Georges Bizet

Les Pêcheurs de perles

Die Perlenfischer

Oper 3 Akte, 4 tableaux

Libretto:

Michel Florentin Carré und Eugène Cormon [Pierre-Étienne Piestre]

Uraufführung:

30. Sept. 1863 Paris, Théâtre-Lyrique

Leila (eine Brahma-Priesterin) – Sopran
Nadir (ein Jäger) – Tenor
Zurga (König der Fischer, sein Freund) – Bariton
Nurabad (Oberpriester) – Baß
Priester, Perlenfischer und Stammesälteste, Frauen und Kinder, Volk
Auf der Insel Ceylon, Altertum

ACTE I
Une plage aride et sauvage de l’île de Ceylan, quelques huttes en bambous; palmiers; au loin, ruines d’une ancienne pagode indoue et la mer éclairée par un soleil ardent. Des pêcheurs achèvent de dresser leurs tentes pendant que des autres dansent et boivent aux sons des instruments indous.

CHOUR
Sur la grève en feu
Où dort le flot bleu,
Nous dressons nos tentes!
Dansez jusqu’au soir,
Filles à l’oil noir,
Aux tresses flottantes!
Chassez, chassez par vos chants,
Chassez, chassez les esprits méchants!

Voilà notre domaine!
C’est ici que le sort
Tous les ans nous ramène,
Prêts à braver la mort!
Sous la vague profonde,
Plongeurs audacieux
À nous la perle blonde
Cachée a tous les yeux!

Sur la grève en feu, etc

ZURGA
Amis, interrompez vos danses et vos jeux!
Il est temps de choisir un chef qui nous commande,
Qui nous protége et nous défende,
Un chef aimé de tous, vigilant, courageux!

CHOUR
Celui que nous voulons pour maître
Et que nous choisissons pour roi
Ami Zurga, ami Zurga, c’est toi!

ZURGA
Qui, moi?

CHOUR
Oui, oui, sous notre chef!
Nous acceptons ta loi.
Ami, ami, sois notre chef!
Nous acceptons ta loi.

ZURGA
Vous me jurez obéissance?

CHOUR
Sois notre chef!

ZURGA
À moi seul la toute puissance?

CHOUR
Sois notre roi!

ZURGA
Eh bien! c’est dit! c’est dit!

CHOUR
Sois notre chef
À toi seul la toute puissance,
Sois notre chef et notre roi!

ZURGA
C’est dit! c’est dit!

(Nadir paraît au fond et descend parmi les rochers.)

CHOUR
Mais qui vient là?

ZURGA (allant au devant de Nadir)
Nadir! Nadir! ami de ma jeunesse
Est-ce bien toi que je revois?

CHOUR
C’est Nadir, le coureur des bois!

NADIR
Oui, Nadir, votre ami d’autrefois!
Parmi vous compagnons que mon bon temps renaisse!
Des savanes et des forêts
Où les traqueurs tedant rêts,
Des savanes et des forêts
J’ai sondé l’ombre et le mystère!
J’ai suivi le poignard aux dents,
Le tigre fauve aux yeux ardents,
Et le jaguar et la panthère!
Ce que j’ai fait hier, mes amis,
Vous le feriez demain!
Oui, vous le feriez demain!
Compagnons, donnons-nous la main!

CHOUR
Amis, amis, donnons-lui la main!

ZURGA
Demeure parmi nous, Nadir,
Et sois des nôtres!

NADIR
Oui! mes voux désormais
Mes plaisirs sont les vôtres!

ZURGA
Eh bien! prends part à nos jeux!
Ami, bois avec moi, danse et chante avec eux!
Avant que la pêche commence,
Saluons le soleil, l’air et la mer immense!

CHOUR
Sur la grève en feu, etc

(Les pêcheurs dansent, puis se dispersent. Zurga et Nadir restent seuls.)

ZURGA
C’est toi, toi qu’enfin je revois!
Après de si longs jours, après de si longs mois
Où nous avons vécu séparés l’un de l’autre,
Brahma nous réunit! quelle joie est la nôtre!
Mais parle, es-tu resté fidèle à ton serment?
Est-ce un ami que je revois ou bien un traître?

NADIR
De mon amour profond, j’ai su me rendre maître!

ZURGA
Oublions le passé, fêtons ce doux moment!
Soyons frères, restons amis toute la vie!
Mon cour a banni sa folie!

NADIR
Oui, le calme est venu pour toi,
Mais l’oubli ne viendra jamais!

ZURGA
Que dis-tu?

NADIR
Zurga, quand tous deux nous toucherons à l’âge
Où les rêves des jours passés
De notre âme sont effacés,
Tu te rappelleras notre dernier voyage;
Et notre halte aux portes de Candi.

ZURGA
C’était le soir!
Dans l’air par la brise attiédi,
Les brahmines au front inondé de lumière,
Appelaient lentement la foule à la prière!

NADIR
Au fond du temple saint
Paré de fleurs et d’or,
Une femme apparaît!
Je crois la voir encore!

ZURGA
Une femme apparaît!
Je crois la voir encore!

NADIR
La foule prosternée
La regarde, etonnée,
Et murmure tous bas:
Voyez, c’est la déesse!
Qui dans l’ombre se dresse
Et vers nous tend les bras!

ZURGA
Son voile se soulève!
Ô vision! ô rêve!
La foule est à genoux!

NADIR ET ZURGA
Oui, c’est elle!
C’est la déesse plus charmante et plus belle!
Oui, c’est elle!
C’est la déesse qui descend parmi nous!
Son voile se soulève et la foule est à genoux!

NADIR
Mais à travers la foule
Elle s’ouvre un passage!

ZURGA
Son long voile déjà
Nous cache son visage!

NADIR
Mon regard, hélas!
La cherche en vain!

ZURGA
Elle fuit!

NADIR
Elle fuit!
Mais dans mon âme soudain
Quelle étrange ardeur s’allume!

ZURGA
Quel feu nouveau me consume!

NADIR
Ta main repousse ma main!

ZURGA
Ta main repousse ma main!

NADIR
De nos cours l’amour s’empare
Et nous change en ennemis!

ZURGA
Non, que rien ne nous sépare!

NADIR
Non, rien!

ZURGA ET NADIR
Jurons de rester amis!
Oh oui, jurons de rester amis!
Oui, c’est elle! C’est la déesse!
En ce jour qui vient nous unir,
Et fidèle à ma promesse,
Comme un frère je veux te chérir!
C’est elle, c’est la déesse
Qui vient en ce jour nous unir!
Oui, partageons le même sort,
Soyons unis jusqu’à la mort!

ZURGA
Que vois-je?
Un pirogue aborde près d’ici!
Je l’attendais!
O dieu Brahma! merci!

NADIR
Qui donc attendais-tu?

ZURGA
Une femme inconnue
Et belle autant que sage,
Que les plus vieux de nous,
Selon le vieil usage,
Loin d’ici, chaque année,
Ont soin d’aller chercher!
Un long voile à nos yeux
Dérobe son visage;
Et nul ne doit la voir,
Nul ne doit l’approcher!
Mais pendant nos travaux,
Debout sur ce rocher,
Elle prie, et son chant
Qui plane sur nos têtes
Écarte les esprits méchants
Et nous protége!
Elle approche! ami,
Fête avec nous son arrivée!

(Léïla, le front couvert d’un voile, paraît suivie de Nourabad. Nadir seul, plongé dans une rêverie profonde, n’aperçoit pas Léïla.)

CHOUR
C’est elle, c’est elle, elle vient!
On l’amème ici! La voici!
(entourant Léïla et lui offrant les fleurs)
Sois la bienvenue,
Amie inconnue,
Daigne accepter nos présents!
Chante, et que l’orage
Apaise sa rage,
Amie à tes doux accents!

Que la troupe immonde
Des esprits de l’onde
S’envole à ta voix!

Ah! viens chasser par tes chants
Les esprits de l’onde,
Des prés et des bois.

Amie inconnue
Ici reçois nos présents
Sois la bienvenue.

Protége-nous!
Veille sur nous!

ZURGA (s’avançant vers Léïla)
Seule au milieu de nous
Vierge pure et sans tache
promets-tu de garder
Le voile qui te cache?

LÉÏLA
Je le jure!

ZURGA
Promets-tu de rester fidèle à ton serment?
De prier nuit et jour au bord du gouffre sombre?

LÉÏLA
Je le jure!

ZURGA
D’écarter par tes chants
Les noirs esprits de l’ombre
De vivre sans ami, sans époux, sans amant?

LÉÏLA
Je le jure!

ZURGA
Si tu restes fidèle et soumise à ma loi,
Nous garderons pour toi la perle la plus belle,
Et l’humble fille alors sera digne d’un roi!
(avec menace)
Mais si tu nous trahis, si ton âme succombe
Aux pièges maudits de l’amour,
Malheur à toi!

CHOUR
Malheur à toi!

ZURGA
C’est ton dernier jour!

CHOUR
Malheur à toi!

ZURGA
Pour toi s’ouvre la tombe!

CHOUR
Malheur à toi!

ZURGA
La mort t’attend!

CHOUR
Oui!

NADIR (se levant et s’avançant vers Léïla)
Ah! funeste sort!

LÉÏLA (à part)
Ah! c’est lui!

ZURGA (saisissant la main de Léïla)
Qu’as-tu donc? Ta main frissonne et tremble,
D’un noir presentiment ton cour est agité!
Eh bien, fuis ce rivage où le sort nous rassemble
Reprends ta liberté!

CHOUR
Parle! réponds!

LÉÏLA (les yeux tournés vers Nadir)
Je reste!
Je reste ici quand j’y devrais mourir!
Que mon sort glorieux ou funeste s’accomplisse!
Je reste, mes amis, ma vie est à vous.

ZURGA
C’est bien à tous les yeux tu resteras voilée.
Tu chanteras pour nous sous la nuit étoilée,
Tu l’as promis!

LÉÏLA
Je l’ai juré!

ZURGA
Tu l’as juré!

NADIR
Tu l’as juré!

CHOUR
Brahma, divin Brahma, que ta main nous protége!
Des esprits de la nuit, viens écarter le piège!
O Dieu Brahma, nous sommes tous à tes genoux!
O Brahma, divin Brahma, que ta main nous protége!

(Sur un ordre de Zurga, Léïla gravit le sentier qui conduit au temple, suivie de Nourabad; ils disparaissent bientôt dans les profondeurs du temple; les hommes descendent sur le rivage; Zurga se rapproche de Nadir qui n’a cessé de suivre du regard de Léïla qui, une seule fois, s’est retournée vers lui, lui tend la main et s’éloigne avec un dernier groupe de pêcheurs. Le jour baisse peu à peu.)

NADIR (seul)
À cette voix quel trouble agitait tout mon être?
Quel fol espoir? Comment ai-je cru reconnaître?
Hélas! devant mes yeux déjà, pauvre insensé,
La même vision tant de fois a passé!
Non, non, c’est le remords, la fièvre, la délire!
Zurga doit tout savoir, j’aurais tout lui dire!
Parjure à mon serment, j’ai voulu la revoir!
J’ai decouvert sa trace, et j’ai suivi ses pas!
Et caché dans la nuit et soupirant tout bas,
J’écoutais ses doux chants emportés dans l’espace.

Je crois entendre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix tendre et sonore
Comme un chant de ramier!
O nuit enchanteresse!
Divin ravissement!
O souvenir charmant!
Folle ivresse! doux rêve!

Aux clartés des étoiles,
Je crois encore la voir,
Entr’ouvrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir!
O nuit enchanteresse! etc
Charmant souvenir!
(Il s’entend sur une natte et s’endort.)

CHOUR (dans la coulisse)
Le ciel est bleu!
La mer est immobile et claire!
Le ciel est bleu!

(Léïla, amenée par Nourabad, paraît sur le rocher qui domine la mer.)

NOURABAD
Toi, reste là, debout sur ce roc solitaire!
(Les fakirs s’accropissent aux pieds de Léïla, et s’allument un bûcher de branches et d’herbes sèches dont Nourabad attise la flamme, après avoir tracé du bout de sa baguette un cercle magique dans l’air.)
Aux lueurs du brasier en feu,
Aux vapeurs de l’encense qui monte jusqu’à Dieu,
Chante, chante, nous t’écoutons!

NADIR (à demi endormi)
Adieu, doux rêve! Adieu!

LÉÏLA (debout sur la roche)
O Dieu Brahma!
O maître souverain du monde!

CHOUR (dans la coulisse)
O Dieu Brahma!

LÉÏLA
Blanche Siva!
Reine à la chevelure blonde!

CHOUR
Blanche Siva!

LÉÏLA
Esprits de l’air, esprits de l’onde . . .

NADIR (se réveillant)
Ciel! . . .

LÉÏLA
. . . Des rochers, des prés, des bois! . . .

NADIR
. . . Encore cette voix!

LÉÏLA
. . . Écoutez ma voix!

CHOUR
Esprits de l’air,
Esprits de l’onde,
Esprits des boix!

LÉÏLA
Dans le ciel sans voile,
Parsemé d’étoiles,
Au sein de la nuit
Trasparent et pur,
Comme dans un rêve,
Penché sur la grève,
Mon regard, oui, mon regard vous suit
À travers la nuit!
Ma voix vous implore,
Mon cour vous adore,
Mon chant léger,
Comme un oiseau semble voltiger!

CHOUR
Ah! chante, chante encore!
Oui, que ta voix sonore,
Ah! que ton chant léger,
Loin de nous, chasse tout danger!

LÉÏLA
Ah!

NADIR
(Il s’est glissé jusqu’au pied du rocher.)
Léïla! Léïla!
(Léïla se penche vers lui et écarte son voile un instant.)
Ne redoute plus rien! Me voici! Je suis là!
Prêt à donner mes jours, mon sang pour te défendre!

CHOUR
Ah! chante, chante, encore! etc

LÉÏLA
Pour toi, pour toi que j’adore,
Ah! je chante encore!
Je chante pour toi que j’adore!
Il est là! Il m’écoute! Ah!

NADIR
Ah! Chante, chante encore!
O toi que j’adore,
Ne crains nul dnager!
Je viens pour te protéger!
Ne crains rien, je suis là!
Léïla, ne crains rien!
Léïla, je suis là!

ACTE II
(Les ruines d’un temple indien; au fond, une terrasse élevée dominant la mer. Le ciel est étoilé.)

CHOUR (dans la coulisse)
L’ombre descend des cieux;
La nuit ouvre ses voiles,
Et les blanches étoiles
Se baignent dans l’azur
Des flots silencieux!

NOURABAD (il s’avance vers Léïla)
Les barques ont gagné la grève;
Pour cette nuit, Léïla, notre tâche s’achève.
Ici tu peux dormir.

LÉÏLA
Allez-vous donc, hélas! me laisser seule?

NOURABAD
Oui; mes ne tremble pas,
Sois sans crainte.
Par là des rocs inaccessibles
Défendus par les flots grondants;
De ce côté, le camp; et là, gardiens terribles,
Le fusil sur l’épaule et le poignard aux dents,
Nos amis veilleront!

LÉÏLA
Que Brahma me protége!

NOURABAD
Si ton cour reste pur,
Si tu tiens ton serment,
Dors en paix sous ma garde
Et ne crains aucun piège!

LÉÏLA
En face de la mort,
J’ai su rester fidèle a serment
Qu’une fois j’avais fait.

NOURABAD
Toi? Comment?

LÉÏLA
J’étais encore enfant un soir, je me rappelle,
Un homme, un fugitif, implorant mon secours,
Vint chercher un refuge en notre humble chaumière;
Et je promis, le cour ému par sa prière,
De le cacher à tous de protéger ses jours.
Bientôt une horde farouche accourt,
La menace à la bouche,
On m’entoure! Un poignard sur mon front est levé,
Je me tais, le nuit vient, il fuit, il est sauvé!
Mais, avant de gagner la savane lointaine:
«O courageuse enfant,» dit-il, «va prends cette chaîne
Et garde-la toujours en souvenir de moi»
Moi, moi, je me souviendrai!
J’avais sauvé sa vie et tenu ma promesse!

NOURABAD
C’est bien!
Songes-y, tous nos maux
Zurga peut te demander compte
Songes-y, songe à Dieu!
(Il sort avec les fakirs.)

CHOUR (dans la coulisse)
L’ombre descend des cieux, etc

LÉÏLA
Me voilà seule dans la nuit,
Seule en ce lieu désert où regne le silence!
(Elle regarde autour d’elle avec crainte.)
Je frissonne, j’ai peur! et le sommeil me fuit!
(regardant du côté de la terrase)
Mais il est là! Mon cour devine sa présence!

Comme autrefois dans la nuit sombre,
Caché sous le feuillage épais,
Il veille près de moi dans l’ombre,
Je puis dormir, rêver en paix!

Il veille près de moi,
Comme autrefois, comme autrefois
C’est lui! mes yeux l’ont reconnu!
C’est lui! mon âme est rassurée!
O bonheur! Il est venu,
Il est là près de moi, ah!

Comme autrefois dans la nuit sombre, etc

(Le son d’une guzla se fait entendre.)

NADIR (dans le coulisse, de très loin)
De mon amie,
Fleur endormie
Au fond du lac silencieux,
J’ai vu dans l’onde
Claire et profonde
Et inceler le front joyeux
Et les doux yeux!
(La voix se rapproche.)
Ma bien-aimée est enfermée . . .

LÉÏLA
Dieu!

NADIR
. . . Dans un palais d’or et d’azur; . . .

LÉÏLA
La voix se rapproche!

NADIR
. . . Je l’entends rire,
Et je vois luire . . .

LÉÏLA
Un doux charme m’attire!

NADIR
. . . Sur le cristal du gouffre obscur . . .

LÉÏLA
Ciel!

NADIR
. . . Son regard pur!

LÉÏLA
Ah! c’est lui!

(Nadir paraît sur la terrasse; il descend parmi les ruines.)

NADIR
Léïla! Léïla!

LÉÏLA
Dieu puissant, le voilà!

NADIR
Près d’elle, me voilà!

LÉÏLA
Par cet étroit sentier
Qui borde un sombre abîme,
Comment es-tu venu?

NADIR
Un Dieu guidait mes pas,
Un tendre espoir m’anime!
Rien, non rien ne m’a retenu!

LÉÏLA
Que viens-tu faire ici?
Fuis, la mort te menace!

NADIR
Apaise ton effroi, pardonne!

LÉÏLA
J’ai juré!
Je ne dois pas te voir!

NADIR
Ah! fais-moi grâce.

LÉÏLA
Le mort est sur tes pas!

NADIR
Ne me repousse pas!

LÉÏLA
Ah! va-t’en!

NADIR
Ah! le jour est loin encore
Nul ne peut nous surprendre,
Ah! Léïla, souris à mon espoir!

LÉÏLA
Non, séparons-nous!

NADIR
Ah! pourquoi repousser . . .

LÉÏLA
Il en est temps encore . . .

NADIR
. . . Un ami qui t’implore!

LÉÏLA
. . . Ah! va-t’en!

NADIR
Léïla! Léïla!

LÉÏLA
Ah! la mort est sur tes pas.
Ah! par pitié, éloigne-toi!

NADIR
Hélas!

Ton cour n’a pas compris le mien!
Au sein de la nuit parfumée,
Quand j’écoutais l’âme charmée,
Les accents de ta voix aimée,
Ton cour n’a pas compris le mien!

LÉÏLA
Ainsi que toi je me souviens!
Au sein de la nuit parfumée,
Mon âme alors libre et charmée,
À l’amour n’était pas fermée!
Ainsi que toi je me souviens!

NADIR
J’avais promis d’éviter ta présence,
Et de me taire à tout jamais;
Mais de l’amour, hélas! ô fatale puissance!
Pouvais-je fuir les beaux yeux que j’aimais?

LÉÏLA
Malgré la nuit, malgré ton long silence,
Mon cour charmé avait lu dans ton cour!
Je t’attendais, j’ésperais ta présence!
Ta douce voix m’apportait le bonheur!

NADIR
Est-il vrai? que dis-tu?
Doux aveu, ô bonheur!
Oui! Ton cour n’a pas compris le mien!
Au sein de la nuit parfumée, etc

LÉÏLA
Ah! Ainsi que toi je me souviens! etc

ENSEMBLE
Ô doux moment!

LÉÏLA (se degageant de ses bras)
Ah! revenez à la raison!
Partez! Partez vite! Je tremble!

NADIR
Que l’amour chaque soir
Dans l’ombre nous rassemble!

LÉÏLA
Oui, oui! demain je t’attendrai!

NADIR
Oui, demain je te rêverrai!

(Ils se séparent. Coup de feu. Léïla pousse en cri et tombe à genoux.)

NOURABAD
Malheur sur eux! malheur sur nous!
Accourez! venez tous!

(Il se met à la poursuite de Nadir.)

CHOUR
Quelle voix nous appelle?
Quel présage de mort nous attend en ces lieux?
(L’orage éclate dans toute sa furie.)
O nuit d’épouvante!
La mer écumante
Soulève en grondant
Ses flots furieux!

SOPRANOS
Pâle et frémissante,
Muette et tremblante,
D’où vient sa terreur?
D’où vient son effroi?
Nuit d’épouvante
La mer écumante,
O nuit d’effroi,
Nuit d’épouvante!
Nuit d’horreur,
Nuit d’effroi!

CONTRALTOS, TÉNORS ET BASSES
O nuit d’horreur,
Mon cour d’effroi palpite!
O nuit d’horreur,
Brahma, pitié, pitié!
O nuit d’épouvante,
La mer écumante
Soulève en grondant
Ses flots furieux,
Oui, nuit d’horreur,
Nuit d’horreur,
Nuit d’effroi!

NOURABAD
(Il reparaît suivi des fakirs armés de torches.)
Dans cet asile sacré, dans ces lieux redoutables,
Un homme, un étranger, profitant de la nuit,
À pas furtifs . . .

CHOUR
Que dit-il?

NOURABAD
. . . s’est introduit . . .

CHOUR
Est-il vrai?

NOURABAD (montrant Nadir qu’on amène au fond)
. . . Le voici! Voici les deux coupables!

CHOUR
Voici les deux coupables!
Ah! Nadir! O trahison!
Nadir! O trahison!
(Ils menacent Nadir et Léïla de leurs poignards.)
Pour eux point de grâce! Non!
Ni pitié! Ni merci! Non!
La mort! La mort!
Pour eux point de grâce!

LÉÏLA
O sombre menace!

NADIR
Leur demander grâce!

NOURABAD
Ni pitié, ni grâce!

CHOUR
Pour eux point de grâce!

LÉÏLA
O funeste sort!
O sombre manace!
Hélas, funeste sort!
Tout mon sang se glace!
Pour nous c’est la mort!
Hélas! Je tremble! O ciel!
La mort nous menace!
Funeste sort!
O sombre menace!
Brahma, protége-nous!
Je meurs d’effroi!

NADIR
Non, plutôt la mort!
Leur demander grâce?
Leur folle menace
Fait mon bras plus fort!
Ne crains rien,
Mon bras te protége!
Je saurai braver leurs coups!
Venez, je vous brave,
Oui, je brave les cieux!
Je ris de leur courroux!
Je braverai votre fureur!
Venez, je vous attends!

CHOUR
Pour tous deux la mort!
Malgré sa menace!
Qu’ils aient le même sort!
Esprits des ténèbres,
Prêts à nous punir,
Vos gouffres funèbres
Pour eux vont s’ouvrir!
Ni pitié, ni merci!
Pour eux la mort!
Oui, punissons leurs forfaits!

(On va pour les frapper, Nadir se jette devant Léïla pour la protéger.)

ZURGA
Arrêtez! arrêtez!
C’est à moi d’ordonner de leur sort.

CHOUR
La mort! pour eux la mort!

ZURGA
Vous m’avez donné la puissance,
Vous me devez obéissance.
Comapgnons, j’ai votre serment,
Obéissez, je le veux!

CHOUR
Qu’ils partent donc! Nous faisons grâce au traître!
Zurga le veut, Zurga commande en maître!

ZURGA
Partez, partez!

NOURABAD (arrachant le voile de Léïla)
Avant de fuir à tous fais toi connaître!

ZURGA (reconnaissant Léïla)
Ah! qu’ai-je vu? C’était elle! o fureur!
Vengez-vous! vengez-moi!
Malheur! malheur sur eux!

CHOUR
Pour eux point de grâce!

LÉÏLA
O sombre manace!
O funeste sort!
Brahma, protége-nous!
Je meurs d’effroi!

NADIR
Leur demander grâce?
Non, plutôt la mort!
Oui, je braverai les cieux!
Je ris de leur courroux!
Je braverai votre courroux!

ZURGA
Ni pitié, ni grâce,
Pour tous deux la mort!
Point de pitié, qu’ils meurent!
Qu’ils tombent sous nos coups!
Pour eux la mort!

CHOUR
Pour eux point de grâce!
Point de pitié, pour eux la mort!
Oui, punissons leur forfait!
Pour eux la mort!

(L’orage éclate avec fracas.)

NOURABAD
Ah! la foudre en éclats
Va tomber sur nos fronts! Brahma!

CHOUR
Brahma! divin Brahma! Que ta main nous protége!
Nous jurons de punir leur amour sacrilége!
O dieu Brahma, nous sommes tous à tes genoux!
Brahma! divin Brahma! Que ta main nous protége!

(Sur un geste impérieux de Zurga, on entraîne Nadir; Léïla est emmenée par les prêtres.)

ACTE III
PREMIER TABLEAU
(Une tente indienne fermée par une draperie. Une lampe brûle sur une petite table en jonc.)

ZURGA (il paraît sur le seuil de la tente)
L’orage s’est calmé.
Déjà les vents se taisent!
Comme eux les colères s’apaisent!
(Il laisse tomber la draperie.)
Moi seul j’appelle en vain le calme et le sommeil.
La fièvre me dévore et mon âme opressée
N’a plus qu’une pensée:
Nadir doit expirer au lever du soleil!
(Il tombe accablé sur les coussins.)

O Nadir, tendre ami de mon jeune âge!
O Nadir, lorsqu’à la mort je t’ai livré!
O Nadir, hélas, par quelle aveugle et folle rage
Mon cour était-il déchiré!
Non, non, c’est impossible!
J’ai fait un songe horrible!
Non, tu n’as pu trahir ta foi!
Et le coupable, hélas! c’est moi!
O remords! o regrets!
Ah! qu’ai-je fait?

O Nadir, tendre ami de mon jeune âge!
O Léïla, radieuse beauté!
Pardonnez à l’aveugle rage!
De grâce pardonnez aux transports d’un cour irrité!
Malgré moi, le remords m’oppresse!
Nadir, Léïla, hélas! J’ai honte de ma cruauté!
Ah! pardonnez aux transports d’un cour irrité!

(Il tombe accablé. Léïla paraît. Deux pêcheurs la tiennent et la menacent de leurs poignards.)

Qu’ai-je vu?
O ciel! quel trouble!
Tout mon amour se réveille à sa vue!
Près de moi, qui t’amène?

LÉÏLA
J’ai voulu te parler à toi seul.

ZURGA (aux pêcheurs)
C’est bien! vous sortez!

LÉÏLA (à part)
Je frémis, je chancelle!
De son âme cruelle
Hélas! que vais-je obtenir?
Sous son regard, l’effroi vient me saisir.
De son âme cruelle que vais-je obtenir?

ZURGA
Je frémis devant elle!
Léïla qui est belle!
Oui, plus belle encor, au moment de mourir,
Oui, c’est Dieu qui la conduit ici
Pour me punir!

Ne tremble pas, approche, je t’écoute!

LÉÏLA (elle se jette aux pieds de Zurga)
Zurga, je viens demander grâce.
Par Brahma, par le ciel, par tes mains que j’embrasse,
Épargne un innocent et ne frappe que moi!
Pour moi je ne crains rien, Zurga,
Mais je tremble pour lui!
Ah! sois sensible à ma plainte
Et deviens notre appui.
Il me donne son âme!
Il est tout mon amour!

ZURGA
Tout son amour!

LÉÏLA
Ardente flamme, hélas!
Voici son dernier jour!

ZURGA
Son dernier jour!

LÉÏLA
Ah! pitié Zurga, ah, pitié!
Par ma voix qui supplie,
Ah, laisse-toi fléchir!
Accorde-moi sa vie,
Zurga je t’en conjure,
Accorde-moi sa vie,
Pour m’aider à mourir!

ZURGA
Qu’entends-je?

LÉÏLA
Ah, laisse-toi fléchir!
Accorde-moi sa vie,
Pour m’aider à mourir!

ZURGA
Pour t’aider à mourir!
Ah! Nadir! j’aurais pu lui pardonner peut-être
Et le sauver, car nous étions amis!
Mais tu l’aimes!

LÉÏLA
Grand Dieu!

ZURGA
Tu l’aimes!

LÉÏLA
Je frémis!

ZURGA
Tu l’aimes!
Ce mot seul a ranimé ma haine et ma fureur!

LÉÏLA
Dieu!

ZURGA
En croyant le sauver,
Tu le perds pour jamais!

LÉÏLA
Par grâce, par pitié!

ZURGA
Plus de prière vaine!

LÉÏLA
Par grâce, par pitié!

ZURGA
Je suis jaloux!

LÉÏLA
Jaloux?

ZURGA
Comme lui, Léïla, je t’aimais!

LÉÏLA
Ah! de mon amour pour lui
Tu m’oses faire un crime?

ZURGA
Son crime est d’être aimé
Quand je ne le suis pas!

LÉÏLA
Ah! du moins dans son sang
Ne plonge pas tes bras!

ZURGA
En voulant le sauver,
Tu le perds à jamais!

LÉÏLA
Ah! que de ta fureur,
Seule je sois victime!

ZURGA
Tu l’aimes! il doit périr!

LÉÏLA
Par pitié! par le ciel!
Eh bien! va, venge-toi donc, cruel!
Va, cruel, va!

Va, prends aussi ma vie;
Mais, ta rage assovie,
Le remords, l’infamie,
Te poursuivront toujours!
Que l’arrêt s’accomplissent,
Et qu’un même supplice
Dans les cieux réunisse
À jamais tendre amour.
Va, prends ma vie,
Je te défie,
Oui, l’infamie te poursuivra toujours.
Va barbare, va cruel,
Les remords te poursuivront toujours!
Ah barbare! Ah cruel!

ZURGA
O rage! o fureur!
O tourment affreux!
O jalousie! Tremble!
Ah! crains ma fureur!
Oui, crains ma vengeance!
Que l’arrêt s’accomplisse!
Point de grâce, proint de pitié!
Tu vas périr avec lui!
Pour tous deux, oui, la mort!

LÉÏLA
Zurga, je te maudis,
Je te hais et je l’aime à jamais!

ZURGA
O fureur, o fureur!

(Nourabad reparaît au fond, suivi de quelques pêcheurs. Cris de joie dans l’éloignement.)

NOURABAD
Entends au loin ce bruit de fête!
L’heure est venue!

LÉÏLA
Et la victime est prête!

ZURGA
Allez!

LÉÏLA
Pour moi s’ouvre le ciel!
(à un jeune pêcheur)
Ami, prends ce collier,
Et quand je serai morte,
Qu’à ma mère on le porte!
Va, je prierai Dieu pour toi!

(Zurga s’empare du collier.)

ZURGA
Ce collier . . . Celle qui m’a sauver!
Je ferai mon devoir!

(Nourabad et les pêcheurs entraînent Léïla. Zurga les suit.)

DEUXIÈME TABLEAU
Un site sauvage avec au milieu un bûcher. Des feux éclairent la scène d’une façon sinistre. À droite, un trépied supportant un brûle-parfums.

(Il fait encore nuit. Nadir est assis, gardé par deux pêcheurs. Le vin de palmiers circule dans les coupes. Danses et chants.)

CHOUR
Dès que le soleil,
Dans le ciel vermeil,
Versera sa flamme,
Nos bras frapperont
Et se plongeront
Dans leur sang infâme!
Ardente liqueur
Verse en notre cour
Une sainte extasse:
Qu’un sombre transport,
Présage de mort,
Soudain les embrasse.
Brahma! Brahma!

(Léïla paraît conduite par Nourabad, et précédée du grand-prêtre; ses yeux recontrent le regard de Nadir fixé sur elle.)

NOURABAD ET CHOUR
Sombres divinities,
Zurga les livre à nos bras irrités!

(Une lueur rougeâtre éclaire le fond du théâtre et fait croire aux indiens que le jour va paraître.)

NOURABAD
Le jour enfin perce la nue , . . .

CHOUR
Oui!

NOURABAD
. . . Le soleil luit, l’heure est venue!

CHOUR
Oui!

NOURABAD ET CHOUR
Frappons! Oui!

(Ils lèvent les poignards sur Nadir.)

ZURGA (entrant, effaré et tentant une hâche à la main)
Non! non! ce n’est pas le jour!
Regardez, c’est le feu du ciel
Tombé sur nous des mains de Dieu!
(Les indiends se retournent terrifiés. Zurga descend au milieu d’eux.)
La flamme envahit et dévore votre camp!
Courez tous! il en est temps encore
Pour arracher vos enfants au trépas,
Courez, courez, que Dieu guide vos pas!

(Tous sortent en désordre, à l’exception de Nourabad, qui, seul, a gardé son soupçon. Il feint de s’éloigner et se cache derrière les arbres.)

ZURGA (s’élançant vers Léïla)
Mes mains ont allumé le terrible incendie
Qui menace leurs jours et vous sauve la vie,
(de sa hâche il brise les fers qui retenaient Nadir)
Car je brise vos fers!

NADIR
Dieu!

ZURGA (à Léïla, lui montrant le collier)
Léïla, souviens-toi, tu m’as sauvé jadis!

LÉÏLA
O ciel!

ZURGA
Soyons sauvés par moi!

LÉÏLA ET NADIR
Dieu!

(Nadir et Léïla tombe dans les bras l’un de l’autre. Nourabad qui a tout entendu court prévnir les indiens.)

LÉÏLA ET NADIR
O lumière sainte,
O divine étreinte,
Je suis sans crainte
Car il nous arrache
Enfin au trépas.
Zurga nous délivre
Et nous fait revivre,
Je veux te suivre;
Rien ne me saurait
Ravir à tes bras!
Je veux rester dans tes bras!

ZURGA
O lumière sainte,
O divine étreinte,
Je vais sans plainte
Les sauvant tous deux
Courir au trépas.
O dieux comme ils s’aiment!

(à Léïla et Nadir)
Ce sont eux, les voici!
Fuyez par ce passage!
(à Nadir)
Emporte ton trésor
Loin de ce bord sauvage!

LÉÏLA ET NADIR
Et toi, Zurga?

ZURGA
Dieu seul sait l’avenir!

(Léïla et Nadir partent. Nourabad entre en scène avec quatre chefs indiens pour se saisir de Léïla et Nadir; Zurga les empêche de passer.)

NOURABAD (montant Zurga)
C’est lui, le traître! Il a sauvé leur vie!

LES CHEFS
À mort!

(Zurga s’élance sur sa hâche restée à terre prêt à défendre sa vie, mas un indien le poignarde par derrière. Il tombe. Zurga se traîne du côté où Léïla et Nadir ont fui; comme pour les protéger encore.)

ZURGA
Ah! Adieu!
(Nourabad sort suivi des quatres chefs.)
Léïla, je t’aimais!

LÉÏLA ET NADIR
Plus de crainte, o douce étrainte,
Le bonheur nous attend là-bas!
Sainte ivresse, plus de tristesse!
Oui, le ciel guidera nos pas!
Ah viens! Le bonheur nous attend là-bas!

ZURGA
Ma tâche est achevée,
J’ai tenu mon serment!
Il vit, elle est sauvée!
Rêves d’amour! adieu!

(Léïla et Nadir disparaissent. Zurga retombe.)

FIN