeur ne peut se dérober au mien.
Avant que d’avoir l’espérance
Que ce vaisseau vous fût rendu,
Vous étiez consolé de le croire perdu.
Aujourd’hui, quelle différence!
Triste, abattu, découragé,
Mon père! en quel état vous êtes!
Dites-moi vos peines secrètes;
Et vous en serez soulagé.
Est-ce à votre pauvre petite,
Qui vous aime si tendrement,
Que ce coeur devrait un moment
Cacher le trouble qui l’agite?
SANDER.
Laisse-moi …. Je l’afflige; il faut la consoler.
Viens, embrasse ton père avant de t’en aller.
ZÉMIRE.
Mon père!
SANDER.
Allons, va-t’en. Va reposer, te dis-je.
Il sort.
ZÉMIRE, à part.
Non, je le suis. Je veux savoir ce qui l’afflige.
Son silence me fait trembler.
Scène IV.
ALI, seul.
Je crois rêver; je crois être en délire.
De ma frayeur je ne suis point remis.
Mon pauvre maître! il a promis;
Et le moyen de s’en dédire?
Voilà pourtant, sans y songer,
Ce que l’on gagne à voyager.
Air.
Plus de voyage qui me tente.
Je veux mourir vieux, si je puis.
Je ne serai plus qu’une plante;
Et je prends racine où je suis.
Passe encor pour aller sur terre:
C’est un plaisir quand il fait beau.
Passe encor pour aller sur l’eau,
Quoique je ne m’y plaise guère.
Mais, voyager sur les nuages;
Et voir là-bas, là-bas, là-bas,
La terre s’enfuir sous ses pas!
Cela dégoûte des voyages.
La tête tourne d’y penser.
Je ne veux plus recommencer.
Scène V.
Ali, Zémire.
ZÉMIRE.
Ali, mon cher Ali, dis-moi ce qu’a mon père.
Son silence me désespère.
Il mêle à ses embrassemens
Des soupirs, des gémissemens,
Qui remplissent mon coeur des plus vives alarmes.
ALI, à part.
Allons-nous-en.
ZÉMIRE.
Quoi! tu me fuis!
ALI.
Oh! moi, je ne sais pas résister à des larmes.
ZÉMIRE.
Cher Ali, prends pitié de l’état où je suis.
Daigne me confier les peines de ton maître.
Je les adoucirai peut-être;
Je les calmerai si je puis.
ALI, à part.
L’aimable enfant! quel dommage
D’être mangée à sou âge!
Il n’en ferait qu’un repas.
ZÉMIRE.
Que dis-tu là?
ALI, à part.
Non, je gage
Qu’il ne la mangerait pas.
Écoutez Il est sûr que, sans votre assistance,
Votre malheureux père est un homme perdu.
ZÉMIRE.
Mon père!
ALI.
Il m’a bien défendu.
De vous en faire confidence.
Mais il ne s’agit pas ici de reculer,
Ni de vous rien dissimuler.
Cette nuit dans un bois ….
SANDER, sans se montrer.
Ali!
ALI.
Je crois l’entendre.
Oui, c’est lui-même. Allez m’attendre.
ZÉMIRE.
Ah! tu m’en as trop dit pour ne pas achever.
ALI.
Allez. Je vais vous retrouver.
Scène VI.
Sander, Ali.
SANDER, à part.
Plus de repos pour moi. Le trouble qui me presse ….
À Ali.
Tu ne dors pas?
ALI, tristement.
Moi? non.
SANDER.
Et ces pauvres enfans?
ALI.
Elles reposent.
SANDER.
Leur tendresse
Me fait un mal! …. Je te défends,
Encore une fois, de leur dire
Où je vais, ni quel est le malheur qui m’attend.
ALI.
Quoi! vous allez! …
SANDER.
Ce soir.
ALI.
Cela presse-t-il tant?
SANDER.
Une table, je veux écrire.
Laisse-moi.
Scène VII.
SANDER, seul.
Je suis si troublé! …
Du poids de ma douleur je me sens accablé.
Récitatif Obligé.
Il écrit.
Je vais faire encore un voyage,
Bien long, peut-être! … O vous que je laisse au milieu
Des écueils de votre âge,
Veille sur vous le ciel! … Jouissez en ce lieu
Des douceurs d’une vie obscure, honnête et sage ….
Aimez-vous, aimez-moi. Je vous embrasse. Adieu.
Me voilà plus tranquille. Il faut que je dépose
Cette lettre en main sûre. Ali! … mais il repose.
Ce soir, avant que de partir,
Il suffira que je la laisse.
Je suis abattu de faiblesse;
Et je sens, malgré moi, mes yeux s’appesantir.
Il sort.
Scène VIII.
Zémire, Ali.
Duo.
ZÉMIRE.
Je veux le voir; je veux lui dire
Que c’est à moi de m’offrir au trépas.
ALI.
Ah! Zémire,
Parlez plus bas.
Il vous entend: parlez plus bas.
Que j’ai mal fait de vous le dire!
Voilà, voilà comme je suis:
Je veux me taire, et je ne puis.
ZÉMIRE.
Dieu! que pour moi mon père expire!
Non, je ne le souffrirai pas.
Je veux le voir; je veux lui dire,
Que c’est à moi de m’offrir au trépas.
ALI.
Ah! Zémire,
Parlez plus bas.
Il vous entend: parlez plus bas.
Il veut partir sans vous le dire.
ZÉMIRE.
Sans me le dire, il veut partir!
Non, non, je n’y puis consentir.
Je veux le voir;
C’est mon devoir.
ALI.
Vous l’allez voir
Au désespoir.
ZÉMIRE.
Eh bien! sois mon guide toi-même.
Vers ce palais conduis mes pas.
ALI.
Qui? moi! vous mener au trépas!
Trahir un père qui vous aime!
Non, non.
ZÉMIRE.
Cruel! ne vois-tu pas
Que je le dérobe au trépas?
Veux-tu le voir périr lui-même?
ALI.
Non, non, non, non, je n’irai pas.
A part.
Et je tremble aussi pour moi-même.
ZÉMIRE.
Cher Ali! mon père repose:
C’est le moment: conduis mes pas.
ALI.
A part.
Non, non, je n’ai garde; et pour cause.
ZÉMIRE.
De son malheur je suis la cause.
Je dois le sauver du trépas.
ALI.
Non, non, non, non, je n’irai pas.
ZÉMIRE.
Tu n’as jamais aimé ton maître.
ALI.
Je l’aime, hélas! il le sait bien.
ZÉMIRE.
Si tu l’aimes, fais-le connaître.
Le temps nous presse; vien.
ALI.
Non.
ZÉMIRE.
Vien.
ALI.
Je n’entends rien.
ZÉMIRE.
A tes genoux
Que j’embrasse …..
ALI.
Ah! de grâce!
Levez-vous.
À part.
Ma faiblesse va me prendre.
ZÉMIRE.
A mes pleurs il faut te rendre.
Si nous tardons, il est perdu.
ALI, à part.
Je m’attendris; je suis rendu.
Le théâtre change et représente le salon du palais d’Azor.
Fin du Second Acte.
Acte III.
Scène Première.
AZOR, seul.
Cruelle fée, abrége ou ma vie, ou ma peine.
Tu m’avais donné la beauté:
De ce don je fus trop flatté;
Mais, hélas! est-ce un crime à mériter ta haine?
Qu’exige de moi ta rigueur?
Sous ces traits tu veux que l’on m’aime;
Et le charme est détruit, si, malgré ma laideur,
Je puis toucher un jeune coeur;
Mais peux-tu l’espérer toi-même?
Pour commander aux élémens,
Tu m’as bien donné ta puissance;
Mais les coeurs ne sont pas sous ton obéissance:
L’amour est au-dessus de tes enchantemens.
Air.
Ah! quel tourment d’être sensible,
D’avoir un coeur fait pour l’amour,
Sans que jamais il soit possible
De se voir aimer à son tour!
Je porte avec moi l’épouvante,
Et je ne répands que l’effroi.
La beauté timide et tremblante
S’alarme et s’enfuit devant moi.
Ah! quel tourment, etc.
Ce bon père, à qui je commande
De me livrer sa fille, aura-t-il la rigueur
De m’obéir? Pour moi c’est un nouveau malheur,
S’il fait ce que je lui demande.
J’aimerai; mais puis-je à mon tour
Me faire aimer par la contrainte?
La haine obéit à la crainte;
L’amour n’obéit qu’à l’amour.
Que vois-je? une jeune personne
Qui s’avance vers ce palais.
Vivement.
Je reconnais son guide: oui, c’est lui. Si j’allais
Au-devant d’elle? Non ….. Je brûle et je frissonne.
Cachons-nous; tâchons de savoir
A quels plaisirs elle est sensible;
Et que son coeur, s’il est possible,
Se rassure avant de me voir.
Il sort.
Scène II.
Ali, Zémire.
ALI.
Vous voilà; je me sauve: adieu.
ZÉMIRE.
Quoi!
ALI, trouvant les portes fermées.
Misérable!
C’est fait de moi, tout est fermé.
ZÉMIRE.
Ali, je te vois alarmé!
ALI, à haute voix.
Allons, rendons-nous favorable
L’hôte charmant qui nous reçoit.
Avec plaisir chez lui sans doute il me revoit,
Puisqu’il a la bonté de vouloir que j’y reste.
Bas.
Pourquoi suis-je venu? complaisance funeste!
ZÉMIRE.
Il est donc bien hideux? bien effroyable?
ALI, à haute voix.
Non!
ZÉMIRE.
Tu me l’as dit.
ALI, de même.
Moi? Dieu m’en garde!
On le croirait d’abord; mais plus on le regarde …..
Il a l’air noble; il est bien fait, dans sa façon.
Je n’ai pas trop vu son visage;
Mais il est jeune, il est galant:
On a toujours assez de quoi plaire à son âge.
Du reste, il est riche, opulent;
Il aime le bon vin: c’est d’un heureux présage,
Car toujours un buveur a le coeur excellent.
Courage! allons, mademoiselle,
Vous l’apprivoiserez: vous êtes jeune et belle.
Tenez-vous droite en le voyant;
Faites-lui bien la révérence;
Et de le trouver effrayant
Gardez-vous d’avoir l’apparence:
Cela ne serait pas honnête. Il vous dira …..
Que sais-je? ce qui lui plaira.
Répondez-lui d’un air … là … d’un ton qui le touche:
Bas.
Car il est tant soit peu farouche.
Mais surtout soyez mon appui;
Et de me dévorer s’il avait quelque envie,
Dites-lui que j’aime la vie,
Et faites bien valoir ce que j’ai fait pour lui.
ZÉMIRE.
Sera-t-il long-temps invisible?
ALI.
Oh! non.
ZÉMIRE.
Dans son palais tout me semble paisible.
Vois ces livres, ce clavecin.
ALI.
Oui, de galanterie avec vous il se pique.
ZÉMIRE.
On dirait qu’il a su que j’aime la musique,
Et qu’il veut m’amuser.
ALI.
Vraiment! c’est son dessein.
ZÉMIRE.
Que vois-je? Ali, tiens, tu sais lire;
Vois: Appartement de Zémire.
C’est donc là qu’il veut me loger?
Ouvre.
ALI, avec frayeur.
Moi! c’est chez vous, madame; ouvrez vous-même.
ZÉMIRE, ouvrant.
Quel éclat! cher Ali, quelle richesse extrême!
ALI.
Il ne veut pas vous égorger.
Duo.
ZÉMIRE.
Rassure mon père;
Dis-lui qu’on n’a pas
Résolu mon trépas.
ALI, cherchant à s’échapper.
Oui, mais comment faire?
On arrête mes pas,
Ne le voyez-vous pas?
ZÉMIRE.
Console mon père;
Dis-lui que j’espère
Me revoir dans ses bras.
ALI.
Hélas! pour vous plaire
Je me vois dans ces lacs.
ZÉMIRE.
Si dans son asile
Je le sais tranquille,
Je suis sans effroi.
ALI.
Dans notre humble asile,
J’étais si tranquille!
J’étais sans effroi.
ZÉMIRE.
Je dis en moi-même:
Il respire, il m’aime;
C’est assez pour moi.
ALI.
Celui qui vous aime
Ne peut-il de même
Vous garder sans moi?
Que veut-il de moi?
Ne peut-il vous aimer sans moi?
ZÉMIRE.
C’est assez qu’il vive.
Qu’il oublie, hélas!
La pauvre captive,
La pauvre captive
Ne s’en plaindra pas.
ALI.
Soyez sa captive.
Pourvu que je vive,
Je ne m’en plains pas.
AZOR, sans se montrer.
Esclave, éloigne-toi. Laisse-la dans ces lieux.
ALI.
Ah! je ne demande pas mieux.
Les portes s’ouvrent, et il s’enfuit.
Scène III.
ZÉMIRE, seule.
Me voilà seule … allons. Il va venir. Qu’il vienne …
Le coeur me bat … Eh bien? quelle peur est la mienne?
Mon père n’est plus en danger:
Je ne crains plus que pour moi-même.
Le ciel protégera l’innocence qu’il aime.
J’ai rempli mon devoir; et mon sort peut changer.
Scène IV.
Zémire, Troupe de Génies.
Un trône de fleurs s’élève au milieu du salon; et les génies, en dansant, rendent hommage à Zémire.
ZÉMIRE.
Mais quelle cour brillante autour de moi s’empresse?
Est-ce à moi que cela s’adresse?
Sur ce trône de fleurs voudrait-on m’élever!
En vérité, je crois rêver.
Scène V.
Zémire, Azor.
ZÉMIRE, tombant évanouie dans les bras des fées.
O ciel!
AZOR.
De ma laideur, effet inévitable!
Zémire! ah! revenez de ce mortel effroi.
Je parais à vos yeux un monstre épouvantable:
D’un pouvoir ennemi telle est l’injuste loi;
Mais, hélas! sous ces traits, s’il vous était possible
De lire dans mon coeur, il est tendre et sensible.
Ne me regardez pas, Zémire; écoutez-moi.
Il fait signe aux génies et aux fées de s’éloigner.
ZÉMIRE.
Tous mes sens sont glacés, à peine je respire.
AZOR, à ses genoux.
Et quelle frayeur vous inspire
Le déplorable Azor, tremblant à vos genoux?
ZÉMIRE, le regardant.
Ah!.. je me meurs. Éloignez-vous,
Si vous ne voulez que j’expire.
AZOR, se relevant.
Vivez. C’est à moi d’expirer,
Si vous refusez de m’entendre.
ZÉMIRE, à part.
Comme il a l’air craintif! quelle voix douce et tendre!
D’un air timide.
N’allez-vous pas me dévorer?
AZOR.
Qui? moi! je veux passer ma vie
A vous plaire, à vous adorer.
Do vous faire aucun mal je n’eus jamais l’envie.
ZÉMIRE, se levant.
Je commence à me rassurer.
AZOR.
Air.
Du moment qu’on aime,
L’on devient si doux!
Et je suis moi-même
Plus tremblant que vous.
Eh quoi! vous craignez
L’esclave timide
Sur qui vous régnez!
N’ayez plus de peur:
La haine homicide
Est loin de mon coeur.
Du moment, etc.
ZÉMIRE, à part.
Je ne puis revenir de mon étonnement.
Quelle figure horrible! et quel charmant langage!
Non, cette voix-là sûrement
N’annonce pas un coeur sauvage;
Et sa laideur sans doute est un enchantement.
AZOR.
Je suis donc bien épouvantable?
ZÉMIRE.
Mais … vous n’êtes pas beau.
AZOR.
Vous me haïssez?
ZÉMIRE.
Non:
Quand on n’est pas méchant, on n’est pas haïssable.
AZOR.
Et si j’ai sous ces traits un coeur sensible et bon?
ZÉMIRE.
Je vous plaindrai.
AZOR.
Zémire, il est trop véritable.
Plaignez-moi: l’on ne peut avoir
Sous des traits plus hideux un naturel plus tendre.
ZÉMIRE.
Hélas! j’oublie à vous entendre
La peur que j’avais à vous voir.
AZOR.
Oui, Zémire, vous êtes reine
De ce palais et de mon coeur.
Parlez, commandez en vainqueur.
Ici tout reconnaît votre loi souveraine.
Ici mille innocens plaisirs
Charmeront votre solitude.
Vous avez des talens, et vous aimez l’étude;
Voilà de quoi sans cesse occuper vos loisirs.
Les beaux-arts, la riche nature,
Des jardins émaillés des plus vives couleurs,
Les oiseaux, les fleurs.
ZÉMIRE.
Ah! les fleurs!
AZOR.
Vous en aimerez la culture.
Si quelquefois, par grâce, à vos amusemens,
Vous daignez consentir que l’amitié se joigne,
Vous lui ferez passer de bienheureux momens!
Si vous voulez qu’elle s’éloigne,
Je m’en refuserai les tendres mouvemens.
ZÉMIRE.
Mais mon père? mes soeurs?
AZOR, vivement.
Je suis riche; et j’espère,
A force de bienfaits, consoler votre père.
Qu’il forme des souhaits, je les accomplirai:
Je doterai vos soeurs, je les établirai.
Ils ont perdu leurs biens; je les en dédommage;
Et ceux dont je les comblerai
Seront encore un faible hommage,
Trop peu digne de celle à qui je le rendrai.
ZÉMIRE.
Mais … vous m’attendrissez on ne peut davantage.
AZOR.
Ah! Zémire!
ZÉMIRE.
A vous voir j’accoutume mes yeux.
AZOR.
Eh bien! commencez donc à vous plaire en ces lieux.
Vous chantez, je le sais, vous chantez à merveille.
En parlant, votre voix touche, émeut tous mes sens;
Ah! quel charme pour mon oreille
D’entendre éclater vos accens!
ZÉMIRE.
Si vous désirez que je chante,
Je chanterai.
AZOR.
Quelle bonté touchante!
ZÉMIRE.
Air.
La fauvette, avec ses petits,
Se croit la reine du bocage:
De leur réveil, par son ramage,
Tous les échos sont avertis.
Sa naissante famille
Autour d’elle sautille,
Voltige et prend l’essor;
Rassemblés sous son aile,
De leur amour pour elle
Son coeur jouit encor.
Mais par malheur
Vient l’oiseleur
Qui lui ravit son espérance.
La pauvre mère! elle ne pense
Qu’à son malheur.
Tout retentit de sa douleur.
AZOR.
Vos chants pour moi sont une plainte;
Hélas! je ne puis réussir
A calmer les regrets dont votre âme est atteinte,
Ne puis-je au moins les adoucir?
ZÉMIRE.
Vous le pouvez.
AZOR.
Comment? parlez: que faut-il faire?
ZÉMIRE.
Me laisser voir encor et mes soeurs et mon père.
AZOR.
Autant que je le puis, je vais vous obéir;
Et vous m’en punirez peut-être.
Dans un tableau magique ils vont ici paraître;
Mais, si vous approchez, tout va s’évanouir.
Scène VI.
Azor, Zémire, sur le théâtre; Sander, Fatmé, Lisbé, dans le tableau.
ZÉMIRE.
Ah! mon père! ah! mes soeurs! … hélas! comme il est triste!
Il pleure. Sa douleur résiste.
Au soin que leur amour prend de le consoler.
Il me cherche des yeux. Il semble me parler.
Ses bras vers moi semblent s’étendre.
Ah! si je pouvais y voler!
Si du moins il pouvait m’entendre!
AZOR.
Cela n’est pas possible.
ZÉMIRE.
Et moi, ne puis-je pas
L’entendre lui-même?
AZOR.
Ah! Zémire!
Que me demandez-vous?
ZÉMIRE.
A ce que je désire
Vous vous refusez.
AZOR.
Non. Mais je suis sûr, hélas!
Qu’en vous obéissant je me trahis moi-même.
Leurs plaintes vont me rendre odieux, je le vois;
Mais vous le voulez: je vous aime;
Vous allez entendre leur voix.
Trio, en sourdine.
SANDER.
Ah! laissez-moi, laissez-moi la pleurer;
A mes regrets laissez-moi me livrer.
FATMÉ ET LISBÉ.
Mon père, hélas! cessez de la pleurer;
A vos regrets cessez de vous livrer.
SANDER.
Qui m’aimera jamais comme elle?
LISBÉ.
Ce sera moi.
FATMÉ.
Ce sera moi.
SANDER.
Qui me rendra ce tendre zèle?
LISBÉ.
Ce sera moi.
FATMÉ.
Ce sera moi.
Croyez la voir.
SANDER.
Oui, je la voi.
Je crois l’entendre qui m’appelle.
FATMÉ ET LISBÉ.
Nous vous aimons.
SANDER.
Je le sais bien.
Mais ma Zémire!
Ah, ma Zémire,
Reviens, revien!
Sans toi j’expire.
Reviens, revien!
FATMÉ ET LISBÉ.
Sans toi, Zémire,
Ton père expire!
Reviens, revien!
ZÉMIRE, se précipitant vers le tableau.
Ah! mon père!
Tout disparaît.
Scène VII.
Zémire, Azor.
ZÉMIRE, à Azor.
Ah! cruel!
AZOR.
Je vous l’avais prédit:
Vous-même avez détruit le charme.
ZÉMIRE.
L’état de mon père m’alarme.
Laissez-moi l’aller voir.
AZOR.
Qu’ai-je fait.
ZÉMIRE.
Il languit,
Il s’afflige, il se désespère.
Ah! laissez-vous toucher par les larmes d’un père.
AZOR.
Non, cessez, Zémire, cessez.
Je vous aime; et je meurs si vous m’êtes ravie.
ZÉMIRE.
Pour rassurer mon père et lui rendre la vie,
Une heure, un moment, c’est assez.
AZOR.
Ah! quel est sur moi votre empire!
Allez, allez le voir, ce père tant aimé:
Rassurez son coeur alarmé:
Dites-lui que pour vous, que par vous je respire;
Que je vous suis soumis, que vous m’avez charmé.
Mais, Zémire, je vous conjure
De revenir.
ZÉMIRE.
Je vous le jure.
AZOR.
Regardez le soleil près d’achever son tour,
Si je le vois coucher avant votre retour,
Dès ce moment je désespère,
Je finis mon malheureux sort;
Et vous direz à votre père:
»Il n’est plus, j’ai causé sa mort.«
ZÉMIRE.
Moi! causer votre mort! j’en serais bien fâchée.
Non; vous avez tant de bonté,
Et mon âme en est si touchée,
À part.
Que pour vous …. Ah! le sort lui devait la beauté.
AZOR.
Il dépendra de vous d’en réparer l’injure.
Je vous remets ma vie et ma félicité.
Allez. Si vous êtes parjure,
Je ne punirai point votre infidélité.
Cet anneau vous rend libre. En le portant, Zémire,
Vous n’êtes plus en mon pouvoir;
Et je vous le confie.
ZÉMIRE.
O bonté que j’admire!
AZOR.
Mais si vous voulez me revoir,
Quittez-le; et dans l’instant vous me serez rendue.
ZÉMIRE.
Cette confiance m’est due;
Et j’en mériterai ce gage, en le quittant.
AZOR.
Adieu. N’oubliez pas celui qui vous attend.
Le théâtre change et représente la maison de Sander.
Fin du Troisième Acte.
Acte IV.
Scène première.
Sander, Ali.
SANDER, assis et appuyé tristement sur une table.
Quel malheur est le mien!
ALI, effrayé.
Ah! monsieur!
SANDER.
Qu’est-ce encore?
ALI.
Dans l’air ….
SANDER.
Eh bien! dans l’air?
ALI.
J’ai vu ….
SANDER.
Quoi?
ALI.
Je l’ignore.
Air.
J’en suis encor tremblant
C’est comme un char volant,
Ou bien c’est un nuage.
Non, c’est un char brûlant,
Volant sur un nuage.
Je l’ai bien vu; j’en suis transi;
J’ai peur qu’il ne descende ici.
A l’équipage
Sont attelés
Deux beaux serpens ailés.
De leurs gueules béantes
N’ai-je pas vu les dents?
Leurs prunelles brûlantes
Sont deux charbons ardens.
J’en suis encor tremblant.
C’est comme un char volant,
Ou bien c’est un nuage.
Non, c’est un char brûlant,
Volant sur un nuage;
Ou bien peut-être ce n’est rien.
Quand on a peur, on n’y voit pas si bien.
SANDER.
Et que me fait à moi ce char ou ce nuage?
ALI.
Oh! rien. Mais c’est encor là
Quelqu’un de ces messieurs-là
Qui, pour son plaisir, voyage.
Scène II.
Zémire, Fatmé, Lisbé, Sander, Ali.
FATMÉ ET LISBÉ.
Voilà ma soeur.
ZÉMIRE.
Mon père!
SANDER.
Ah! ma fille, est-ce toi?
Est-ce bien toi que je revoi?
ZÉMIRE.
C’est Azor, c’est lui qui m’envoie.
Il permet que je vous revoie:
Il n’a pu me le refuser.
Je n’ai qu’un moment; je l’emploie,
Mon père, à vous désabuser.
Cessez de gémir et de craindre:
Avec lui je suis moins à plaindre,
Oui, bien moins que vous ne croyez.
Il a pour moi, vous le voyez,
Les soins les plus touchans, l’amitié la plus tendre.
Il se prive de moi: c’est un pénible effort!
Et je sais tous les maux qu’il éprouve à m’attendre.
SANDER.
Quoi!
ZÉMIRE.
Si je différais, je causerais sa mort.
Ne vous affligez plus, mon père, sur mon sort.
Je suis heureuse. Adieu.
SANDER, vivement.
Ciel! que viens-je d’entendre?
Ma fille, tu veux me quitter!
ZÉMIRE.
J’ai promis; il m’attend; et je dois m’acquitter.
SANDER.
Cruelle enfant, tu veux abandonner ton père!
Tu ne sais pas les maux que tu m’as fait souffrir.
ZÉMIRE.
Pour vous sauver j’ai dû m’offrir;
Mais, au lieu d’un maître sévère,
Je trouve un ami généreux.
Non, il n’est pas méchant; il n’est que malheureux.
SANDER.
Tu le plains!
ZÉMIRE.
Hélas! il me semble
Qu’il n’était pas né ce qu’il est.
Tenez, quand nous sommes ensemble,
On dirait que c’est lui qui tremble;
Qu’il est perdu s’il me déplaît.
SANDER.
Doux et timide en apparence,
Dans le piége il veut l’engager;
Et tu n’en vois pas le danger.
ZÉMIRE.
Non, mon père; j’ai l’assurance
Qu’il me chérit de bonne foi.
SANDER.
Ma fille, je sais mieux que toi
Quelle est sa coupable espérance.
ZÉMIRE.
Il veut vous combler de bienfaits.
SANDER.
Qu’il garde ses biens que je hais,
Et qu’il n’attende rien de ma reconnaissance.
Mes biens à moi sont mes enfans.
Rien au prix de leur innocence.
ZÉMIRE.
Vous l’outragez, mon père.
SANDER.
Et toi, tu le défends!
Quel sentiment pour lui dans ton âme s’élève?
ZÉMIRE.
La pitié.
SANDER.
Malheureuse! achève.
Par ses enchantemens il t’aura su toucher.
Il t’intéresse!
ZÉMIRE.
Eh oui! mon père, il m’intéresse.
SANDER.
Il aura surpris ta tendresse.
ZÉMIRE.
Oui, son sort m’attendrit: je ne puis le cacher.
SANDER.
Quoi! ce monstre?
ZÉMIRE.
Daignez m’entendre, et soyez juge.
Seule, sans appui, sans refuge,
Il me tenait en son pouvoir.
J’ai desiré de vous revoir;
Il l’a permis: c’est peu: vous allez voir s’il m’aime.
Il me rend libre; il veut lui-même
Que de moi seule ici dépende mon destin.
Il mourra si je l’abandonne;
Et j’en ai le pouvoir; c’est lui qui me le donne.
En voilà le gage certain.
Elle lui montre l’anneau.
SANDER.
Cet anneau?
ZÉMIRE.
Cet anneau me rend indépendante.
SANDER.
Du pouvoir du génie?
ZÉMIRE.
Et de sa volonté.
SANDER.
Je respire. Ah! ma fille!
ZÉMIRE.
Est-ce de sa bonté
Une preuve assez éclatante?
SANDER.
Ce n’est donc que moi désormais
Que peut menacer sa colère?
Garde-toi de quitter cet anneau.
ZÉMIRE.
Quoi! mon père,
Vous voulez! ….
SANDER.
Garde-toi da le quitter jamais.
ZÉMIRE.
Et celui qui m’attend, ce malheureux qui m’aime,
Je l’aurai donc trahi! j’aurai fait son malheur!
Ah! plutôt laissez-moi devoir tout à lui-même.
S’il est sincère et bon, j’attends tout de son coeur.
S’il est méchant, s’il a pu feindre,
Et s’il a voulu m’éprouver,
Pour vous, en l’offensant, que n’ai-je pas à craindre,
Mon père? et de vos bras s’il venait m’enlever!
SANDER.
Qu’il vienne.
ZÉMIRE.
Laissez-moi, laissez-moi vous sauver.
Quatuor.
ZÉMIRE.
Ah! je tremble. Quelles armes
Opposer à son pouvoir?
SANDER.
Mes pleurs, mes cris, sont les armes
Que j’oppose à son pouvoir.
ZÉMIRE.
Non, vous n’avez plus d’espoir,
Plus d’espoir que dans mes larmes.
SANDER.
La nature au désespoir
S’expose à tout sans alarmes.
ZÉMIRE.
Ah! je tremble. Quelles armes
Opposer à son pouvoir?
SANDER.
Mes pleurs, mes cris, sont les armes
Que j’oppose à son pouvoir.
ZÉMIRE.
Ah! mon père!
SANDER.
Je suis père.
ZÉMIRE.
Si jamais je vous fus chère,
Laissez-moi fuir ce séjour.
FATMÉ ET LISBÉ.
Que ne puis-je à sa colère
Aller m’offrir à mon tour!
SANDER.
Non, ma fille m’est plus chère
Que la lumière du jour.
ZÉMIRE.
Lui-même en ces lieux peut-être
Va paraître.
Ah! laissez-moi.
SANDER.
Qu’il paraisse.
Ma tendresse
Ne me laisse
Aucun effroi.
ZÉMIRE.
Ma craintive obéissance
Peut désarmer sa rigueur.
La jeunesse et l’innocence
Ont bien des droits sur un coeur.
FATMÉ ET LISBÉ.
La craintive obéissance, etc.
SANDER.
J’obtiendrai par ma constance,
Qu’il te rende à ma douleur;
Et, si ma douleur l’offense,
Qu’il me déchire le coeur.
ZÉMIRE.
Ah! je tremble. Quelles armes
Opposer à son pouvoir, etc.
FATMÉ ET LISBÉ.
Ah! je tremble, etc.
SANDER.
Mes pleurs, mes cris, sont les armes
Que j’oppose à son pouvoir, etc.
ZÉMIRE, jetant l’anneau.
Mes soeurs, consolez notre père.
Elle disparaît.
SANDER.
Ma fille! elle échappe à mes yeux!
FATMÉ ET LISBÉ.
Mon père!
SANDER.
Laissez-moi. Le jour m’est odieux.
Te veux sur moi du monstre attirer la colère.
Le théâtre change, et représente une partie des jardins d’Azor. C’est un endroit sauvage, où est une grotte.
Scène III.
AZOR, seul.
Récitatif obligé.
Le soleil s’est caché dans l’onde;
Et Zémire ne revient pas!
J’ai tout perdu! Que fais-je au monde?
Zémire m’abandonne; elle veut mon trépas.
Air.
Toi, Zémire, que j’adore
Tu m’as donc manqué de foi!
Et pourquoi vivrais-je encore?
Je n’inspire que l’effroi.
Le jour est affreux pour moi.
Ah! dans ma douleur extrême,
Si je voulais me venger! ….
Qui? moi! punir ce que j’aime!
C’est un crime d’y songer.
Mon sort s’accomplit. Je succombe.
Cette grotte sera ma tombe.
C’est trop souffrir;
Il faut mourir.
Il tombe dans la grotte.
Scène IV.
ZÉMIRE, seule.
Azor! en vain ma voix t’appelle.
L’écho des bois
Répond seul à ma voix.
Revois Zémire. Elle est fidèle.
Elle consent à vivre sous tes lois.
Azor! en vain ma voix l’appelle, etc.
Hélas! plus que moi-même,
Je sens que je t’aimais;
Et dans ce moment même,
Plus que jamais,
Je t’aime, Azor, je t’aime …..
Le théâtre change, et représente un palais enchanté. Azor y paraît sur un trône dans tout l’éclat de sa beauté.
Scène V.
Zémire, Azor, troupe de génies autour du trône ou Azor est assis.
AZOR, s’élançant du trône.
Zémire.
ZÉMIRE.
Azor! …. ô ciel! où suis-je?
AZOR.
Aux voeux d’Azor
Le ciel vous rend plus belle encor.
ZÉMIRE.
Qui? vous, Azor! est-il croyable!
AZOR.
Oui, je suis ce monstre effroyable,
Que, malgré sa laideur, vous n’avez point haï.
Mais vous rompez le charme: il est évanoui.
C’est vous qui me rendez à mon peuple, à moi-même:
Le trône où je remonte est un de vos bienfaits.
Venez y prendre place; et que le diadème
Soit pour vous le moins cher des dons que je vous fais.
ZÉMIRE.
Quel bonheur! quel prodige! et c’est moi qui l’opère!
AZOR.
Par vous la fée, en sa colère,
Se laisse à la fin désarmer.
ZÉMIRE.
Ah! que je vous ai plaint!
AZOR.
Sa rigueur trop sévère
M’avait laissé, Zémire, un coeur pour vous aimer.
ZÉMIRE.
Et c’était assez pour me plaire.
Achevez. Rendez-moi mon père.
AZOR.
Vous l’allez voir.
ZÉMIRE.
Je vais le voir!
AZOR.
Vous allez être en son pouvoir.
Scène VI.
Zémire, Azor; La fée, ramenant Sander; Fatmé, Lisbé, et Ali.
LA FÉE, dans un nuage.
Père vertueux et sensible,
Revois ta fille.
ZÉMIRE, se jetant dans les bras de son père.
Ah!
AZOR, à Sander.
Tu me vois,
Comme elle, soumis à tes lois.
ZÉMIRE, à son père.
C’est Azor.
SANDER.
Je sais tout.
ZÉMIRE.
Serez-vous inflexible?
AZOR.
Pardonne, hélas! sois généreux,
Et plus heureux, s’il est possible,
Que lu n’as été malheureux.
ZÉMIRE, suppliante.
Mon père!
AZOR.
Oui, de toi-même il faut que je l’obtienne.
Ta fille t’est rendue; et de ta volonté
Dépendra ma félicité;
Je n’ose dire encor, la sienne.
SANDER.
Ah! faites son bonheur; et, quoi qu’il m’ait coûté,
Croyez-vous que je m’en souvienne?
Scène VII.
La fée, sa cour, Zémire, Azor, Sander, Fatmé, Lisbé, et Ali.
LA FÉE.
Azor, tu vois que la bonté
A tous les droits de la beauté.
Sur les coeurs étends son empire;
Et que sous ma loi
Tout ce qui respire
Adore Zémire,
L’adore avec toi.
La cour de la fée célèbre l’hymen d’Azor et de Zémire.
Le ballet commence.
Duo.
ZÉMIRE ET AZOR.
Amour! amour! quand ta rigueur
Met à l’épreuve un jeune coeur,
A quelles peines tu l’exposes!
Qui mieux que moi saura jamais
Quels sont les maux que tu nous causes
Quels sont les biens que tu nous fais?
Le ballet termine le spectacle.
Fin du Quatrième et dernier Acte.