Jacques Offenbach
Les contes d’Hoffmann
Opéra en quatre actes
Libretto von Jules Paul Barbier
Personnages
Hoffmann
Le Conseiller Lindorf
Coppélius
Dapertutto
Le Docteur Miracle
Spalanzani
Crespel
Andrès
Cochenille
Frantz
Maître Luther
Nathanael
Volframm
Hermann
Vilhelm
Stella
Giulietta
Olympia
Antonia
Nicklausse
La Muse
Un Fantome
Étudiants, Garçons de Taverne, Invités de Spalanzani, Valets, Esprits de la Bière et du Vin
Premier acte
La Taverne de Maitre Luther.
Intérieur d’une taverne allemande. Au fond, à droite, en pan coupé, grande porte donnant sur la rue. A gauche, en pan coupé, une fenêtre à petits vitraux. Dans le milieu un large enfoncement rempli de tonneaux symétriquement rangés autour d’un tonneau colossal surmonté d’un petit Bacchus tenant une banderole qui porte cet exergue: Au Tonneau de Nuremberg. Au-dessus des tonneaux s’étagent des rayons garnis de flacons de toutes formes. Devant le grand tonneau, un petit comptoir. Portes latérales, sur le premier plan, à gauche, un grand poêle; à droite, une horloge de bois et une petite porte cachée dans la boiserie. Cette boiserie s’étend sur la muraille, tout autour de la salle à hauteur d’homme. Çà et là, des tables et des bancs.
Scène première
Esprits
Il fait nuit; la scène est éclairée par un rayon de lune.
Choeur Invisible.
LES ESPRITS DE LA BIÈRE.
Glou! glou! glou! glou! je suis la bière.
LES ESPRITS DU VIN.
Glou! glou! glou! glou! je suis le vin.
TOUS LES ESPRITS ENSEMBLE.
Glou! glou! glou! nous sommes
Les amis des hommes;
Nous chassons d’ici
Langueur et souci.
Glou!
Scene II
Le conseiller Lindorff, Andrès.
LINDORF, entrant, suivi d’Andrès.
Le conseiller Lindorf, morbleu! C’est moi qui suis
Le conseiller Lindorf! … Ne crains rien et me suis.
N’as-tu pas pour maîtresse
La Stella, cette enchanteresse?
ANDRÈS. Oui.
LINDORF.
Qui vient de Milan …
ANDRÈS.
Oui.
LINDORF.
Traînant sur ses pas
Nombre d’amoureux, n’est-ce pas?
ANDRÈS.
Oui.
LINDORF.
C’est à l’un d’eux, je gage,
Que tu portes ce message?
ANDRÈS.
Oui.
LINDORF.
Je te l’achète.
ANDRÈS.
Bon.
LINDORF.
Dix thalers!
ANDRÈS.
Non!
LINDORF.
Vingt! Trente!..
Andrès ne répond pas. – A part.
Parlons-lui sa langue.
Levant sa canne.
Quarante!
ANDRÈS.
Oui! …
LINDORF, lui donnant de l’argent et prenant la lettre.
Donne, et va-t’en au diable!
ANDRÈS.
Oui! oui!
Il sort.
LINDORF, regardant la suscription de la lettre.
Voyons: »pour Hoffmann«, bon … je m’en doutais! ô femmes
Voilà les maîtres de vos coeurs!
Voilà de vos âmes
Les heureux vainqueurs!
Un poète! … un ivrogne! … enfin! passons! …
Il ouvre la lettre, en tire une petite clef et lit.
»Je t’aime! …
Si je t’ai fait souffrir, si tu m’aimes toi-même,
Ami, pardonne-moi,
Cette clef t’ouvrira ma loge, souviens-toi! …«
A lui-même.
Oui, l’on devient digne d’envie,
Quand, brisé par l’amour, on porte aux cabarets
Et ses espoirs et ses regrets!
Voilà ce qu’il vous faut! … Eh bien! non, sur ma vie.
Dans les rôles d’amoureux
Langoureux
Je sais que je suis pitoyable;
Mais j’ai de l’esprit comme un diable,
Comme un diable! …
Mes yeux lancent des éclairs,
Des éclairs! …
J’ai dans tout le physique
Un aspect satanique
Qui produit sur les nerfs
L’effet d’une pile électrique,
Electrique! …
Par les nerfs j’arrive au coeur
Je triomphe par la peur,
Par la peur! …
Oui, chère prima donna
Quand on a
La beauté parfaite
On doit dédaigner un poète,
Un poète!
De ce boudoir parfumé,
Parfumé,
Que le diable m’emporte
Si je n’ouvre la porte!
Mon rival est aimé,
Je ne le suis pas, que m’importe?
Que m’importe?
Sans parler du positif.
Je suis vieux, mais je suis vif!
Je suis vif!
Il regarde sa montre.
Deux heures devant moi! … Si j’ai bonne mémoire,
C’est dans ce cabaret, qu’avec de jeunes fous
Hoffmann vient deviser et boire!
Surveillons-le jusqu’au moment du rendez-vous!
Scène III
Lindorf, Luther, Garçons.
LUTHER, entrant, suivi de ses garçons.
Vite! vite! qu’on se remue!
Les brocs! les chopes, les quinquets!
Les toasts vont suivre les bouquets
Et souhaiter la bienvenue
A cet astre du firmament!
Vivement, garçons, vivement!
Les garçons achèvent de préparer la salle. La porte du fond s’ouvre: Nathanaël, Hermann, Wofframm, Wilhelm et une troupe d’étudiants entrent gaiement en scène.
Scène IV
Lindorf, Luther, Nathanael, Hermann, Étudiants, Garçons de Taverne.
CHOEUR DES ÉTUDIANTS.
Drig! drig! drig! maître Luther,
Tison d’enfer,
Drig! drig! drig! à nous ta bière,
A nous ton vin,
Jusqu’au matin
Remplis mon verre,
Jusqu’au matin
Remplis les pots d’étain!
NATHANAEL.
Luther est un brave homme;
Tire lan laire!
C’est demain qu’on l’assomme;
Tire lan la!
LE CHOEUR.
Tire lan la!
Les étudiants frappent les gobelets sur les tables.
LUTHER, allant de table en table avec les garçons et servant les étudiants.
Voilà, messieurs, voilà!
HERMANN.
Sa cave est d’un bon drille;
Tire lan laire!
C’est demain qu’on la pille
Tire lan la!
LE CHOEUR.
Tire lan la!
Bruit de gobelets.
LUTHER.
Voilà, messieurs, voilà!
WILHELM.
Sa femme est fille d’Eve;
Tire lan laire;
C’est demain qu’on l’enlève;
Tire lan la!
LE CHOEUR.
Tire lan la!
LUTHER.
Voilà, messieurs, voilà!
LE CHOEUR.
Drig! drig! drig! maître Luther
Tison d’enfer!
Drig! drig! drig! à nous la bière,
A nous ton vin!
Jusqu’au matin
Remplis mon verre!
Jusqu’au matin
Remplis les pots d’étain!
Les étudiants s’assoient, boivent et fument dans tous les coins.
LUTHER.
Eh bien! Stella? …
NATHANAEL.
Vive Dieu! mes amis, la belle créature!
Comme au chef-d’oeuvre de Mozart
Elle prête l’accent d’une voix ferme et sûre!
C’est la grâce de la nature,
Et c’est le triomphe de l’art!
Que mon premier toast soit pour elle!
Je bois à la Stella!
TOUS.
Vivat! à la Stella!
NATHANAEL.
Comment Hoffmann n’est-il pas là
Pour fêter avec nous cette étoile nouvelle!
Eh! Luther! … ma grosse tonne!
Qu’as-tu fait de notre Hoffmann
HERMANN.
C’est ton vin qui l’empoisonne!
Tu l’as tué, foi d’Hermann!
Rends-nous Hoffmann!
TOUS.
Rends-nous Hoffmann!
LINDORF, à part.
Au diable Hoffmann!
NATHANAEL.
Morbleu! qu’on nous l’apporte
Ou ton dernier jour a lui!
LUTHER.
Messieurs, il ouvre la porte,
Et Niklausse est avec lui!
TOUS.
Vivat! c’est lui!
LINDORF, à part.
Veillons sur lui.
Scène V
Les mêmes, Hoffmann, Nicklausse.
HOFFMANN, d’un air sombre.
Bonjour, amis!
NICKLAUSSE.
Bonjour!
HOFFMANN.
Un tabouret! un verre!
Une pipe! …
NICKLAUSSE, railleur.
Pardon, seigneur! … sans vous déplaire,
Je bois, fume et m’assieds comme vous! … part à deux!
LE CHOEUR.
C’est juste! … Place à tous les deux!
Hoffmann et Nicklausse s’assoient; Hoffmann se prend la tête entre les mains.
NICKLAUSSE, fredonnant.
Notte a giorno mal dormire …
HOFFMANN, brusquement.
Tais-toi, par le diable! …
NICKLAUSSE, tranquillement.
Oui, mon maître
HERMANN, à Hoffmann.
Oh! oh! d’où vient cet air fâché?
NATHANAEL, à Hoffmann.
C’est à ne pas te reconnaître.
HERMANN.
Sur quelle herbe as-tu donc marché?
HOFFMANN.
Hélas! sur une herbe morte
Au souffle glacé du nord! …
NICKLAUSSE.
Et là, près de cette porte,
Sur un ivrogne qui dort!
HOFFMANN.
C’est vrai! … Ce coquin-là, pardieu! m’a fait envie!
A boire! … et, comme lui, couchons dans le ruisseau.
HERMANN.
Sans oreiller?
HOFFMANN.
La pierre!
NATHANAEL.
Et sans rideau?
HOFFMANN.
Le ciel!
NATHANAEL.
Sans couvre-pied?
HOFFMANN.
La pluie!
HERMANN.
As-tu le cauchemar, Hoffmann?
HOFFMANN.
Non, mais ce soir.
Tout à l’heure, au théâtre …
TOUS.
Eh bien?
HOFFMANN.
J’ai cru revoir…
Baste! … à quoi bon rouvrir une vieille blessure?
La vie est courte! … Il faut l’égayer en chemin.
Il faut boire, chanter et rire à l’aventure,
Sauf à pleurer demain!
NATHANAEL.
Chante donc le premier, sans qu’on te le demande;
Nous ferons chorus.
HOFFMANN.
Soit!
NATHANAEL.
Quelque chose de gai
HERMANN.
La chanson du Rat!
NATHANAEL.
Non! moi, j’en suis fatigué.
Ce qu’il nous faut, c’est la légende
De Klein-Zach? …
TOUS.
C’est la légende de Klein-Zach!
HOFFMANN.
Va pour Klein-Zach!
Il était une fois à la cour d’Eysenach
Un petit avorton qui se nommait Klein-Zach!
Il était coiffé d’un colbac,
Et ses jambes faisaient clic, clac!
Voilà Klein-Zach!
LE CHOEUR.
Clic, clac! …
Voilà Klein-Zach!
HOFFMANN.
Il avait une bosse en guise d’estomac;
Ses pieds ramifiés semblaient sortir d’un sac,
Son nez était noir de tabac,
Et sa tête faisait cric, crac,
Cric, crac,
Voilà Klein-Zach.
LE CHOEUR.
Cric, crac,
Voilà Klein-Zach!
HOFFMANN.
Quant aux traits de sa figure …
Il semble s’absorber peu à peu dans son rêve.
LE CHOEUR.
Quant aux traits de sa figure? …
HOFFMANN, très lentement.
Quant aux traits de sa figure …
Il se lève.
Ah! sa figure était charmante! … Je la vois,
Belle comme le jour où, courant après elle,
Je quittai comme un fou la maison paternelle
Et m’enfuis à travers les vallons et les bois!
Ses cheveux en torsades sombres
Sur son col élégant jetaient leurs chaudes ombres.
Ses yeux, enveloppés d’azur,
Promenaient autour d’elle un regard frais et pur
Et, comme notre char emportait sans secousse
Nos coeurs et nos amours, sa voix vibrante et douce
Aux cieux qui l’écoutaient jetait ce chant vainqueur
Dont l’éternel écho résonne dans mon coeur!
NATHANAEL.
O bizarre cervelle!
Qui diable peins-tu là! Klein-Zach? …
HOFFMANN.
Je parle d’elle.
NATHANAEL, lui touchant l’épaule.
Qui?
HOFFMANN, sortant de son rêve.
Non! personne! … rien! mon esprit se troublait!
Rien! … Et Klein-Zach vaut mieux, tout difforme qu’il est! …
Quand il avait trop bu de genièvre ou de rack
Il fallait voir flotter les deux pans de son frac,
Comme des herbes dans un lac! …
Et le monstre faisait flic, flac! …
Flic, flac!
Voilà Klein-Zach!
LE CHOEUR.
Flic, flac!
Voilà Klein-Zach!
HOFFMANN, jetant son verre.
Peuh! … cette bière est détestable!
Allumons le punch! grisons-nous!
Et que les plus fous
Roulent sous la table.
LE CHOEUR.
Et que les plus fous
Roulent sous la table!
Mouvement général. On éteint les lumières. Luther allume un immense bol de punch; une lumière bleuâtre éclaire la scène.
Luther est un brave homme,
Tire lanlaire,
Tire lan la,
C’est demain qu’on l’assomme,
Tire lan laire,
Tire lan la,
Sa cave est d’un bon drille.
Tire lan laire,
Tire lan la,
C’est demain qu’on la pille,
Tire lan laire,
Tire lan la.
NICKLAUSSE.
A la bonne heure, au moins! voilà que l’on se pique
De raison et de sens pratique!
Peste soit des coeurs langoureux!
NATHANAEL.
Gageons qu’Hoffmann est amoureux!
HOFFMANN.
Amoureux … Le diable m’emporte
Si jamais je le deviens! …
LINDORF, à mi-voix.
Eh! eh! l’impertinence est forte
Il ne faut jurer de rien!
HOFFMANN, se retournant.
Plaît-il?
Reconnaissant Lindorf.
Quand on parle du diable,
On en voit les cornes! …
NICKLAUSSE.
Pardon!
La perruque! … chaste don
D’une épouse trop aimable!
LE CHOEUR.
Respect aux maris! Ne les raillons pas!
Nous serons un jour dans le même cas!
HOFFMANN, gracieux.
Et par où votre diablerie
Est-elle entrée ici, cher oiseau de malheur.
LINDORF, se levant et avec la même grâce.
Par la porte, aussi bien que votre ivrognerie,
Chère ciguë en fleur!
HOFFMANN.
Comme Anselmus, rare merveille,
Venez-vous me mettre en bouteille,
Cher diseur de bons mots!
LINDORF.
Vous me prenez pour une bûche,
La piquette se met en cruche,
Cher auteur de mes maux?
HOFFMANN.
C’est donc, si la chose est vraie,
Que vous en buvez, cher pot?
LINDORF.
Si je la bois, je la paie,
Cher orateur de tripot!
HOFFMANN
Avec l’argent qu’à moi-même,
Vous me volez, cher vautour?
LINDORF.
En admettant qu’un bohème
Soit volable, cher amour!
HOFFMANN, levant son verre.
A madame votre femme,
Cher suppôt de Lucifer!
LINDORF, même jeu.
Elle en mourra, sur mon âme,
Cher échappé de l’Enfer!
Ils boivent.
NICKLAUSSE ET LE CHOEUR.
Simple échange de politesses!
C’est ainsi qu’à l’ombre des bois
De deux bergers, pour leurs maîtresses
Alternaient les chants et les voix!
HOFFMANN, aux étudiants.
Je vous dis, moi, qu’un malheur me menace!
Montrant Lindorf.
Je ne l’ai pas rencontré face à face
Qu’il ne m’en soit arrivé quelque ennui!
Tout mauvais sort me vient de lui! …
Si je joue, il me fait perdre! …
LINDORF.
Bon! il faut croire
Que vous jouez mal!
HOFFMANN.
Si je bois,
J’avale de travers!
LINDORF.
Vous ne savez pas boire!
HOFFMANN.
Si j’aime …
LINDORF, ricanant.
Ha! ha! monsieur aime donc quelquefois? …
HOFFMANN.
Après? …
NATHANAEL.
Il ne faut pas en rougir, j’imagine.
Notre ami Wilhelm que voilà
Brûle pour Léonor et la trouve divine;
Hermann aime Gretchen; et moi je me ruine
Pour la Fausta!
HOFFMANN, à Wilhelm.
Oui, Léonor, ta virtuose! …
A Hermann.
Oui, Gretchen, ta poupée inerte, au coeur glacé!
A Nathanaël.
Et ta Fausta, pauvre insensé! …
La courtisane au front d’airain!
NATHANAEL.
Espirt morose,
Grand merci pour Fausta, Gretchen et Léonor!.
HOFFMANN.
Baste! autant celles-là que d’autres?
NATHANAEL.
Ta maîtresse est donc un trésor
Que tu méprises tant les nôtres?
HOFFMANN.
Ma maîtresse? …
A part.
Oui, Stella!
Trois femmes dans la même femme!
Trois âmes dans une seule âme!
Artiste, jeune fille, et courtisane! …
Tendant la main vers la droite.
Là!
Haut.
Ma maîtresse? … Non pas! dites mieux, trois maîtresses,
Trio charmant d’enchanteresses
Qui se partagèrent mes jours!
Voulez-vous le récit de ces folles amours? …
LE CHOEUR.
Oui, oui!
NICKLAUSSE.
Que parles-tu de trois maîtresses?
HOFFMANN.
Fume! …
Avant que cette pipe éteinte se rallume
Tu m’auras sans doute compris,
O toi qui dans ce drame où mon coeur se consume
Railleur.
Du bon sens emportas le prix!
Tous les étudiants vont reprendre leurs places.
LUTHER, rentrant en scène.
Messieurs, on va lever le rideau.
NATHANAEL.
Qu’il se lève!
C’est là notre moindre souci!
LINDORF, à part.
Avant que l’opéra s’achève,
J’ai le temps d’écouter aussi.
Luther va reprendre sa place à son comptoir.
LE CHOEUR.
Écoutons! il est doux de boire
Au récit d’une folle histoire,
En suivant le nuage clair
Que la pipe jette dans l’air!
HOFFMANN, s’asseyant sur le coin d’une table.
Je commence.
LE CHOEUR.
Silence!
LINDORF, à part.
Dans une heure, j’espère, ils seront à quia!
HOFFMANN.
Le nom de la première était Olympia!
Le rideau tombe, pendant qu’Hoffmann parle à tous les étudiants attentifs.
Acte deuxième
Olympia
Un riche cabinet de physicien donnant sur une galerie dont les portes sont closes par des tapisseries; portes latérales fermées également par des portières. Le théâtre est éclairé par de bougies.
Scène première
SPALANZANI, seul, il tient la portière de droite soulevée.
Là! dors en paix. Eh i Eh! … sage, modeste et belle,
Je rentrerai par elle
Dans les cinq cents ducats que la banqueroute
Du juif Élias me coûte!
Reste Coppélius dont la duplicité
Peut réclamer des droits à la paternité,
Diable d’homme! …
Il est loin, par bonheur!
Scene II
Spalanzani, Hoffmann, puis Cochenille et les Laquais.
SPALANZANI, voyant entrer Hoffmann.
Ah! bonjour … enchanté! …
HOFFMANN.
Je viens trop tôt, peut-être?
SPALANZANI.
Comment donc, un élève…
HOFFMANN.
Indigne de son maître.
SPALANZANI
Trop modeste, en vérité!
Plus de vers, plus de musique,
Et vous serez en physique
Professeur de faculté.
Vous connaîtrez ma fille, un sourire angélique,
La physique est tout, mon cher!
Olympia vaut très cher! …
HOFFMANN, à part.
Quel rapport la physique a-t-elle avec sa fille?
SPALANZANI, appelant.
Holà! hé! … Cochenille!
Cochenille paraît.
Fais allumer partout …
CHENILLE, bégayant.
Et … le champagne.
SPALANZANI.
Attends!
Suis-moi.
A Hoffmann.
Pardon, mon cher, je reviens dans l’instant.
Ils sortent.
Scène III
HOFFMANN, seul.
Allons! Courage et confiance
Je deviens un puits de science!
Il faut tourner selon le vent.
Pour mériter celle que j’aime,
Je saurai trouver en moi-même
L’étoffe d’un savant,
Elle est là … Si j’osais! …
Il soulève tout doucement la portière de droite.
C’est elle? …
Elle sommeille! … Qu’elle est belle! …
Ah! vivre deux! … N’avoir qu’une même espérance,
Un même souvenir!
Partager le bonheur, partager la souffrance,
Partager l’avenir! …
Laisse, laisse ma flamme
Verser en toi le jour!
Laisse éclore ton âme
Aux rayons de l’Amour!
Foyer divin! … Soleil dont l’ardeur nous pénètre
Et nous vient embraser! …
Ineffable désir où l’on sent tout son être
Se fondre en un baiser.
Laisse, laisse ma flamme
Verser en toi le jour! …
Laisse éclore ton âme
Aux rayons de l’Amour!
Il soulève de nouveau la portière; Nicklausse paraît.
Scène IV
Hoffmann, Nicklausse.
NICKLAUSSE.
Pardieu! … J’étais bien sûr de te trouver ici! …
HOFFMANN, laissant brusquement retomber la portière.
Chut! …
NICKLAUSSE.
Pourquoi? … C’est là que respire
La colombe qui fait ton amoureux souci,
La belle Olympia? … Va, mon enfant! Admire!
HOFFMANN.
Oui, je l’adore!
NICKLAUSSE.
Attends à la connaître mieux.
HOFFMANN.
L’âme qu’on aime est aisée à connaître!
NICKLAUSSE, railleur.
Quoi? d’un regard? … par la fenêtre?
HOFFMANN.
Il suffit d’un regard pour embrasser les cieux!
NICKLAUSSE.
Quelle chaleur! … Au moins sait-elle que tu l’aimes?
HOFFMANN.
Non!
NICKLAUSSE.
Écris-lui!
HOFFMANN.
Je n’ose pas.
NICKLAUSSE.
Pauvre agneau! Parle-lui!
HOFFMANN.
Les dangers sont les mêmes.
NICKLAUSSE.
Alors, chante, morbleu! pour sortir d’un tel pas!
HOFFMANN.
Monsieur Spalanzani n’aime pas la musique.
NICKLAUSSE, riant.
Oui, je sais! Tout pour la physique! …
Une poupée aux yeux d’émail
Jouait au mieux de l’éventail
Auprès d’un petit coq en cuivre;
Tous deux chantaient à l’unisson
D’une merveilleuse façon,
Dansaient, caquetaient, semblaient vivre.
HOFFMANN.
Plaît-il? Pourquoi cette chanson?
NICKLAUSSE.
Le petit coq, luisant et vif,
Avec un air rébarbatif,
Tournait par trois fois sur lui-même;
Par un rouage ingénieux,
La poupée, en roulant les yeux,
Soupirait et disait: Je t’aime!
Scène V
Les Mêmes, Coppélius.
COPPÉLIUS.
C’est moi, Coppélius! … doucement, prenons garde!
Apercevant Hoffmann.
Quelqu’un …
NICKLAUSSE, se retournant.
Hein! …
COPPÉLIUS.
Qu’est-ce donc que ce monsieur regarde?
Regardant par-dessus l’épaule d’Hoffmann.
Notre Olympia! … fort bien..
NICKLAUSSE, à part.
Leur Olympia?
COPPÉLIUS, à Hoffmann.
Jeune homme,
Elevant la voix.
Eh! monsieur!
Voyant qu‘ Hoffmann ne répond pas, lui frappant sur l’épaule.
Il n’entend rien!
Monsieur!
HOFFMANN.
Plaît-il?
COPPÉLIUS.
Je me nomme
Coppélius, un ami
De monsieur Spalanzani.
Hoffmann le salue.
Voyez ces baromètres
Hygromètres,
Thermomètres,
Au rabais, mais au comptant.
Voyez, vous en serez content.
Vidant à terre son sac rempli de lorgnons, lunettes et lorgnettes.
Chacun de ces lorgnons rend noir comme le jais,
Ou blanc comme l’hermine,
Assombrit,
Illumine,
Éclaire, ou flétrit
Les objets.
J’ai des yeux, de vrais yeux,
Des yeux vivants, des yeux de flamme,
Des yeux merveilleux
Qui vont jusques au fond de l’âme
Et qui même dans bien des cas
En peuvent prêter une à ceux qui n’en ont pas.
J’ai des yeux, de vrais yeux vivants, des yeux de flamme,
J’ai des yeux,
De beaux yeux!
Oui!
Veux-tu voir le coeur d’une femme?
S’il est pur ou s’il est infâme!
Ou bien préfères-tu le voir
Le voir tout blanc quand il est noir?
Prends et tu verras
Ce que tu voudras.
Prenez mes yeux, mes yeux vivants, me yeux de flamme,
Mes yeux qui percent l’âme.
Prenez mes yeux!
HOFFMANN.
Dis-tu vrai?
COPPÉLIUS, lui présentant un lorgnon.
Voyez!
HOFFMANN.
Donne!
COPPÉLIUS.
Trois ducats!
HOFFMANN, soulevant la portière et regardant.
Dieu puissant! quelle grâce rayonne
Sur son front!
COPPÉLIUS.
Trois ducats.
HOFFMANN.
Cher ange, est-ce bien toi?
COPPÉLIUS, faisant retomber la portière.
Trois ducats!
HOFFMANN.
Ah! pourquoi me ravir cette image
De bonheur et d’amour?
Nicklausse donne les ducats à Coppélius.
Scène VI
Les mêmes, Spalanzani, puis Cochenille.
SPALANZANI, entrant en se frottant les mains, puis apercevant Coppélius.
Hein! Vous?
COPPÉLIUS.
Ce cher maître! …
SPALANZANI.
Morbleu!
Il était convenu …
COPPÉLIUS.
Rien d’écrit …
SPALANZANI.
Mais …
COPPÉLIUS.
Chimère! …
L’argent sur vous pleuvra dans peu,
Je veux tout partager.
SPALANZANI.
Ne suis-je pas le père
D’Olympia?
COPPÉLIUS.
Pardon, elle a mes yeux.
SPALANZANI.
Plus bas! …
A part.
Bien lui prend que j’ignore
Son secret. Mais j’y pense, oui!
Haut.
Voulez-vous encore
Cinq cents ducats? qu’un écrit de vous m’abandonne
Ses yeux, ainsi que toute sa personne,
Et voici votre argent sur le juif Élias.
COPPÉLIUS.
Élias?
SPALANZANI.
Une maison sûre.
HOFFMANN, bas, à Nicklausse.
Quel marché peuvent-ils conclure.
COPPÉLIUS écrit sur ses tablettes.
Allons, c’est dit.
SPALANZANI, Ils échangent leurs papiers.
Donnant, donnant!
Ce cher ami!
Ils s’embrassent.
COPPÉLIUS
Ce cher ami!
SPALANZANI, à part.
Va, maintenant!
Va te faire payer!
COPPÉLIUS.
A propos, une idée,
Mariez donc Olympia!
Montrant Hoffmann.
Le jeune fou que voilà
Ne vous l’a donc pas demandée?
Quel nigaud!
SPALANZANI.
C’est jeune!
COPPÉLIUS.
Oui, vous l’avez endormi.
SPALANZANI, l’embrassant.
Ce cher ami!
COPPÉLIUS, même jeu.
Ce cher ami.
Il sort en ricanant.
SPALANZANI, à Hoffmann.
La physique, mon cher! …
HOFFMANN.
Ah! … c’est une manie.
COCHENILLE, paraissant au fond.
Monsieur, voilà toute la compagnie.
Scène VII
Hoffmann, Spalanzani, Cochenille, Nicklausse, Invités, Laquais.
LE CHOEUR DES INVITÉS.
Non, aucun hôte, vraiment,
Ne reçoit plus richement!
Par le goût, sa maison brille!
Tout s’y trouve réuni.
Ça, monsieur Spalanzani,
Présentez-nous votre fille.
On la dit faite à ravir,
Aimable, exempte de vices.
Nous comptons nous rafraîchir
Après quelques exercices.
Non, aucun hôte vraiment
Ne reçoit plus richement!
SPALANZANI.
Vous serez satisfaits, messieurs, dans un moment.
Il fait signe à Cochenille de le suivre, et sort avec lui par la droite. Les invités se promènent par groupes en admirant la demeure de Spalanzani. Nicklausse s’approche d’Hoffmann.
NICKLAUSSE, à Hoffmann.
Enfin, nous allons voir de près cette merveille
Sans pareille!
HOFFMANN.
Silence! … la voici! …
Entrée de Spalanzani conduisant Olympia. Cochenille les suit Curiosité générale.
Scène VIII
Les mêmes, Olympia.
SPALANZANI.
Mesdames et messieurs.
Je vous présente
Ma fille Olympia.
LE CHOEUR.
Charmante!
Elle a de très beaux yeux!
Sa taille est fort bien prise!
Voyez comme elle est mise!
Il ne lui manque rien!
Elle est très bien!
HOFFMANN.
Ah! qu’elle est adorable!
NICKLAUSSE.
Charmante, incomparable
SPALANZANI, À Olympia.
Quel succès est le tien
NICKLAUSSE, en la lorgnant.
Vraiment elle est très bien.
LE CHOEUR.
Elle a de très beaux yeux,
Sa taille est fort bien prise
Voyez comme elle est mise,
Il ne lui manque rien.
Vraiment elle est très bien.
SPALANZANI.
Mesdames et messieurs, flère de vos bravos,
Et surtout impatiente
D’en conquérir de nouveaux,
Ma fille, obéissant à vos moindres caprices,
Va, s’il vous plaît…
NICKLAUSSE, à part.
Passer à d’autres exercices.
SPALANZANI.
Vous chanter un grand air, en suivant de la voix,
Talent rare!
Le clavecin, la guitare,
Ou la harpe, à votre choix!
COCHENILLE, au fond du théâtre, en voix de fausset.
La harpe! …
UNE VOIX DE BASSE, répondant dans la coulisse à la voix de Cochenille.
La harpe! …
SPALANZANI.
Fort bien! … Cochenille
Va vite nous chercher la harpe de ma fille!
Cochenille entre dans l’appartement d’Olympia.
HOFFMANN, à part.
Je vais l’entendre … ô joie!
NICKLAUSSE, à part.
O folle passion!
SPALANZANI, à Olympia.
Maîtrise ton émotion.
Mon enfant!
OLYMPIA.
Oui!
COCHENILLE, rentrant en scène avec une harpe.
Voilà!
SPALANZANI, s’asseyant auprès d’Olympia et plaçant sa harpe devant lui.
Messieurs, attention!
COCHENILLE.
A … attention!
LE CHOEUR.
Attention.
OLYMPIA, accompagnée par Spalanzani. – De temps à autre sa voix faiblit, Cochenille lui touche l’épaule et l’on entend le bruit d’un ressort.
Les oi-seaux-dans-la-char-mille.
Dans-les-cieux-l’astre-du-jour,
Tout-parle-à-la-jeune-fil-le
D’a-mour!
D’a-mour!
Voi-là
La-chan-son-gen-tille,
Voi-là,
La-chan-son-d’O-lym-pia!
Ha!
LE CHOEUR.
C’est la chanson d’Olympia!
OLYMPIA.
Tout-ce-qui-chante-et-ré-sonne
Et-sou-pire-tour-à-tour-,
É-meut-son-coeur-qui-fris-sonne
D’a-mour!
Voi-là
La-chan-son-mi-gnon-ne
Voi-là
Voi-là
La-chan-son-d’O-lym-pia.
Ha!
LE CHOEUR.
C’est la chanson d’Olympia.
HOFFMANN, à Nicklausse
Ah! mon ami! quel accent! …
NICKLAUSSE.
Quelles gammes! …
Cochenille a enlevé la harpe et tout le monde s’est empressé autour d’Olympia qui remercie tour à tour de la main droite et de la main gauche. Hoffmann la contemple avec
ravissement. Un laquais vient dire quelques mots à Spalanzani.
SPALANZANI.
Allons, messieurs! … la main aux dames! …
Le souper nous attend! …
LE CHOEUR.
Le souper! … Bon cela! …
SPALANZANI.
A moins qu’on ne préfère
Danser d’abord! …
LE CHOEUR, avec énergie.
Non! … non! … le souper! … bonne affaire,
Ensuite on dansera.
SPALANZANI.
Comme il vous plaira! …
HOFFMANN, s’approchant d’Olympia.
Oserai-je? …
SPALANZANI, intervenant.
Elle est un peu lasse
Attendez le bal.
Il touche l’épaule d’Olympia.
OLYMPIA.
Oui.
SPALANZANI.
Vous voyez, jusque-là
Voulez-vous me faire la grâce
De tenir compagnie à mon Olympia?
HOFFMANN.
O bonheur!
SPALANZANI, à part, en riant.
Nous verrons ce qu’il lui chantera.
NICKLAUSSE, à Spalanzani.
Elle ne soupe pas?
SPALANZANI.
Non!
NICKLAUSSE, à part.
Ame poétique!
Spalanzani passe un moment derrière Olympia. On entend de nouveau le bruit d’un ressort qu’on remonte. Nicklausse se retourne.
Plaît-il? …
SPALANZANI.
Rien! la physique! … ah! monsieur! la physique.
Il conduit Olympia à un fauteuil et l’y fait asseoir puis il sort avec les invités.
COCHENILLE.
Le-e souper vou-ous attend.
LE CHOEUR, avec un enthousiasme croissant.
Le souper, le souper, le souper nous attend!
Non, aucun hôte vraiment,
Ne reçoit plus richement!
Scène IX
Hoffmann, Olympia.
HOFFMANN.
Ils se sont éloignés enfin! … Ah! je respire! …
Seuls! seuls tous deux!
S’approchant d’Olympia.
Que j’ai de choses à te dire,
O mon Olympia! … Laisse-moi t’admirer! …
De ton regard charmant laisse-moi m’enivrer.
Il touche légèrement l’épaule Olympia.
OLYMPIA.
Oui.
HOFFMANN.
N’est-ce pas un rêve enfanté par la fièvre?
J’ai cru voir un soupir s’échapper de ta lèvre!..
Il touche de nouveau l’épaule d’Olympia.
OLYMPIA.
Oui.
HOFFMANN.
Doux aveu, gage de nos amours,
Tu m’appartiens, nos coeurs sont unis pour toujours!
Ah! comprends-tu, dis-moi, cette joie éternelle
Des coeurs silencieux? …
Vivants, n’être qu’une âme, et du même coup d’aile
Nous élancer aux cieux!
Laisse, laisse ma flamme
Verser en toi le jour!
Laisse éclore ton âme
Aux rayons de l’amour!
Il presse la main d’Olympia avec passion; celle-ci, comme si elle était mue par un ressort, se lève aussitôt, parcourt la scène en différents sens et sort enfin par une des portes du fond sans se servir de ses mains pour écarter la tapisserie. Hoffmann se lève et suit Olympia dans ses évolutions.
Tu me fuis? … qu’ai-je fait? … Tu ne me réponds pas? …
Parle! … t’ai-je irritée? … Ah! … je suivrai tes pas!
Au moment où Hoffmann va s’éloigner à la suite d’Olympia, Nicklausse paraît à l’une des portes opposées et l’interpelle.
Scène X
Hoffmann, Nicklausse.
NICKLAUSSE.
Eh! morbleu! modère ton zèle!
Veux-tu qu’on se grise sans toi? …
HOFFMANN, avec ivresse.
Nicklausse! … je suis aimé d’elle! …
Aimé, Dieu puissant! …
NICKLAUSSE.
Par ma foi
Si tu savais ce qu’on dit de ta belle!
HOFFMANN.
Qu’en peut-on dire? Quoi?
NICKLAUSSE.
Qu’elle est morte.
HOFFMANN.
Dieu juste! …
NICKLAUSSE.
Ou ne fut pas en vie.
HOFFMANN, avec ivresse.
Ange que l’envie
Suit en frémissant,
Justice éternelle!
Nicklausse! … Je suis aimé d’elle! …
Aimé! … Dieu puissant! …
Il sort rapidement; Nicklausse le suit
Scène XI
COPPÉLIUS, entrant, furieux, par la petite porte de gauche.
Voleur! … brigand! … quelle déroute! …
Élias a fait banqueroute! …
Va, je saurai trouver le moment opportun
Pour me venger … Volé! … moi! … je tuerai quelqu’un.
Les tapisseries du fond s’écartent. Coppélius se glisse dans la chambre d’Olympia, à droite.
Scène XII
Spalanzani, Hoffmann, Olympia, Nicklausse, Cochenille, Invités, Laquais, puis Coppélius.
SPALANZANI.
Voici les valseurs.
COCHENILLE.
Voici la ritournelle!
HOFFMANN.
C’est la valse qui nous appelle.
SPALANZANI, à Olympia.
Prends la main de monsieur, mon enfant …
Lui touchant l’épaule.
Allons! …
OLYMPIA.
Oui
Hoffmann enlace la taille d’Olympia et ils commencent à valser. On leur fait place et ils disparaissent par la gauche. Le choeur les suit des yeux. Spalanzani cause sur le devant de la scène avec Nicklausse.
LE CHOEUR.
Elle danse!
En cadence!
C’est merveilleux,
Prodigieux!
Place! place!
Elle passe,
Elle fend l’air
Comme un éclair!
Pendant ce choeur, Hoffmann et Olympia ont repassé en valsant dans le fond de la galerie et ont disparu par la droite. Le mouvement de ta valse s’anime de plus en plus.
LA VOIX D’HOFFMANN, dans la coulisse.
Olympia! …
SPALANZANI, remontant la scène.
Qu’on les arrête! …
LE CHOEUR.
Qui de nous les arrêtera? …
NICKLAUSSE.
Elle va lui casser la tête! …
Hoffmann et Olympia reparaissent et redescendent en scène en valsant de plus en plus vite. Nicklausse s’élance pour les arrêter.
Eh! mille diables! …
Il est violemment bousculé et va tomber sur un fauteuil en tournant plusieurs fois sur lui-même.
LE CHOEUR.
Patatra! …
SPALANZANI, s’élançant à son tour.
Halte là!
Il touche Olympia à l’épaule. Elle s’arrête subitement. Hoffmann, étourdi, va tomber sur un canapé. Spalanzani continue en se retournant vers les invités.
Voilà.
A Olympia.
Assez, assez, ma fille.
OLYMPIA.
Oui.
SPALANZANI.
Il ne faut plus valser.
OLYMPIA.
Oui.
SPALANZANI, â Cochenille.
Toi, Cochenille,
Reconduis-la.
Il touche Olympia qui se tourne vers la droite.
COCHENILLE, poussant Olympia.
Va-a donc! … Va!
OLYMPIA.
Oui.
En sortant, lentement poussée par Cochenille.
Ha! ha! ha! ha! ha! ha! ha!
LE CHOEUR.
Que voulez-vous qu’on dise?
C’est une fille exquise!
Il ne lui manque rien!
Elle est très bien!
Olympia sort par la droite, suivie de Cochenille.
NICKLAUSSE, d’une voix dolente, en montrant Hoffmann.
Est-il mort? …
SPALANZANI, examinant Hoffmann.
Non! en somme,
Son lorgnon seul est en débris.
Il reprend ses esprits.
LE CHOEUR.
Pauvre jeune homme! …
COCHENILLE, dans la coulisse.
Ah!
Il entre en scène, la figure bouleversée.
SPALANZANI.
Quoi?
COCHENILLE.
L’homme aux lunettes! … Là!
SPALANZANI.
Miséricorde! Olympia! …
HOFFMANN.
Olympia! …
Spalanzani va pour s’élancer. On entend dans la coulisse un bruit de ressorts qui se brisent avec fracas.
Ah! terre et cieux! Elle est cassée! …
HOFFMANN, se levant.
Cassée! …
COPPÉLIUS, entrant par la droite et éclatant de rire.
Ha! ha! ha! ha! oui … Fracassée! …
Hoffmann s’élance et disparaît par la droite. Spalanzani et Coppélius se jettent l’un sur l’autre et se prennent au collet.
SPALANZANI.
Gredin!
COPPÉLIUS.
Voleur!
SPALANZANI.
Brigand!
COPPÉLIUS.
Païen!
SPALANZANI.
Bandit!
COPPÉLIUS.
Pirate!
HOFFMANN, apparaissant, pâle et épouvanté.
Un automate! un automate!
Il se laisse tomber sur un fauteuil, Nicklausse cherche à le calmer. Eclat de rire général.
LE CHOEUR.
Ha! ha! ha! la bombe éclate!
Il aimait un automate!
SPALANZANI, avec désespoir.
Mon automate!
TOUS.
Un automate!
LE CHOEUR.
Ha! ha! ha! ha!
Acte troisième
Giulietta.
A Venise. Galerie de fête dans un palais donnant sur le grand canal. Eau praticable au fond pour les gondoles. Balustrade, escaliers, colonnes lampadaires, lustres, coussins, fleurs. Portes latérales sur le premier plan, plus loin de larges portes ou arcades en pans coupés, conduisant à d’autres galeries.
Scène première
Hoffmann, Pitichinaccio, Jeunes Gens et Jeunes Femmes, Laquais, puis Giulietta et Nicklausse.
Les hôtes de Giulietta sont groupés debout ou étendus sur des coussins. Tableau brillant et animé.
Barcarolle.
GIULIETTA ET NICKLAUSSE, dans la coulisse.
Belle nuit, ô nuit d’amour,
Souris à nos ivresses,
Nuit plus douce que le jour,
O belle nuit d’amour!
Le temps fuit et sans retour
Emporte nos tendresses!
Loin de cet heureux séjour,
Le temps fuit sans retour
Zéphyrs embrasés,
Versez-nous vos caresses;
Zéphyrs embrasés
Donnez-nous vos baisers.
Belle nuit, ô nuit d’amour,
Souris à nos ivresses,
Nuit plus douce que le jour,
O belle nuit d’amour!
Giulietta et Nicklausse entrent en scène, venant lentement de la galerie du fond.
HOFFMANN.
Et moi, ce n’est pas là, pardieu! ce qui m’enchante!
Aux pieds de la beauté qui nous vient enivrer
Le plaisir doit-il soupirer?
Non! … Le rire à la bouche, écoutez comme il chante!
Giulietta s’assoit à droite, sur un divan où elle s’étend peu à peu en écoutant Hoffmann.
Chant Bachique.
Amis! … l’amour tendre et rêveur
Erreur!
L’amour dans le bruit et le vin
Divin!
Que d’un brûlant désir
Votre coeur s’enflamme
Aux fièvres du plaisir
Consumez votre âme!
Transports d’amour,
Durez un jour!
Au diable celui qui pleure,
Pour deux beaux yeux
A nous l’ivresse meilleure
Des chants joyeux!
Vivons une heure
Dans les cieux!
LE CHOEUR.
Au diable celui qui pleure,
Pour deux beaux yeux!
A nous l’ivresse meilleure
Des chants joyeux!
Vivons une heure
Dans les cieux!
HOFFMANN.
Le ciel te prête sa clarté
Beauté,
Mais vous cachez, ô coeurs de fer,
L’enfer!
Bonheur du paradis,
Où l’amour convie,
Serments, espoirs maudits,
Rêves de la vie!
O chastetés!
O puretés,
Mentez!
LE CHOEUR.
Au diable celui qui pleure,
Pour deux beaux yeux!
A nous l’ivresse meilleure
Des chants joyeux!
Vivons une heure
Dans les cieux!
Scène II
Les Mêmes, Schlemil, puis Dapertutto.
SCHLEMIL, entrant en scène.
Je vois qu’on est en fête. A merveille, madame!
GIULIETTA.
Comment! … Mais je vous ai pleuré trois grands jours.
PITICHINACCIO.
Dame!
SCHLEMIL, à Pitichinaccio.
Avorton!
PITICHINACCIO.
Holà!
GIULIETTA, les calmant.
Calmez-vous!
Nous avons un poète étranger parmi nous.
Présentant Hoffmann.
Hoffmann!
SCHLEMIL, de mauvaise grâce.
Monsieur!
HOFFMANN, ironique.
Monsieur!
GIULIETTA, à Schlemil.
Souriez-nous, de grâce.
Et venez prendre place
Au pharaon!
LE CHOEUR.
Vivat! Au pharaon!
Giulietta, après avoir invité du geste tout le monde à la suivre dans la salle de jeu, se dirige vers la sortie. Hoffmann va pour offrir sa main à Giulietta, Schlemil intervient vivement.
SCHLEMIL, prenant la main de Giulietta qui essaie de le calmer.
Morbleu!
GIULIETTA, aux invités.
Au jeu, messieurs, au jeu!
LE CHOEUR.
Au jeu! au jeu!
Tout le monde sort, moins Nicklausse et Hoffmann.
Scène III
Hoffmann, Nicklausse.
NICKLAUSSE, à Hoffmann.
Un mot! … J’ai deux chevaux sellés; au premier rêve
Dont se laisse affoler mon Hoffmann, je l’enlève.
HOFFMANN.
Et quels rêves, jamais, pourraient être enfantés
Par de telles réalités?
Aime-t-on une courtisane? …
NICKLAUSSE.
Ce Schlemil, cependant …
HOFFMANN.
Je ne suis pas Schlemil.
NICKLAUSSE.
Prends-y garde, le diable est malin.
Dapertutto paraît au fond.
HOFFMANN.
Le fût-il,
S’il me la fait aimer, je consens qu’il me damne.
Allons!
NICKLAUSSE.
Allons!
Ils sortent.
DAPERTUTTO, seul.
Allez! … pour te livrer combat
Les yeux de Giulietta sont une arme certaine.
Il a fallu que Schlemil succombât …
Foi de diable et de capitaine!
Tu feras comme lui.
Je veux que Giulietta t’ensorcelle aujourd’hui.
Tirant de son doigt une bague où brille un gros diamant et le faisant scintiller.
Chanson.
Tourne, tourne, miroir où se prend l’alouette,
Scintille, diamant, fascine, attire-la …
L’alouette ou la femme
A cet appât vainqueur
Vont de l’aile ou du coeur;
L’une y laisse sa vie et l’autre y perd son âme.
Tourne, tourne, miroir ou se prend l’alouette.
Scintille, diamant, fascine, attire-la.
Giulietta paraît et s’avance, comme fascinée, vers le diamant que Dapertutto tend vers elle.
Scène IV
Dapertutto, Giulietta.
DAPERTUTTO, passant la bague au doigt de Giulietta.
Cher ange!
GIULIETTA.
Qu’attendez-vous de votre servante?
DAPERTUTTO.
Bien, tu m’as deviné,
A séduire les coeurs entre toutes savante,
Tu m’as déjà donné
L’ombre de Schlemil! Je varie
Mes plaisirs et te prie
De m’avoir aujourd’hui
Le reflet d’Hoffmann!
GIULIETTA.
Quoi! son reflet!
DAPERTUTTO.
Oui!
Son reflet! … Tu doutes
De la puissance de tes yeux?
GIULIETTA.
Non.
DAPERTUTTO.
Qui sait? Ton Hoffmann rêve peut-être mieux
Avec dureté.
Oui, j’étais là, tout à l’heure, aux écoutes,
Avec ironie.
Il te défie …
GIULIETTA.
Hoffmann? … C’est bien! … dès aujourd’hui
J’en ferai mon jouet.
Hoffmann entre.
DAPERTUTTO.
C’est lui!
Dapertutto sort après avoir baisé la main de Giulietta.
Scène V
Giulietta, Hoffmann.
Hoffmann traverse le théâtre, salue Giulietta et fait mine de s’éloigner.
GIULIETTA, à Hoffmann.
Vous me quittez?
HOFFMANN, railleur.
J’ai tout perdu …
GIULIETTA.
Quoi! … vous aussi!..
Ah! vous me faites injure
Sans pitié, ni merci.
Partez! … Partez! …
HOFFMANN.
Tes larmes t’ont trahie.
Ah! je t’aime … fût-ce au prix de ma vie.
Duo.
GIULIETTA.
Ah! malheureux, mais tu ne sais donc pas
Qu’une heure, qu’un moment peuvent t’être funestes?
Que mon amour te perd à jamais si tu restes?
Que Schlemil peut ce soir te frapper dans mes bras?
Ne repousse pas ma prière;
Ma vie est à toi tout entière.
Partout je te promets d’accompagner tes pas.
HOFFMANN.
O Dieu! de quelle ivresse embrases-tu mon âme?
Comme un concert divin ta voix m’a pénétré;
D’un feu doux et brûlant mon être est dévoré;
Tes regards dans les miens ont épanché leur flamme
Comme des astres radieux,
Et je sens, ô ma bien aimée,
Passer ton haleine embaumée
Sur mes lèvres et sur mes yeux.
GIULIETTA.
Aujourd’hui, cependant, affermis mon courage
En me laissant quelque chose de toi!
HOFFMANN
Que veux-tu dire?
GIULIETTA.
Écoute, et ne ris pas de moi.
Elle enlace Hoffmann de ses bras et prend un miroir qui est sur la table.
Ce que je veux, c’est ta fidèle image
Qui reproduit tes traits, ton regard, ton visage,
Le reflet que tu vois sur le mien se pencher.
HOFFMANN.
Quoi! mon reflet? quelle folie!
GIULIETTA.
Non! … car il peut se détacher
De la glace polie
Pour venir tout entier dans mon coeur se cacher.
HOFFMANN.
Dans ton coeur?
GIULIETTA.
Dans mon coeur. C’est moi qui t’en supplie,
Hoffmann, comble mes voeux!
HOFFMANN.
Mon reflet?
GIULIETTA.
Ton reflet. Oui, sagesse ou folie,
Je l’attends, je le veux!
Ensemble.
HOFFMANN.
Extase! ivresse inassouvie,
Étrange et doux effroi!
Mon reflet, mon âme et ma vie
A toi, toujours à toi!
GIULIETTA
Si ta présence m’est ravie,
Je veux garder de toi
Ton reflet, ton âme et ta vie,
Ami, donne-les-moi!
Scène VI
Les Mêmes, Schlemil, Dapertutto, Nicklausse, Pitichinaccio.
GIULIETTA, vivement.
Schlemil!
Schlemil entre suivi de Nicklausse, Dapertutto, Pitichinaccio et quelques autres invités.
SCHLEMIL.
J’en étais sûr! Ensemble!
Il remonte, s’adressant aux invités.
Venez, messieurs, venez,
C’est pour Hoffmann, à ce qu’il semble,
Que nous sommes abandonnés.
Rires ironiques
HOFFMANN, presque parlé.
Monsieur!
GIULIETTA, à Hoffmann.
Silence!
Bas.
Je t’aime, il a ma clef.
PITICHINACCIO, à Schlemil.
Tuons-le.
SCHLEMIL.
Patience.
DAPERTUTTO, s’approchant d’Hoffmann.
Comme vous êtes pâle!
HOFFMANN.
Moi!
DAPERTUTTO, lui présentant un miroir.
Voyez plutôt!
HOFFMANN, stupéfait, en regardant le miroir.
Ciel!
NICKLAUSSE, à Hoffmann.
Quoi?
HOFFMANN, avec une sorte d’effroi.
Mon reflet!
Courant à deux grandes glaces alternativement.
J’ai perdu mon reflet!
NICKLAUSSE, en montrant Giulietta ironiquement.
Pour madame.
TOUS, moins Hoffmann et Nicklausse, en riant, d’une voix étouffée.
Ha! ha! ha! voyez son effroi.
NICKLAUSSE.
Ah! viens, fuyons ces lieux où tu perdras ton âme.
HOFFMANN, éperdu.
Non! non! je l’aime. Laisse-moi!
Ensemble.
HOFFMANN.
Hélas! mon coeur s’égare encore,
Mes sens se laissent embraser,
Maudit l’amour qui me dévore,
Ma raison ne peut s’apaiser.
Sous ce front clair comme une aurore
L’enfer même vient me griser.
Je la hais et je l’adore
Je veux mourir de son baiser.
GIULIETTA.
Mon bel Hoffmann, je vous adore,
Mais n’ai point l’âme à refuser
Ce diamant aux feux d’aurore
Qui ne me coûte qu’un baiser.
Car je suis femme et j’adore
Ce qui me fait plus belle encore
Pour vous griser.
Poète, il faut vous apaiser.
DAPERTUTTO ET PITICHINACCIO.
Pauvre Hoffmann, l’amour encor
Vainement vient t’embraser;
Ta belle au regard d’aurore
Nous a vendu son baiser.
Car la coquette s’adore;
Un bijou qui peut encore
L’embellir et nous griser
Vaut bien pour elle un baiser.
SCHLEMIL, en touchant la garde de son épée.
Ce poète que j’abhorre
Aurait bientôt son baiser
Sans ce fer clair et sonore
Dont je sais fort bien user.
Un fol amour te dévore?
Je suis là pour t’apaiser.
Tu prétends que l’on t’adore,
C’est bon, nous allons causer.
NICKLAUSSE ET LE CHOEUR.
Hélas! son coeur s’enflamme encore!
Par elle il s’est laissé griser.
L’amour le brûle et le dévore.
Rien ne pourra l’apaiser.
La perfide qu’il adore
Prend les coeurs pour les briser.
Fuis la belle au front d’aurore,
Car on meurt de son baiser.
On entend un chant de gondoliers.
Final.
GIULIETTA.
Écoutez, messieurs,
Voici les gondoles,
L’heure des barcarolles
Et celle des adieux!
Schlemil reconduit les invités jusqu’au fond de la scène Giulietta sort par la gauche après avoir jeté un dernier regard à Hoffmann qui la suit des yeux. Dapertutto reste au fond de la scène. Nicklausse, voyant qu’Hoffmann ne le suit pas, revient à lui et lui touche l’épaule.
NICKLAUSSE.
Viens-tu?
HOFFMANN.
Pas encore.
NICKLAUSSE.
Pourquoi?
Bien, je comprends! adieu!
A part.
Mais je veille sur toi.
Il salue Schlemil et sort.
SCHLEMIL.
Qu’attendez-vous, monsieur?
HOFFMANN.
Que vous me donniez certaine clef que j’ai juré d’avoir.
SCHLEMIL.
Vous n’aurez cette clef, monsieur, qu’avec ma vie!
HOFFMANN.
J’aurai donc l’une et l’autre.
SCHLEMIL.
C’est ce qu’il faut voir! En garde!
DAPERTUTTO.
Vous n’avez pas d’épée,
Lui présentant son épée.
prenez la mienne!
HOFFMANN, prenant l’épée.
Merci!
CHOEUR, dans la coulisse qui se termine au baisser du rideau.
Belle nuit, ô nuit d’amour!
Souris à nos ivresses,
Nuit plus douce que le jour,
O belle nuit d’amour!
Hoffmann et Schlemil se battent; après quelques passes, Schlemil est blessé à mort, et tombe. Hoffmann jette son épée, se penche sur le corps de Schlemil et lui prend une petite clef pendue à son cou. Hoffmann s’élance dans l’appartement de Giulietta. Pitichinaccio regarde Schlemil avec curiosité et s’assure qu’il est bien mort. Dapertutto ramasse tranquillement son épée et la remet au fourreau, puis il remonte vers la galerie … Giulietta paraît dans une gondole; au même moment rentre Hoffmann.
HOFFMANN.
Personne …
GIULIETTA, riant.
Ha! Ha! Ha!
Hoffmann se retourne vers Giulietta et la regarde avec stupeur.
DAPERTUTTO, à Giulietta.
Qu’en fais-tu maintenant?
GIULIETTA.
Je te l’abandonne!
PITICHINACCIO entre dans la gondole.
Cher ange!
Giulietta le prend dans ses bras.
HOFFMANN, comprenant toute l’infamie de Giulietta.
Misérable!
NICKLAUSSE.
Hoffmann! Hoffmann! Les sbires!
Nicklausse entraîne Hoffmann. – Giulietta et Dapertutto rient.
Acte quatrième
Antonia.
A Munich, cher Crespel. Une chambre bizarrement meublée. A droite, un clavecin. A gauche, canapé et fauteuil. Violons suspendus au mur. Au fond, deux portes en pan coupé. Sui le premier plan, à gauche, une fenêtre en pan coupé formant un enfoncement et donnant sur un balcon. Soleil couchant. Au fond, entre les deux portes, un grand portrait de femme accroché au mur.
Scène premiere
ANTONIA, seule. Elle est assise devant le clavecin et chante.
Elle a fui, la tourterelle,
Elle a fui loin de toi!
Elle s’arrête et se lève.
Ah! souvenir trop doux! image trop cruelle! …
Hélas! à mes genoux, je l’entends, je le vois! …
Elle descend sur le devant de la scène.
Elle a fui, la tourterelle,
Elle a fui loin de toi! …
Mais elle est toujours fidèle
Et te garde sa foi.
Bien-aimé, ma voix t’appelle,
Tout mon coeur est à toi.
Elle se rapproche du clavecin et continue debout, en feuilletant la musique.
Chère fleur qui viens d’éclore,
Par pitié, réponds-moi,
Toi qui sais s’il m’aime encore,
S’il me garde sa foi! …
Bien-aimé, ma voix t’implore.
Que ton coeur vienne à moi! …
Elle se laisse tomber sur la chaise qui est devant le clavecin.
Scène II
Crespel, Antonia.
CRESPEL, entrant brusquement et courant à Antonia.
Malheureuse enfant, fille bien-aimée
Tu m’avais promis de ne plus chanter
ANTONIA.
Ma mère s’était en moi ranimée;
Mon coeur en chantant croyait l’écouter.
CRESPEL.
C’est là mon tourment. Ta mère chérie
T’a légué sa voix, regrets superflus!
Par toi je l’entends. Non … non … je t’en prie.
ANTONIA, tristement.
Votre Antonia ne chantera plus! …
Elle sort lentement.
Scène III
CRESPEL, seul.
Désespoir! … Tout à l’heure encore
Je voyais ces taches de feu
Colorer son visage, Dieu!
Perdrai-je l’enfant que j’adore?
Ah! cet Hoffmann … C’est lui
Qui jeta dans son coeur ces ivresses … J’ai fui
Jusqu’à Munich …
Scène IV
Crespel, Frantz.
CRESPEL.
Toi, Frantz, n’ouvre à personne.
FRANTZ, fausse sortie.
Vous croyez …
CRESPEL.
Où vas-tu? …
FRANTZ.
Je vais voir si l’on sonne.
Comme vous avez dit …
CRESPEL.
J’ai dit: n’ouvre à personne!
Criant.
A personne! Entends-tu, cette fois?
FRANTZ.
Eh! mon Dieu!
Je ne suis pas sourd!
CRESPEL.
Bien! que le diable t’emporte!
FRANTZ.
Oui, monsieur, la clef sur la porte.
CRESPEL.
Bélître! Ane bâté!
FRANTZ.
C’est convenu.
CRESPEL.
Morbleu!
Il sort vivement. Frantz va refermer la porte et redescend.
Scène V
Frantz, seul.
Eu bien! Quoi! toujours en colère!
Bizarre! quinteux! exigeant!
Ah! l’on a du mal à lui plaire
Pour son argent …
Jour et nuit je me mets en quatre,
Au moindre signe je me tais,
C’est tout comme si je chantais! …
Encore non, si je chantais,
De ses mépris il lui faudrait rabattre.
Je chante seul quelquefois;
Mais chanter n’est pas commode!
Tra la la! Tra la la!
Ce n’est pourtant pas la voix
Qui me fait défaut, je crois…
Tra la la! Tra la la!
Non! c’est la méthode.
Dame! on n’a pas tout en partage.
Je chante pitoyablement;
Mais je danse agréablement,
Je me le dis sans compliment.
Corbleu! la danse est à mon avantage,
C’est là mon plus grand attrait,
Et danser n’est pas commode.
Tra la la! Tra la la!
Il danse. Il s’arrête.
Près des femmes le jarret
N’est pas ce qui me nuirait.
Tra la la! Tra la la!
Il tombe.
Non! c’est la méthode.
Hoffmann entre par le fond, suivi de Nicklausse.
Scène VI
Frantz, Hoffmann, Nicklausse.
HOFFMANN paraît à la porte du fond.
Frantz! … C’est ici!
Il descend en scène, touchant l’épaule de Frantz.
Debout, l’ami.
FRANTZ.
Hein! qui va là?
Il se relève surpris.
Monsieur Hoffmann!
HOFFMANN.
Moi-même! Eh bien, Antonia?
FRANTZ.
Il est sorti, monsieur.
HOFFMANN, riant.
Ha! ha! plus sourd encore
Que l’an passé? …
FRANTZ.
Monsieur m’honore
Je me porte bien, grâce au ciel.
HOFFMANN.
Antonia! … Va! … fais que je la voie!
FRANTZ, souriant.
Très bien! … Quelle joie
Pour monsieur Crespel!
Il sort.
HOFFMANN, s’asseyant devant le clavecin et s’accompagnant.
C’est une chanson d’amour
Qui s’envole,
Triste ou folle
Tour à tour! …
ANTONIA, entrant précipitamment en scène.
Hoffmann! …
HOFFMANN se relevant et recevant Antonia dans ses bras.
Antonia! …
NICKLAUSSE, à part.
Je suis de trop bonsoir.
Il s’esquive.
Scène VII
Hoffmann, Antonia.
ANTONIA.
Ah! je le savais bien que tu m’aimais encore!
HOFFMANN.
Mon coeur m’avait bien dit que j’étais regretté!
Mais pourquoi nous a-t-on séparés?
ANTONIA.
Je l’ignore.
Ensemble.
HOFFMANN.
Ah! j’ai le bonheur dans l’âme!
Demain tu seras ma femme.
Heureux époux
L’avenir est à nous!
A l’amour soyons fidèles!
Que ses chaînes éternelles
Gardent nos coeurs
Du temps même vainqueurs!
ANTONIA.
Ah! j’ai le bonheur dans l’âme!
Demain, je serai ta femme!
Heureux époux,
L’avenir est à nous!
Chaque jour, chansons nouvelles!
Ton génie ouvre ses ailes!
Mon chant vainqueur
Est l’écho de ton coeur!
HOFFMANN, souriant.
Pourtant, ô ma fiancée,
Te dirai-je une pensée
Qui me trouble malgré moi?
La musique m’inspire un peu de jalousie,
Tu l’aimes trop!
ANTONIA, souriant.
Voyez l’étrange fantaisie!
T’aimé-je donc pour elle, ou l’aimé-je pour toi?
Car toi tu ne vas pas sans doute me défendre
De chanter, comme a fait mon père?
HOFFMANN.
Que dis-tu?
ANTONIA.
Oui, mon père à présent, m’impose la vertu
Du silence.
Vivement.
Veux-tu m’entendre?
HOFFMANN, à part.
C’est étrange! … Est-ce donc…
ANTONIA, l’entraînant vers le clavecin.
Viens là, comme autrefois.
Écoute et tu verras si j’ai perdu ma voix.
HOFFMANN.
Comme ton oeil s’anime et comme ta main tremble!
ANTONIA, le faisant s’asseoir devant le clavecin et se penchant sur son épaule.
Tiens, ce doux chant d’amour que nous chantions ensemble.
Elle chante, accompagnée par Hoffmann.
C’est une chanson d’amour
Qui s’envole
Triste ou folle
Tour à tour;
C’est une chanson d’amour.
La rose nouvelle
Sourit au printemps.
Las! … combien de temps
Vivra-t-elle?
Ensemble.
C’est une chanson d’amour
Qui s’envole,
Triste ou folle
Tour à tour.
C’est une chanson d’amour.
HOFFMANN.
Un rayon de flamme
Pare ta beauté.
Verras-tu l’été,
Fleur de l’âme?
Ensemble.
C’est une chanson d’amour
Qui s’envole
Triste ou folle
Tour à tour.
C’est une chanson d’amour.
Antonia porte la main à son coeur et semble prête à défailli.
HOFFMANN.
Qu’as-tu donc?
ANTONIA, mettant la main à son coeur.
Rien.
HOFFMANN, écoutant.
Chut!
ANTONIA.
Ciel! mon père!
Viens! … viens! …
Elle sort.
HOFFMANN.
Non! je saurai le mot de ce mystère
Il se cache dans l’enfoncement de la fenêtre, Crespel paraît.
Scène VIII
Crespel, Hoffmann caché, puis Frantz.
CRESPEL, regardant autour de lui.
Non, rien! J’ai cru qu’Hoffmann était ici.
Puisse-t-il être au diable!
HOFFMANN, à part.
Grand merci!
FRANTZ, entrant, à Crespel.
Monsieur!
CRESPEL.
Quoi?
FRANTZ.
Le docteur Miracle.
CRESPEL.
Drôle! … infâme!
Ferme vite la porte!
FRANTZ.
Oui, monsieur, médecin …
CRESPEL.
Lui! médecin? Non, sur mon âme,
Un fossoyeur, un assassin!
Qui me tuerait ma fille après ma femme.
J’entends le cliquetis de ses flacons dans l’air.
Loin de moi qu’on le chasse.
Miracle paraît subitement. Frantz se sauve.
Scène IX
Les Mêmes, Miracle.
MIRACLE.
Ha! ha! ha! ha!
CRESPEL.
Enfin!
MIRACLE.
Eh bien! me voilà! c’est moi-même.
Ce bon monsieur Crespel, je l’aime!
Où donc est-il?
CRESPEL, l’arrêtant.
Morbleu!
MIRACLE.
Ha! ha! ha! ha!
Je cherchais votre Antonia!
Eh bien! ce mal qu’elle hérita
De sa mère? Toujours en progrès? chère belle
Nous la guérirons. Menez-moi près d’elle.
CRESPEL.
Pour l’assassiner! … Si tu fais un pas,
Je te jette par la fenêtre.
MIRACLE.
Eh! là! tout doux! Je ne veux pas
Vous déplaire.
Il avance un fauteuil.
CRESPEL.
Que fais-tu, traître?
MIRACLE.
Pour conjurer le danger,
Il faut le connaître.
Laissez-moi l’interroger.
CRESPEL ET HOFFMANN.
L’effroi me pénètre.
Ensemble.
MIRACLE, la main étendue vers la chambre d’Antonia.
A mon pouvoir vainqueur
Cède de bonne grâce! …
Près de moi, sans terreur,
Viens ici prendre place,
Viens!
CRESPEL ET HOFFMANN.
D’épouvante et d’horreur
Tout mon être se glace.
Une étrange terreur
M’enchaîne à cette place,
J’ai peur.
CRESPEL, s’asseyant sur le tabouret du clavecin.
Allons, parle, et sois bref!
Miracle continue ses passes magnétiques. La porte de la chambre d’Antonia s’ouvre lentement. Miracle indique par ses gestes qu’il prend la main d’Antonia invisible, qu’il la mène près de l’un des fauteuils et la fait s’asseoir.
MIRACLE, indiquant l’un des fauteuils et s’asseyant sur l’autre.
Veuillez vous asseoir là!
CRESPEL.
Je suis assis!
MIRACLE, sans répondre à Crespel.
Quel âge avez-vous, je vous prie?
CRESPEL.
Qui? moi?
MIRACLE.
Je parle à votre enfant.
HOFFMANN, À part.
Antonia?
MIRACLE.
Quel âge? …
Il écoute.
Vingt ans!
CRESPEL.
Hein?
MIRACLE.
Le printemps de la vie! …
Il fait le geste d’un homme qui tâte le pouls.
Voyons la main! …
CRESPEL.
La main? …
MIRACLE, tirant sa montre.
Chut! Laissez-moi compter.
HOFFMANN, à part.
Dieu! … suis-je le jouet d’un rêve? … Est-ce un fantôme?
MIRACLE.
Le pouls est inégal et vif, mauvais symptôme!
Chantez!..
CRESPEL, se levant.
Non, non, tais-toi! … ne la fais pas chanter!..
La voix d’Antonia se fait entendre dans l’air.
MIRACLE.
Voyez, son front s’anime et son regard flamboie;
Elis porte la main à son coeur agité.
Il semble suivre Antonia du geste, la porte de la chambre se referme brusquement.
CRESPEL.
Que dit-il?
MIRACLE, se levant et remettant un des fauteuils en place.
Il serait dommage, en vérité,
De laisser à la mort une si belle proie!
CRESPEL.
Tais-toi! …
Il repousse violemment l’autre fauteuil.
MIRACLE.
Si vous voulez accepter mon secours,
Si vous voulez sauver ses jours,
J’ai là certains flacons que je tiens en réserve.
Il tire plusieurs flacons de sa poche et les fait sonner comme des castagnettes.
CRESPEL.
Tais-toi! …
MIRACLE.
Dont il faudrait …
CRESPEL.
Tais-toi! Dieu me préserve
D’écouter tes conseils, misérable assassin! …
MIRACLE.
Dont il faudrait, chaque matin …
Ensemble.
MIRACLE.
Eh oui! je vous entends!
Tout à l’heure! un instant!
Des flacons! pauvre père,
Vous en serez, j’espère
Content!
CRESPEL.
Va-t’en! va-t’en! va-t’en!
Hors de chez moi, Satan!
Redoute la colère
Et la douleur d’un père!
Va-t’en!
HOFFMANN, à part.
A la mort qui t’attend,
Je saurai, pauvre enfant,
T’arracher, je l’espère!
Tu ris en vain d’un père,
Satan!
MIRACLE, continuant toujours avec le même flegme.
Dont il faudrait …
CRESPEL.
Va-t’en!
MIRACLE.
Chaque matin …
CRESPEL.
Va-t’en! …
Il pousse Miracle dehors, par la porte du fond et la reforme sur lui.
Ah! le voilà dehors et ma porte est fermée
Nous sommes seuls enfin,
Ma fille bien aimée!
MIRACLE, rentrant par la muraille.
Dont il faudrait chaque matin …
CRESPEL.
Ah! misérable!
Viens! … viens! … Les flots puissent-ils t’engloutir
Nous verrons si le diable
T’en fera sortir! …
Ensemble.
Va-t’en! Va-t’en! Va-t’en!
Hors de chez moi, Satan!
Redoute la colère
Et la douleur d’un père,
Va-t’en!
HOFFMANN, à part.
A la mort qui t’attend,
Je saurai, pauvre enfant,
T’arracher, je l’espère!
Tu ris en vain d’un père,
Satan!
MIRACLE.
Dont il faudrait …
CRESPEL.
Va-t’en!
MIRACLE.
Chaque matin …
CRESPEL.
Va-t’en!
Il suit Miracle qui sort à reculons en faisant sonner ses flacons. Ils disparaissent ensemble.
Scène X
Hoffmann seul, puis Antonia.
HOFFMANN redescend en scène.
Ne plus chanter! hélas! Comment obtenir d’elle
Un pareil sacrifice?
ANTONIA paraît.
Eh bien?
Mon père, qu’a-t-il dit?
HOFFMANN.
Ne me demande rien,
Plus tard tu sauras tout; une route nouvelle
S’ouvre à nous, mon Antonia! …
Pour y suivre mes pas, chasse de ta mémoire
Ces rêves d’avenir, de succès et de gloire
Que ton coeur au mien confia.
ANTONIA.
Mais toi-même?
HOFFMANN.
L’amour tous les deux nous convie,
Tout ce qui n’est pas toi n’est plus rien dans ma vie.
ANTONIA.
Tiens donc! voici ma main!
HOFFMANN.
Ah! chère Antonia! Pourrai-je reconnaître
Ce que tu fais pour moi?
Il lui baise les mains.
Ton père va peut-être
Revenir, je te quitte … à demain!
ANTONIA
A demain!
Hoffmann sort. Antonia le regarde s’éloigner. Après un moment, elle redescend en scène.
Scène XI
Antonia, puis Miracle.
ANTONIA, allant ouvrir une des portes latérales.
De mon père aisément il s’est fait le complice!
Allons, les pleurs sont superflus,
Je l’ai promis, je ne chanterai plus.
Elle se laisse tomber sur un fauteuil.
MIRACLE, surgissant tout à coup derrière elle et se penchant à son oreille.
Tu ne chanteras plus? Sais-tu quel sacrifice
S’impose ta jeunesse, et l’as-tu mesuré?
La grâce, la beauté, le talent, don sacré,
Tous ces biens que le ciel t’a livrés en partage,
Faut-il les enfouir dans l’ombre d’un ménage?
N’as-tu pas entendu, dans un rêve orgueilleux,
Ainsi qu’une forêt par le vent balancée,
Ce doux frémissement de la foule pressée
Qui murmure ton nom et qui te suit des yeux?
Voilà l’ardente joie et la fête éternelle
Que tes vingt ans en fleur sont près d’abandonner,
Pour les plaisirs bourgeois où l’on veut t’enchaîne
Et des marmots d’enfants qui te rendront moins belle!
ANTONIA, sans se retourner.
Ah! quelle est cette voix qui me trouble l’esprit?
Est-ce l’enfer qui parle ou Dieu qui m’avertit?
Non, non, ce n’est pas là le bonheur, voix maudite,
Et contre mon orgueil mon amour s’est armé;
La gloire ne vaut pas l’ombre heureuse où m’invite
La maison de mon bien-aimé.
MIRACLE.
Quelles amours sont donc les vôtres?
Hoffmann te sacrifie à sa brutalité;
Il n’aime en toi que ta beauté,
Et pour lui, comme pour les autres,
Viendra bientôt le temps de l’infidélité! …
Il disparaît.
ANTONIA, se levant.
Non, ne me tente plus! … Va-t’en,
Démon! … Je ne veux plus t’entendre.
J’ai juré d’être à lui, mon bien-aimé m’attend,
Je ne m’appartiens plus et ne puis me reprendre;
Et tout à l’heure encor, sur son coeur adoré,
Quel éternel amour ne m’a-t-il pas juré; ! …
Ah! qui me sauvera du démon, de moi-même? …
Ma mère! ô ma mère! … je l’aime! …
Elle va tomber en pleurant près du clavecin.
MIRACLE reparaît derrière Antonia.
Ta mère? … Oses-tu l’invoquer? …
Ta mère? Mais n’est-ce pas elle
Qui parle par ma voix, ingrate, et te rappelle
La splendeur de son nom que tu veux abdiquer?
Le portrait s’éclaire et semble s’animer. C’est le fantôme de la mère qui apparaît à la place de la peinture.
Écoute! …
LA VOIX.
Antonia!
ANTONIA.
Dieu! … ma mère! ma mère.
Ensemble.
LE FANTOME.
Cher enfant que j’appelle
Comme autrefois,
C’est ta mère, c’est elle,
Entends sa voix!
ANTONIA
Ma mère!
MIRACLE.
Oui! oui! c’est sa voix, l’entends-tu?
Sa voix, meilleure conseillère,
Qui te lègue un talent que le monde a perdu!
LE FANTOME.
Antonia!
MIRACLE.
Écoute! Elle semble revivre
Et le public lointain de ses bravos l’enivre!
ANTONIA, se levant.
Ma mère!
LE FANTOME.
Antonia!
MIRACLE.
Reprends donc avec elle! …
Il saisit un violon et accompagne avec une sorte de fureur.
Ensemble.
ANTONIA.
Oui, son âme m’appelle
Comme autrefois!
C’est ma mère, c’est elle,
J’entends sa voix!
LE FANTOME.
Cher enfant que j’appelle
Comme autrefois,
C’est ta mère, c’est elle!
Entends sa voix!
ANTONIA.
Non! assez! … Je succombe!
MIRACLE.
Encore
ANTONIA.
Je ne veux plus chanter.
MIRACLE.
Encore!
ANTONIA.
Quelle ardeur m’entraîne et me dévore?
MIRACLE.
Encore! Pourquoi t’arrêter?
ANTONIA, haletante.
Je cède au transport qui m’enivre!
Quelle flamme éblouit mes yeux! …
Un seul moment encore à vivre,
Et mon âme s’envole aux cieux!
Ensemble.
LE FANTOME.
Cher enfant que j’appelle
etc.
ANTONIA.
C’est ma mère, c’est elle,
etc.
ANTONIA.
Ah!
Elle vient tomber mourante sur le canapé. Miracle s’engloutit dans la terre en poussant un éclat de rire. La fantôme disparaît et le portrait reprend son premier aspect.
Scène XII
Antonia, Crespel, puis Hoffmann, Nicklausse Miracle et Frantz.
CRESPEL, accourant.
Mon enfant! … ma fille! … Antonia! …
ANTONIA, expirante.
Mon père! …
Écoutez! c’est ma mère
Qui m’appelle! … Et lui … de retour …
C’est une chanson d’amour …
Qui s’envole …
Triste ou folle …
Elle meurt.
Non! … un seul mot! … un seul! … ma fille … parle-moi.
Mais parle donc! … Mort exécrable! …
Non! … pitié! … grâce! … Éloigne-toi!
HOFFMANN, entrant précipitamment.
Pourquoi ces cris?
CRESPEL.
Hoffmann! … ah! misérable!
C’est toi qui l’as tuée! …
HOFFMANN, courant à Antonia.
Antonia! …
CRESPEL, courant avec égarement.
Du sang!
Pour colorer sa joue! … Une arme,
Un couteau! …
Il saisit un couteau sur une table et va pour s’élancer sur Hoffmann.
NICKLAUSSE, entrant en scène et arrêtant Crespel.
Malheureux! …
HOFFMANN, à Nicklausse.
Vite! … donne l’alarme! …
Un médecin! … un médecin! …
MIRACLE, paraissant.
Présent!
Il s’approche d’Antonia et lui tâte le pouls.
Morte!
CRESPEL, éperdu.
Ah! Dieu, mon enfant! ma fille!
HOFFMANN, avec désespoir.
Antonia!
Frantz est entré le dernier et s’est agenouillé près d’Antonia.
Epilogue
Stella.
Même décoration qu’au premier acte.
Scène première
Hoffmann, Nicklausse, Lindorf, Nathanael, Hermann, Wilhelm, Wolframm, Luther. Les Étudiants.
On retrouve tous les personnages dans la situation où on les a laissés à la fin du premier acte.
HOFFMANN.
Voilà quelle fut l’histoire
De mes amours
Dont la mémoire
En mon coeur restera toujours.
LUTHER, entrant.
Grand succès, on acclame
Notre prima donna.
LINDORF, à part.
Il n’est plus à craindre … à moi la diva!
Il s’esquive.
Nathanael.
Qu’a de commun Stella?
NICKLAUSSE, se levant.
Ah! je comprends! trois drames dans un drame
Olympia … Antonia … Giulietta …
Ne sont qu’une même femme:
La Stella!
LE CHOEUR.
La Stella!
NICKLAUSSE.
Buvons à cette honnête dame!
HOFFMANN, furieux, brisant son verre.
Un mot de plus et sur mon âme
Je te brise comme ceci! …
NICKLAUSSE.
Moi, ton mentor? Merci! …
HOFFMANN.
Ah! je suis fou! … A nous le vertige divin
Des esprits de l’alcool, de la bière et du vin!
A nous l’ivresse et la folie,
Le néant par qui l’on oublie.
LE CHOEUR.
Allumons le punch! … grisons-nous!
Et que les plus fous
Roulent sous la table.
Luther est un brave homme,
Tire lan laire, tire lan la!
C’est demain qu’on l’assomme
Tire lan laire, tire lan la!
Sa cave est d’un bon drille,
Tire lan laire, tire lan la!
C’est demain qu’on la pille!
Tire lan laire, tire lan la!
Jusqu’au matin
Remplis mon verre,
Jusqu’au matin
Remplis les pots d’étain!
Les étudiants entrent en tumulte dans la salle voisine. Hoffmann reste comme frappé de stupeur.
Scène II
Hoffmann, La Muse.
LA MUSE, paraissant.
Et moi? Moi, la fidèle amie
Dont la main essuya tes yeux?
Par qui la douleur endormie
S’exhale en rêve dans les cieux?
Ne suis-je rien? Que le tempête
Des passions s’apaise en toi!
L’homme n’est plus; renais poète!
Je t’aime, Hoffmann! appartiens-moi!
Des cendres de ton coeur réchauffe ton génie,
Dans la sérénité souris à tes douleurs,
La Muse adoucira ta souffrance bénie,
On est grand par l’amour et plus grand par les pleurs!
Elle disparaît.
HOFFMANN, Seul.
O Dieu! de quelle ivresse embrases-tu mon âme,
Comme un concert divin ta voix m’a pénétré,
D’un feu doux et brûlant mon être est dévoré,
Tes regards dans les miens ont épanché leur flamme,
Comme des astres radieux,
Et je sens, ô Muse aimée,
Passer ton haleine embaumée
Sur mes lèvres et sur mes yeux!
Il tombe, le visage sur une table.
Scène III
Hoffmann, Stella, Lindorf, Nicklausse, Les Étudiants.
STELLA, allant vers Hoffmann.
Hoffmann endormi! …
NICKLAUSSE.
Non! … ivre-mort! … Trop tard, madame!
LINDORF.
Corbleu!
NICKLAUSSE.
Tenez, voilà le conseiller Lindorf qui vous attend.
Stella prend son manteau des mains d’Andrès et le jette sur ses épaules; puis elle s’appuie sur le bras de Lindorf, s’arrête au bout de quelques pas pour regarder Hoffmann, détache une fleur de son bouquet et la jette à ses pieds. Hoffmann la suit des yeux avec une sorte de stupeur. Pendant cette scène muette, les étudiants chantent en frappant bruyamment des gobelets sur les table.
LE CHOEUR.
Jusqu’au matin
Remplis mon verre!
Jusqu’au matin
Remplis les pots d’étain!
Fin