Pierre-Alexandre Monsigny

Le déserteur

Drame en trois Actes, en prose mêlée de musique

Libretto von Michel-Jean Sedaine

Uraufführung: 06.03.1769, Comédie Italienne, Paris

Personnages

Alexis, soldat de milice

Montauciel, dragon

Jean-Louis, père de Louise

Bertrand, cousin d’Alexis

Courchemin, brigadier de maréchaussée

Le Geolier

Louise, fiancée d’Alexis

Jeannette, jeune paysanne

La Tante D’Alexis

Gardes, Soldats, Peuple

La scène se passe près d’un village situé à quelques lieues des frontières de Flandre, près desquelles est campée l’armée française.
Acte premier

Le théâtre représente un lieu champêtre, dont l’horizon est terminé par une montagne. Un chêne sur le devant de la scène, à gauche. Au pied de ce chêne est un banc de gazon, sur lequel peuvent s’asseoir trois ou quatre personnes. Chaumière à droite, près de laquelle est un banc sous un berceau.

Scène première

Louise, Jean-Louis.

LOUISE seule.

Air.

Peut-on affliger ce qu’on aime?
Pourquoi chercher
A le fâcher?
Peut-on affliger ce qu’on aime?
C’est bien en vouloir à soi-même.
Je l’aime, et pour toute ma vie:

Jean-Louis entre par un des derniers plana de gauche, et se placo à la gauche de sa fille.

Et vous voulez que cette perfidie …
Ah! mon père, je ne saurais:
A sa place, moi, j’en mourrais.
Peut-on affliger ce qu’on aime?
C’est bien en vouloir à soi-même.
Je le veux, je le veux. Eh bien!
LOUISE, à part. Ah! ciel!

Scène II

JEAN-LOUIS, LOUISE; LA TANTE, JEANNETTE, BERTRAND, accourant des derniers plans de gauche, s’écrient avec joie, et a plusieurs reprises: On l’a vu! on l’a vu!
BERTRAND, entrant le dernier en sautant à la corde, dit en continuant à sauter: Il était de l’autre côté de l’eau.
LOUISE, avec joie. Vous l’avez vu? Et comment avez-vous fait?
BERTRAND, sautant toujours. En regardant.
LOUISE, en levant les épaules de pitié. En regardant!
LA TANTE. J’ai vu l’instant qu’il allait se jeter à la nage: mais son havresac, son épée, tout cela l’embarrassait. Il fait le tour.
LOUISE. Il a bien fait.
JEAN-LOUIS. Il a bien fait.
JEANNETTE. Il a bien fait.
BERTRAND, niaisant. Oui, oui, il a bien fait.
JEAN-LOUIS. Or çà, Louise, il faut que tu fasses ce qu’a recommandé madame la duchesse.
LOUISE. Quelle fantaisie!
JEAN-LOUIS. Elle le veut; et voilà sa lettre.
LA TANTE. Elle le veut; et voilà sa lettre.
BERTRAND. Et voilà sa lettre.
LOUISE. Vous ne voulez pas nous la lire?
JEAN-LOUIS. Si, si, si, je vais vous la lire: mais il faut bien m’écouter, et ne pas m’interrompre, comme vous faites les soirs, quand je lis dans mon gros livre.
LOUISE. Lisez donc, mon père.
JEAN-LOUIS. Or ça, écoutez. Mettons-nous là.

Il indique un banc à droite.

LOUISE. Ah! mon père, mettons-nous plutôt sous cet arbre.
JEAN-LOUIS. Où tu voudras, je le veux bien. Mettez-vous là, vous, Marguerite, et toi près de moi; tu y es la plus intéressée.

Louise, Jean-Louis et la tante s’asseyent sur le banc de gazon placé sous le chêne de gauche. Jeannette écoute debout, à la gauche de la tante, la lecture de la lettre. Au moment où Jean-Louis, qui a mis ses lunettes, va pour commencer la lecture de la lettre, Bertrand, tout en continuant à sauter à la corde, arrive pour s’asseoir aussi. Voyant toutes les places occupées, il dit d’un air piteux.

BERTRAND. Et moi donc?
JEAN-LOUIS. Mets-toi où tu voudras.
LA TANTE. Mets-toi où tu voudras.

Bertrand cherche des yeux un endroit pour a’sseoir; n’en voyant aucun, il s’assied par terre, prend une petite branche d’arbre, dont, avec son couteau, il ôte l’écorce pour en faire une baguette. Jean-Louis impatienté s’écrie:

JEAN-LOUIS. Oh çà, écoutez-vous?
LOUISE. Oui.
LA TANTE. Oui.
JEANNETTE. Oui.
BERTRAND. Ah! que oui.
JEAN-LOUIS. Vous écoutez tous?
LOUISE. Tous.
LA TANTE. Tous.
JEANNETTE. Tous.
BERTRAND. Oui, tous, tous.
JEAN-LOUIS. Ce n’est pas là la lettre que madame la duchesse a écrite à cet officier, c’est la réponse de l’officier à madame la duchesse … Tais-toi, toi.
BERTRAND, laissant tomber sa baguette. Eh! mais, je n’ai pas parlé.
LOUISE. Il n’a pas parlé.
LA TANTE. Il n’a pas parlé.
JEANNETTE. Il n’a pas parlé.
JEAN-LOUIS. J’ai cru qu’il avait parlé. Il lit. »Madame, pour répondre à l’honneur que vous m’avez fait de m’écrire …« Brr …br …br …
LOUISE. Nous n’entendons pas.
JEAN-LOUIS. Ah! c’est que tout ceci, ce sont des compliments, qui sont peut-être des secrets que madame la duchesse ne veut pas qu’on sache. Brr … brr … brr …
LOUISE. Mais, mon père, ce n’est pas la peine que nous écoutions.
LA TANTE. Sans doute.
JEAN-LOUIS. Ah! m’y voilà. »Madame, quant à ce qui regarde Alexandre Spinaski, soldat dans mon régiment, il n’est pas de bien que je ne doive en dire: que je ne doive en dire. Il a toutes les qualités qui font un bon soldat, sage, docile et brave.« Il n’entend pas dire qu’il est brave sur soi, c’est courageux qu’il veut dire.
LOUISE. Après, mon père.
JEAN-LOUIS. »Il est vif, ardent. Mais si trop d’ardeur le fait sortir des bornes, il y rentre aussitôt.« Il y rentre aussitôt: je ne sais pas trop ce que cela veut dire.
BERTRAND. Comment, vous ne comprenez pas?
JEAN-LOUIS. Non.
BERTRAND. Ça veut dire que quand il sort des bornes il y rentre tout de suite.
LOUISE. Ensuite, mon père.
JEAN-LOUIS. »Je désire de tout mon coeur qu’il veuille rester « avec moi: je le ferais officier dans mon régiment.«
LA TANTE. Dans son régiment!
BERTRAND. Dans son régiment!
LOUISE. Ah! je ne crois pas qu’il y reste.
JEAN-LOUIS. Paix donc! »Mais comme ses six ans expirent dans« quinze jours, je lui ferai expédier son congé.«

Ici, Bertrand, qui a fini de jouer avec sa baguette qu’il laisse de côté, près du banc de gazon, aperçoit une mouche sur le vêtement de Jeannette qui écoute avec attention la lecture de la lettre; Bertrand se lève avec précaution, attrape la mouche, paraît fort satisfait de son adresse, s’arrache un long cheveu, s’en sert pour attacher une patte à sa mouche, qu’il s’amuse à faire voler, en tenant un des bouts du cheveu. Tout à coup la mouche s’envole emportant avec elle le cheveu. Bertrand paraît fort contrarié, et se remet à jouer avec des capucins de cartes, etc.

LOUISE. Dans quinze jours?
LA TANTE. Dans quinze jours?
JEAN-LOUIS. Dans quinze jours. »Je l’envoie, madame, à vos ordres, vous présenter mes respects et vous remercier. Je lui ai recommandé de ne pas s’écarter, étant si près de l’ennemi et des frontières. Les ordres sont extrêmement rigoureux, et il faut qu’il rejoigne aujourd’hui; car le roi, qui dîne demain à deux lieues de votre château, passe ensuite au camp; et il faudra se mettre sous les armes.« Ah! c’est que quand le roi passe … On se lève. Vous ne savez pas ça, vous autres, c’est que quand le roi passe, on se met sous les armes. Ah! c’est une belle chose que la guerre.
BERTRAND. Oui, quand on en est revenu.
JEANNETTE. Pourquoi est-ce que les garçons pleurent pour n’y pas aller?
JEAN-LOUIS. Taisez-vous, ça ne vous regarde pas. A Louise. Or çà, ma fille, il faut faire ce que madame la duchesse a dit: tu feras comme si tu étais la mariée; et toi tu seras le marié.
BERTRAND. Ah! tant mieux.
JEAN-LOUIS. Il y aura des musettes, des violons; et il croira que tu es mariée d’hier. Et toi, A Jeannette. tu lui viendras conter tout cela: tu feras comme si tu gardais tes moutons ici.
LA TANTE. J’aurais mieux fait qu’elle.
JEAN-LOUIS. Il vous connaît: il ne reconnaîtrait pas sa tante!
LOUISE. Ah! mon père, que je suis fâchée de tout cela! et si on me faisait un pareil tour, cela me ferait bien de la peine.
JEAN-LOUIS. Il en aura plus de plaisir après.
LA TANTE. Et puis cela lui apprendra de t’écrire qu’il désire te rencontrer sur la route, ne voir que toi, et repartir.
LOUISE. Ce n’est pas tout à fait cela qu’il a écrit; mais quand cela serait, pourquoi m’en punir?
LA TANTE. Enfin, c’est madame la duchesse qui le veut: elle l’a élevé; elle s’intéresse à lui, que c’est une merveille.
LOUISE. Un bel intérêt, à lui faire du chagrin!
JEAN-LOUIS. Ce n’est que pour un moment.
LOUISE. Il n’en croira rien; car il n’y a pas six jours qu’il a reçu une lettre de moi.
JEAN-LOUIS. Tant mieux, cela sera plus perfide.
LA TANTE. Oui, cela lui fera plus de peine.
JEAN-LOUIS. Allez vous ajuster tous, vous n’avez pas trop de temps. A Jeannette. Et toi, reste ici avec moi: voyons si tu feras bien ton rôle.

Louise et la tante s’éloignent par les derniers plans de gauche. Bertrand sort le dernier, en continuant de sauter à la corde.

Scène III

Jeannette, Jean-Louis.

JEAN-LOUIS. Or çà, feras-tu bien ce que je t’ai dit?
JEANNETTE. Oh! que oui, monsieur Jean-Louis.
JEAN-LOUIS. Voyons, voyons; mets-toi là.
JEANNETTE. Oui.
JEAN-LOUIS. Fais comme si tu filais.
JEANNETTE, prenant la baguette que Bertrand a laissée tombes Tenez, prenons que c’est là ma quenouille.
JEAN-LOUIS remonte le théâtre, se rapproche de Jeannette, lui fait le salut militaire, et cherche à imiter Alexis. Bonjour, la jeune fille … Voulez- vous bien me … Voyant que Jeannette no bouge pas. Ce n’est pas ça … ce n’est pas ça … Tiens … suppose que je suis la jeune fille.
JEANNETTE, naïvement. Qui? vous, la jeune fille!
JEAN-LOUIS. Oui, oui, moi la jeune fille.
JEANNETTE. Ah! j’y suis … A Jean-Louis. Dites- donc, la jeune fille?
JEAN-LOUIS, imitant une jeune fille. Monsieur le soldat? Chantant en fuyant sur l’avant-scène de droite. J’avais égaré mon fuseau … A Jeannette, en redevenant Jean-Louis. Tu comprends?
JEANNETTE. Oui, oui …
JEAN-LOUIS. Et puis tu chantes.
JEANNETTE. Oui, je chante, quand vous venez de par là.
JEAN-LOUIS. Non, pas moi.
JEANNETTE. Ah! j’entends bien, j’entends bien: c’est lui.
JEAN-LOUIS. Eh bien, chante donc.
JEANNETTE. Attendez donc que j’aie mis ma quenouille.

Pendant ce jeu, la ritournella.

Couplets

J’avais égaré mon fuseau,
Je le cherchais sur la fougère;
Colin, en m’ôtant son chapeau,
Me dit: Que cherchez-vous, bergère?
Un peu d’amour, un peu de soin,
Mènent souvent un coeur bien loin.
JEAN-LOUIS. Bonjour, la jeune fille. Jean-Louis se rapproche de Jeannette, qui ne fait nulle attention à lui. Bien, bien: continue.
JEANNETTE.
C’est que j’ai perdu mon fuseau,
En passant près de ce grand chêne.
Colin alors prend son couteau,
Et coupe une branche de frêne.
Un peu d’amour, etc,
JEAN-LOUIS. La jeune fille, écoutez donc. Même jeu. Bien, bien, fort bien: continue.
JEANNETTE.
Il fit tant avec son couteau,
En me regardant d’un air tendre,
Que j’eus le fuseau le plus beau,
Et que mon coeur se laissa prendre.
Un peu d’amour, etc.
JEAN-LOUIS. La jeune fille, vous ne voulez donc pas m’écouter?
JEANNETTE. Vous me pardonnerez, monsieur Jean- Louis.
JEAN-LOUIS. Monsieur Jean-Louis: dis donc monsieur le soldat, et non pas monsieur Jean-Louis.
JEANNETTE. Ah! oui, oui, monsieur‘ le soldat: c’est que je vous regardais.
JEAN-LOUIS. Recommençons ça. La jeune fille, vous ne voulez donc pas m’écouter?
JEANNETTE. Vous me pardonnerez, monsieur le soldat.
JEAN-LOUIS. Bon, bon. La jeune fille, je vous serais bien obligé si vous vouliez bien me dire quelle est cette noce que je viens de voir passer.
JEANNETTE, avec volubilité. C’est celle de Louise, fille de Jean-Louis Basset, soldat invalide et fermier de madame la duchesse.
JEAN-LOUIS. Bien, bien, fort bien: tu diras bien, et tu viendras nous rejoindre au château; mais n’oublie pas de dire monsieur le soldat. Tiens, tiens, comme il accourt!

Il court au fond avec Jeannette.

JEANNETTE. Où donc? Ah! oui.
JEAN-LOUIS. Tiens, comme il grimpe la montagne! Ah! les amoureux n’ont pas la goutte. Je m’en vais: reste. Non; viens vite.

Ils sortent par les derniers plana de gauche.

Scène IV

ALEXIS, seul; il jette sur le banc de gauche son habit, son sabre et son chapeau. Ah! je respire: il faut que je reprenne haleine;

S’asseyant.

Oui, voici ce chêne heureux
Où Louise a reçu mes voeux.

Se levant.

Je vais la voir; ah! quel plaisir!
La voir, lui parler, être ensemble:
De quel bonheur je vais jouir!
Mais … mais … je frissonne, je tremble

Bis.

L’amour … la joie … arrêtons un moment.
Ah! quel moment! ah! quel moment charmant!
Mais pourquoi ne l’ai-je pas vue?
Pourquoi sur le chemin n’est-elle pas venue?
Elle a craint de céder à trop d’empressement;
Trop de pudeur l’a retenue.
Ne sait-on pas que je suis son amant?
Allons … mais, que lui dirai-je? Ah! ciel! ah! quel martyre!
Ils vont tous être là, nous ne saurons que dire:
La tante, les amis, son père, le voisin,
Et le grand cousin.
Quelle contrainte! Quel dommage!
Ah! si quelque enfant du village
Paraissait … Quoi, Louise, l’amour ne te dit pas:
Va donc, va donc, il t’attend. Ah! je gage
Que quelqu’un arrête ses pas.
Je vais la voir, ah! quel plaisir!

Il remonte la scène et regarde vers la gauche.

Mais j’entends des musettes, des violons. Voici tout le village; c’est une noce: cachons-nous. Qu’ils sont heureux ceux-là!

Il se cache à la gauche de l’arbre.

Scène V

Toute la Noce. Alexis est caché. Des violons en tête, une musette, une cornemuse. La mariée est triste; le reste a une gaieté feinte. Le marié a l’air sot et niais. Le père donne la main à sa fille.

JEAN-LOUIS, à Louise. Bon, il est caché: ne retourne pas la tête. Il regarde.
LOUISE. Ah! que cela me fait de peine! Laissez-moi le voir.
JEAN-LOUIS. Tu le verras assez … Bon, bon, courage. Jeannette, reste là.

Bertrand donne le bras gauche à la tante; il saute et marque le pas presque toujours à contre mesure. C’est en vain qu’à plusieurs reprises la tante, qui ne peut le suivre, le prie de vouloir rester tranquille. – Toute la noce, entrée par un des plans de gauche, arrondit la scène et s’éloigne par un des derniers plans de droite. – Jeannette, entrée la dernière, s’amuse à regarder la noce s’éloigner. Alexis court á Jeannette et lui frappe légèrement sur l’épaule.

Scène VI

Alexis, Jeannette, tenant sa quenouille.

ALEXIS. Parlez donc, la jeune fille!
JEANNETTE, vivement, descendant sur l’avant- scène et chantant.

J’avais égaré mon fuseau, etc.

ALEXIS. Parlez donc, parlez donc.

Jeannette veut chanter de nouveau; mais Alexis la prend par le bras. Elle veut reprendre son couplet; il ne veut pas la laisser continuer.

JEANNETTE. Laissez-moi donc, laissez-moi donc: je vous répondrai au troisième couplet.
ALEXIS. Répondez-moi tout à l’heure.
JEANNETTE, à part. Ah! ciel! je ne pourrai jamais …
ALEXIS. Eh bien, répondez donc!
JEANNETTE. Ah! vous me faites peur.
ALEXIS. Ne craignez rien, ma belle enfant. Qu’est-ce que c’est que cette noce qui vient de passer?
JEANNETTE. Cette noce?
ALEXIS. Oui.
JEANNETTE. Ce que c’est?
ALEXIS. Oui.
JEANNETTE. C’est une noce.
ALEXIS. De qui?
JEANNETTE, chantant.

J’avais égaré mon fuseau, etc.

ALEXIS. Est-ce que vous vous moquez de moi avec votre chanson? Je vous prie de me répondre.
JEANNETTE. Eh bien! quoi? dites. O ciel! vous me faites tant de peur, que je ne pourrai jamais …

J’avais é …

ALEXIS. Comment! encore votre chanson! Qu’est-ce que cette noce? Pourquoi, dites! N’y ai-je pas vu …? Eh! parbleu, voulez-vous? …
JEANNETTE. Eh bien, oui, oui; c’est la noce de Louise, fille de Jean-Louis Basset, soldat invalide, et …
ALEXIS. Jean-Louis se remarie?
JEANNETTE. Non, sa fille.
ALEXIS. Sa fille! sa fille!
JEANNETTE. Elle est mariée d’hier; c’est aujourd’hui le lendemain.
ALEXIS. D’hier mariée! … Jean-Louis! … le lendemain! … Savez-vous bien ce que vous dites? le connaissez-vous?
JEANNETTE. Si je le connais? sans doute, puisque voilà sa maison: c’est lui qui est le fermier de madame la duchesse. C’est si vrai, qu’elle y est venue ce matin. Elle est mariée à son cousin Bertrand, d’hier, à celui qui est si bon.
ALEXIS, avec désespoir.
Serait-il vrai? puis-je l’entendre!
Non, cela ne peut se comprendre;
Non, non, cela ne se peut pas,
Elle aurait voulu mon trépas!
JEANNETTE.
Ah! comme je sais bien l’entendre!
Ah! comme je sais bien m’y prendre!
Bon, bon. Quel plaisir il aura
Quand il saura que ce n’est pas!

Ensemble

ALEXIS.
Ma belle enfant; que je vous dise:
C’est là la noce de Louise,
La fille de Louis Basset.
C’est elle-même qui passait?
Répondez bien avec franchise:
Quoi! c’est la noce de Louise
Avec Bertrand son grand cousin!
C’est aujourd’hui le lendemain!
JEANNETTE.
Que voulez-vous que je vous dise?
Oui, c’est la noce de Louise,
La fille de Louis Basset,
C’est elle-même qui passait.
Oui, c’est la noce de Louise
Avec Bertrand son grand cousin:
C’est aujourd’hui le lendemain.
ALEXIS.
Il est donc vrai, j’ai pu l’entendre!
Dieu! cela peut-il se comprendre!
Elle a donc voulu mon trépas!
Ah! ciel, je ne me soutiens pas.
JEANNETTE.
Ah! comme je sais bien m’y prendre!
Son chagrin ne se peut comprendre.
Mais, mais, quel plaisir il aura
Quand il saura que ce n’est pas..

Ensemble

ALEXIS.
Je sens un froid! mon coeur s’en va!
Elle a donc voulu mon trépas!
Ah! ciel, je ne me soutiens pas.
Devais-je m’attendre à cela?
JEANNETTE.
A voir le chagrin qu’il ressent,
Ah! que son plaisir sera grand!
Bon, bon; quel plaisir il aura
Quand il saura que ce n’est pas!
Mais, mais, comme il semble fâché!
Ce que j’ai dit l’a trop touché.
Je vais lui dire … Oui, je crains
Qu’il n’en prenne trop de chagrin.

Vers les dernières mesures de ce duo, Alexis, au comble du désespoir, tombe accablé sur le banc de gazon placé au pied de l’arbre, et se cache le visage dans ses mains. – Jeannette s’apitoyant, s’approche d’Alexis.

JEANNETTE. Mais il me fait de la peine. Ah! je vais lui dire que cela n’est pas vrai. Monsieur, monsieur, allez au château.
ALEXIS, comme s’il s’adressait à Louise. Oui, je te poignarderais, et de la même main …
JEANNETTE, fuyant. Ah! bon Dieu! il me tuerait: je m’en vas bien vite. Sauvons-nous.

Elle sort en courant par le dernier plan de droite.

Scène VII

ALEXIS, seul, assis.

Air

Infidèle‘, que t’ai-je fait?
Dis-moi, dis quel est le sujet
Qui te fait m’arracher la vie?

Se levant.

Réponds, réponds … toujours chérie …
Tu fais bien de baisser les yeux …
Est-il quelqu’un plus malheureux?
J’accours à sa voix: oui, c’est elle,
C’est ma Louise qui m’appelle.
Et pourquoi, pour frapper mes yeux,
Pour me rendre témoin … Ah! dieux!!!
Fuyons ce lieu que je déteste;
Il fut si beau pour moi! Reprends,
Reprends cette lettre funeste;

Il montre son habit qui est à terre. Des soldats de maréchaussée paraissent et l’observent. Ils viennent du fond à gauche.

Je te la rends, je te la rends:
Fût-il au centre de la terre,
Je me vengerai sur ton père.
No me suis pas, monstre cruel,
Que notre adieu soit éternel.

Alexis veut fuir, les soldats l’arrêtent.

Scène VIII

Alexis, des Soldats de Maréchaussée.

LE CHOEUR.
Halte-là, soldat.
ALEXIS.

Bis.

Je m’en vais
LE CHOEUR.
Où courez-vous?
ALEXIS.
Pour toujours je quitte la France.
LE CHOEUR.
Quoi, vous désertez?
ALEXIS.
Pour toujours je quitte la France.
LE CHOEUR.
Quoi, vous désertez?
ALEXIS.
Non, non, je ne déserte pas!
Pour toujours je quitte la France.
LE CHOEUR.
Comment! il ne déserte pas …
Il dit qu’il veut quitter la France.
ALEXIS, résolument.
Il faut mourir, hâtons ma perte.
Oui, c’en est fait, oui, je déserte;
Oui, je m’en vas.
Que le remords soit ton partage,
Mon trépas sera ton ouvrage:
Ne me suis pas, monstre cruel,
Que notre adieu soit éternel.
CHOEUR.
Voyons, voyons ce qu’il va faire,
Voyons s’il court vers la frontière,
Suivons ses pas, suivons ses pas.
Voyons par quel chemin il s’en ira.
Suivons ses pas.

C’est en vain que les soldats ont voulu s’opposer au départ d’Alexis. Celui-e se fraye un passage, fuit à toutes jambes en jetant sa veste, puis son chapeau, comme pour entraver la marche des soldats qui se mettent à sa poursuite et l’arrêtent sur la montagne. Le rideau baisse sur ce tableau.

Fin du premier acte

Acte deuxième

Une prison. – Deux plans. – A droite, sur le premier plan, la porte d’entrée. – A gauche, aussi sur le premier plan, quelques marches conduisant dans un long corridor, au bout duquel est la pièce où s’assemble le conseil de guerre. Un peu plus loin, toujours à gauche, l’entrée de la chambre d’Alexis. – Tables de bois sur les avant-scènes de droite et de gauche. – Chaises près de ces tables.

Scène I

Alexis, Le Geolier.

Ils entrent par la porte qui se trouve sur le premier plan de droite. – Dans le cours de cette scène le geôlier s’occupe lourdement à différentes choses; il tient une cruche pleine d’eau qu’il pose sur la table do droite, et ne parle qu’après un grand temps. Alexis, absorbé dans de tristes pensées, s’assied indifféremment sur un des coins de la table de gauche, et ne fait nulle attention à ce que lui dit le geôlier.

LE GEOLIER. Tenez, voici de l’eau dans cette cruche … des tables … Désignant la droite. Et votre lit ….. mais de la manière dont vous y allez, vous n’avez pas dessein qu’on renouvelle le coucher.« Oui, messieurs, je désertais, oui, je désertais. »On avait beau vous dire que vous ne désertiez pas.« Je désertais, vous dis-je ….. »Eh, quel diable d’homme êtes-vous? … Or ça, je vous ai déjà dit qu’il y avait là de l’eau: si vous voulez du vin, pour de l’argent, s’entend, et vous ne devez pas le ménager, si vous en avez; car ce ne sera pas long … Peut-être …«
ALEXIS. Non, non.
LE GEOLIER. Eh bien, si vous n’en avez pas, vous boirez de l’eau, vous boirez de l’eau.

Le geôlier remonte.

ALEXIS. Oui, je voudrais la voir … O ciel! ô ciel!
LE GEOLIER se retournant. Vous le connaissez! je vais vous l’envoyer. Ah! vous connaissez Montauciel: il est encore ici. Buvez un coup ensemble, dissipez-vous, ce ne sera pas long.

Il sort et referme la porte.

Scène II

ALEXIS, seul.

Air.

Mourir n’est rien, c’est notre dernière heure:
Eh! ne faut-il pas que je meure?
Chaque minute, chaque pas
Ne mènent-ils pas
Au trépas?
Mais souffrir une perfidie
Aussi sanglante, aussi hardie;
Y survivre, ah! plutôt mourir!
Ce n’est que cesser de souffrir.
Mourir n’est rien, etc.
Mes jours, je les comptais, je les voyais à toi;
Les tiens étaient les miens, ils ne sont plus à moi.

Il tire une lettre et lit.

»Viens, cher amant, je ne vivrai
Que du jour où je te verrai.
Mon père attend bien du plaisir
De l’instant qui va nous unir.
Et moi qui t’aime tendrement,
Je languirai jusqu’au moment
Où mon amant, où mon ami
Sera l’époux le plus chéri.«
»Et moi qui t’aime! …« et me trahir!
Et je vivrais; plutôt mourir!
Ce n’est que cesser de souffrir.
Mourir n’est rien, c’est notre dernière heure;
Eh! ne faut-il pas que je meure?
Chaque minute, chaque pas
Ne mènent-ils pas
Au trépas?
Accablé, il retombe assis près de la table de droite.

Scène III

Montauciel, Alexis, assis.

Montauciel est un peu pris de vin. Il tient un pot d’etain plein de vin, qu’il pose sur la table de gauche.

MONTAUCIEL. Camarade, vous me demandez?
ALEXIS. Moi, non.
MONTAUCIEL. Ah! que si … La maison, hé! la maison! nous allons boire un coup ensemble, nous allons renouer connaissance, si nous nous connaissons; ou nous allons la faire, si nous ne nous connaissons pas: cela revient au même.
ALEXIS. Savez-vous si on peut avoir ici une feuille de papier pour écrire?
MONTAUCIEL. Ah! que oui, je vous aurai ça. Hé! la maison, la maison! Mais sarpebleu, vous avez eu un tort, vous avec eu deux torts, vous avez eu trois torts; le premier, c’est de déserter; le second, c’est d’en convenir. Montauciel n’est qu’une bête: mais, à votre place, ç’aurait été mon sergent, mon général, mon caporal, je leur aurais dit: Non, je ne déserte pas: non, sarpebleu, Montauciel ne déserte pas. Hé! la maison!

Il remonte la scène pendant la ritournelle, comme s’il appelait, puis il redescend.

Air.

Je ne déserterai jamais,
Jamais que pour aller boire,
Que pour aller boire à longs traits
De l’eau … du fleuve où l’on perd la mémoire.
Il est permis d’être parfois
Infidèle à son inhumaine;
Mais c’est blesser toutes les lois
Que de l’être à son capitaine.
Je ne déserterai, etc.

Il va pour se verser à boire. Le geôlier paraît à la porte.

Scène IV

Montauciel, Le Geolier, Alexis, assis.

LE GEOLIER. Il y a là une jeune fille qui demande un soldat. C’est sans doute toi, Montauciel.
MONTAUCIEL. Oui, c’est pour moi: fais-la venir. Sur un geste du geòlier, qui se retire, entre Louise, qui court droit à Montauciel, le prenant d’abord pour Alexis, et s’arrête en reconnaissant son erreur. Montauciel, qui s’apprêtait à boire, repose son gobelet sur la table en regardant Louise. Pour en revenir …. Diable! elle est gentille.

Scène V

Montauciel, Louise, Alexis.

ALEXIS, se levant. Ciel! que vois-je? Quoi! vous voilà?
LOUISE. Oui, moi.
ALEXIS. Vous?
LOUISE. Vous!
ALEXIS. Oui, vous.
MONTAUCIEL, passant entre Louise et Alexis. Camarade, je vous laisse … C’est votre soeur … c’est votre cousine … c’est tout ce que vous voudrez … Mademoiselle, je ne vous offense pas: je m’appelle Montauciel; je sais la politesse qu’il faut … Quand on sait ce que c’est que de vivre dans les prisons … Camarade, elle est jolie: je vais … Il fait un pas vers Louise, et se ravise. Je m’en vais sur le préau. Vous pouvez causer: si quelqu’un … Ah! adieu, adieu.

Ritournelle du duo.

Montauciel sort en chancelant un peu. – Alexis, après s’être assuré qu’on ne peut l’entendre, dit:

Scène VI

Louise, Alexis.

Duo.

ALEXIS.
O ciel! puis-je ici te revoir?
Ta présence est un outrage,
Viens-tu redoubler ma rage,
Augmenter mon désespoir? …
LOUISE.
Alexis, Alexis, pourquoi ce désespoir?
Ah! je ne croyais pas en accourant te voir
M’exposer au chagrin de te faire un outrage.

Ensemble

ALEXIS.
Ta présence est un outrage!
Viens-tu redoubler ma rage,
Augmenter mon désespoir!
LOUISE.
M’exposer au chagrin de te faire un outrage!
ALEXIS.
Est-il rien de plus cruel!
Venir ici, l’infidèle!
LOUISE, À PART.
Peut-être qu’il finira;
Enfin, il s’apaisera.
Un mot …
ALEXIS.
L’infidèle!
Et de ma douleur mortelle
Paraître jouir! O ciel!
LOUISE, à part.
Voyez s’il m’écoutera …
Enfin il s’apaisera …
Un mot …
ALEXIS, passant de l’autre côté.
Infidèle!

Ensemble

Comment puis-je ici te voir!
Ta présence, etc.
LOUISE.
Un mot, un mot, écoute-moi; je gage
Que je vais d’un seul mot calmer ton désespoir.
Ah! je ne croyais pas en accourant te voir
M’exposer au chagrin de te faire un outrage.

Scene VII

Montauciel, Louise, Alexis.

MONTAUCIEL. Que je ne vous dérange pas. Vous ne voulez pas boire? Non, non: adieu.

Louise et Alexis s’éloignent l’un de l’autre à l’entrée de Montauciel, qui se cache la figure avec son bonnet de police, prend sur la table de gauche la pinte de vin, et ressort, toujours en se cachant la figure avec son bonnet de police.

Scène VIII

Louise, Alexis.

ALEXIS, plus calme. Ah! ce n’est pas à toi que j’en veux, c’est à ton père.
LOUISE. Il est vrai que mon père …
ALEXIS. Ce vieillard infâme! Son avarice n’a pu, sans doute, tenir contre un peu d’argent. C’est contre de l’argent qu’il troque le bonheur de deux personnes qui ne se seraient occupées que du sien. Il plonge en des remords, en des tourments affreux … car tu m’aimes encore, et tu m’aimeras toujours. Il fait le malheur de trois personnes, à qui il n’est plus permis d’être heureuses. Pour moi, tout est dit. Mais toi, et ton mari.. Ce lâche! il te permet de venir me voir le surlendemain de ta noce; il te permet de venir voir un soldat qui t’aime, qu’il sait bien que tu as aimé; et dans une prison, que sans toi … Va, je ne t’en veux pas. Ah! Louise, je t’aime encore: puisses-tu ne te jamais souvenir de moi!
LOUISE. Alexis!
ALEXIS. Mais, avec quel front, avec quelle tranquillité …
LOUISE. Je ne serais pas si tranquille si j’étais coupable..
ALEXIS. Perfide!
LOUISE. Je jouis de ton erreur.
ALEXIS. De mon erreur?
LOUISE. Je puis t’apaiser d’un mot.
ALEXIS. D’un mot! dis-le, si tu l’oses.
LOUISE. Je ne suis pas mariée.
ALEXIS. Tu …
LOUISE. C’est mon père qui a voulu …
ALEXIS. Infâme! que m’importe toi ou lui?
LOUISE. C’est madame la duchesse qui a arrangé tout ceci. Elle a ordonné à mon père de te faire croire que j’étais mariée.
ALEXIS. Que veux-tu dire?
LOUISE. Oui, elle a ordonné cette noce, ces instruments, cette fête, ces apprêts. On avait aposté cette jeune fille qui t’a parlé, pour te tromper! et tout cela n’était qu’un jeu.
ALEXIS, avec désespoir et tombant accablé sur la chaise près de la table de droite. Qu’un jeu! … qu’un jeu!
LOUISE s’approche tendrement d’Alexis.

Romance.

Dans quel trouble te plonge
Ce que je te dis là?
Puisque c’est un mensonge,
Que t’importe cela?
Cette ruse cruelle
Ne doit plus t’offenser.
Toi, me croire infidèle!
Pouvais-tu le penser?

Vivre et t’aimer sont pour moi même chose;
Et quels que soient les devoirs que m’impose
Le serment dont j’attends notre félicité,
Il n’ajoutera rien à ma fidélité.
Je t’aimerai toute ma vie.

J’en jure par ta main que je presse; je prie
Le ciel de nous unir par un même trépas,
Ou puissé-je du moins expirer dans tes bras!
Mais ta peine redouble,
Et semble s’augmenter.
Que veux dire ce trouble?
Qui peut te tourmenter?
Cette ruse cruelle
Ne doit pas t’offenser,
Toi me croire infidèle!
Méchant, méchant! pouvais-tu le penser?
ALEXIS. O ciel!
LOUISE. Est-ce que tu ne me crois pas?
ALEXIS. Ah! je te crois.

Louise court au-devant de son père qui entre. – Alexis se lève.

Scène IX

Louise, Alexis, Jean-Louis.

LOUISE. Mon père, ah! demandez-lui donc ce qu’il a … Dites-moi la cause de son chagrin!
JEAN-LOUIS. Bonjour, mon cher Alexis; que je t’embrasse, que je suis charmé de te revoir! Comme te voilà robuste! les troupes font bien un homme. Tu as servi le roi, tu as servi ta patrie: tu n’es plus un paysan. Mon ami, Louise est à toi.
ALEXIS. Jean-Louis …
JEAN-LOUIS. La noce quand tu voudras, quand tu voudras.
ALEXIS, prenant à part Jean-Louis. Je t’en prie, Jean-Louis, dis à ta fille d’aller un instant dans le jardin du geôlier.
JEAN-LOUIS. Pourquoi?
ALEXIS. Dis-le lui seulement.
JEAN-LOUIS. Louise, j’ai quelque chose à dire; sors, et je t’irai reprendre.
ALEXIS, prenant la main de Louise. Louise, nous déjeunerons ensemble … aujourd’hui, aujourd’hui … Qu’il y a bien longtemps que je ne t’ai vue!
LOUISE. Et vous me renvoyez?
ALEXIS. Tu vas rentrer.

Alexis accompagne jusqu’à la porte Louise qui s’éloigne.

Scène X

Jean-Louis, Alexis.

JEAN-LOUIS. J’ai été bien surpris de te savoir en prison: mais on m’a dit que c’est peu de chose. Est- ce que tu t’appelles Montauciel? C’est ton nom de guerre, apparemment? On m’a dit: voyez, voyez Montauciel, il est là. Mais que je t’embrasse, mon garçon, mon gendre, mon cher ami. Madame la duchesse te fera sortir d’ici. Mais tu es triste: je parie que je devine pourquoi tu es ici.
ALEXIS. Je ne le crois pas.
JEAN-LOUIS. Si, si. Quand on revient de l’armée, quelque aventure, quelque boisson, quelque fille dans une auberge … Mais on t’a vu le long du village, et puis on ne t’a plus vu. On voulait te jouer un tour; mais ton aventure en a empêché. Conte- moi ça, conte-moi ça, tu le peux: j’ai servi, je sais ce que c’est qu’un soldat. Ne vas-tu pas être mon gendre? Je n’en dirai rien à Louise. Et puis une misère, quelques coups, quelques tapes.
ALEXIS. Jean-Louis, promets-moi de faire tout ce que je te dirai.
JEAN-LOUIS. Oui, à moins que cela ne soit trop difficile.
ALEXIS. Non … Nous allons déjeuner, toi, ta fille et moi.
JEAN-LOUIS. Cela est aisé: ensuite?
ALEXIS. Je te prie d’emmener ta fille aussitôt après; vous partirez ensemble: nous nous quitterons. Je lui dirai que je suis forcé de rejoindre.
JEAN-LOUIS. Je le sais: le roi arrive au camp.
ALEXIS. Vous vous en retournerez … vous vous en retournerez au village … et toi, dans deux jours, tu reviendras ici: tu demanderas un soldat nommé Montauciel; il te remettra une lettre pour toi … et pour moi, je n’y serai plus.
JEAN-LOUIS. Non; tu seras au camp; mais dans quinze jours tu auras ton congé.
ALEXIS, résolument et après s’être assuré que personne n’écoute. Auras-tu assez de force sur ton esprit pour ne rien faire paraître devant ta fille de ce que je vais te dire?
JEAN-LOUIS. Sans doute.
ALEXIS. Je crains qu’elle ne rentre.
JEAN-LOUIS. Non, non.
ALEXIS. Hier, cette noce …
JEAN-LOUIS, gaiement. C’est moi qui ai conduit cela.
ALEXIS. Le désespoir m’a pris …
JEAN-LOUIS. Bon, bon, tant mieux; j’en étais sûr.
ALEXIS. Et dans ma fureur …
JEAN-LOUIS. Tu as été furieux? Ah! que c’est bon!

Un cri perçant se fait entendre. Louise accourt, et se jette dans les bras de son père.

Scène XI

Jean-Louis, Louise, Alexis.

LOUISE. Ah! mon père! ah! malheur! cette noce l’a mis au désespoir; il a déserté; condamné, il va mourir!
JEAN-LOUIS. Ah! ciel!

Trio.

JEAN-LOUIS.
Lui, lui, ciel! il va mourir!
Est-il donc vrai qu’il va mourir!
Pardonne-moi!
ALEXIS.
Pouviez-vous prévoir ce malheur?
Eh! ne faut-il pas mourir?
Ah! n’ayez aucun repentir.
LOUISE.
O ciel! quoi! tu vas mourir!
Et c’est moi qui te fais périr!
Mon père, ah! quel sera mon sort!
Quoi! c’est moi qui cause ta mort!
ALEXIS.
Non, non, je ne vais pas mourir.

A Louise.

Console-toi.
LOUISE.
Est-il un plus grand malheur!
JEAN-LOUIS.
De qui sais-tu ce malheur?
LOUISE.
J’avais prévu ce malheur.
JEAN-LOUIS.
Oui, oui, c’est moi qui te fais périr!
Pour nous tous, ah! quel malheur!

Louise, accablée, tombe assise à droite; Jean-Louis, désespéré, s’assied à gauche.

ALEXIS, s’approchant tendrement de Louise.
Console-toi, ma tendre amie,
Mon sort te prouve mon amour;
Tu diras: S’il m’eût moins chérie,
Il n’aurait pas perdu le jour.
LOUISE.
Ah! que je suis infortunée!
Mon père, quoi sera mon sort?
Que le moment où je suis née
Ne fût-il celui de ma mort!

Louise et Jean-Louis se lèvent.

JEAN-LOUIS.
Quoi! mon ami, voilà ton sort!
C’est moi qui dois subir la mort.
Maudite, ah! maudite journée!
C’est moi qui mérite la mort.
ALEXIS.
Et toi, pour un autre moi-même
Conserve-toi, père chèr
Dans ta fille aime ton ami.
Je meurs content, ta fille m’aime!
LOUISE.
Non, non, je ne saurais plus vivre!
Quoi! je ne pourrais plus te voir;
Il ne reste à mon désespoir,
Que la ressource de te suivre.

A la fin de ce trio et pendant la ritournelle qui le finit, Alexis tient dan ses bras Jean-Louis et Louise qui pleurent. Le geôlier entre, fait du bruit avec son trousseau de clés qu’il jette sur la table de droite, et dit.

Scène XII

Les Mêmes, Le Geolier.

LE GEOLIER. On vous demande.
ALEXIS. Qui?
LE GEOLIER. Vous; allez.

Il désigne les marches de gauche.

ALEXIS. Adieu, adieu.
LOUISE. Comment! adieu?
ALEXIS. Non, Louise, ne t’effraye pas. Je crois que je vais revenir.
LOUISE. Ah! mon père!

Alexis se rend dans la chambre du conseil.

Scène XIII

Jean-Louis, Louise, Le Geolier.

LOUISE. O ciel! Monsieur, où va-t-il?
LE GEOLIER. Parler à ces messieurs.
LOUISE. Monsieur, monsieur, ce ne serait pas …
LE GEOLIER. Ah! ce ne sera pas pour sitôt; peut- être entre cinq et six heures: peut-être plus tard.
LOUISE. Ah! ciel!
JEAN-LOUIS. Non, ma fille, il n’est pas possible: je vais trouver madame la duchesse; je vais tout lui dire.
LOUISE. Ah! mon père, elle l’a mis dans la peine; elle ne sera pas là pour l’en tirer.
JEAN-LOUIS. Je vais … ô ciel! Ah! que je suis malheureux! Viens me rejoindre; j’irai plus vite que toi. Et puis … Non, je cours.

Il sort précipitamment.

Scène XIV

LOUISE. Monsieur, je me jette à vos genoux; je vous prie …
LE GEOLIER. Ce n’est pas nécessaire. Que voulez- vous?
LOUISE, se relevant. Le roi passe au camp.
LE GEOLIER. Eh bien?
LOUISE. Monsieur, dites-moi, le roi en pareil cas … Ah! c’est une justice. Le roi peut-il faire justice ou grâce?
LE GEOLIER. Je le crois bien: il ne fait que ça.
LOUISE. Monsieur, si j’y allais, si je me jetais à ses pieds; si je lui disais que c’est moi qui suis la cause …
LE GEOLIER. Eh bien, vous le pouvez, si on vous laisse approcher. Si cela ne sert à rien, cela ne peut pas nuire.
LOUISE. Ah! monsieur, si j’avais de l’argent …
LE GEOLIER. Si vous vous adressez au roi, vous n’en avez que faire.
LOUISE. Ce n’est pas cela que je voulais dire … c’est pour vous, monsieur.
LE GEOLIER. Ah! pour moi?
LOUISE. C’est pour vous remercier.. c’est pour vous prier … Ah! … voici, monsieur, ma croix d’or que je vous donne; faites retarder jusqu’à demain.
LE GEOLIER. Retarder, retarder …
LOUISE, sortant. Ah! que je suis malheureuse!

Elle sort précipitamment.

Scène XV

LE GEOLIER, examinant la croix d’or. Je lui donnerai … je lui donnerai tout le vin dont il aura besoin … Ça me paraît creux … Est-ce de l’or? … oh! oui. S’apercevant que Louise est sortie. Cette jeune fille a un bon coeur, ça fait plaisir. Ça me paraît creux.

Scène XVI

Montauciel, Bertrand, Le Geolier.

MONTAUCIEL tient de la main gauche une pinte de vin et une feuille de papier. De l’autre main, il tient par ses habits Bertrand au milieu du corps, le fait entrer de force, le fait pirouetter, et ce dernier tombe comme une masse assis sur la table de droite . Hé! entrez donc. Est-ce que vous avez peur? Au geôlier. Tiens, voilà un gaillard que je t’amène.
LE GEOLIER. Tu appelles ça un gaillard, toi? …
MONTAUCIEL. Il demande ce soldat. Où est-il donc? Et cette jeune fille?
LE GEOLIER. Elle est partie.
MONTAUCIEL. Et lui?
LE GEOLIER. Il est allé parler, il va revenir. Si je le vois, je vais vous l’envoyer.
BERTRAND. Je vais aller avec monsieur.

Avant de s’éloigner, le geôlier a pris des mains de Montauciel le broc de vin, qu’il pose sur la table de gauche.

Scène XVII

Montauciel, Bertrand.

MONTAUCIEL, forçant Bertrand à se rasseoir. Non, non, restez: vous allez boire un coup en attendant. Voilà une feuille de papier que je lui apportais.
BERTRAND. Mais êtes-vous bien sûr que c’est mon cousin Alexis?
MONTAUCIEL. Oui, oui, c’est lui: un soldat?
BERTRAND. Oui.
MONTAUCIEL. Mettez-vous là. Il est ici d’hier?
BERTRAND. Oui, monsieur.
MONTAUCIEL. Mettez-vous là.
BERTRAND. Mais, monsieur …
MONTAUCIEL. Mettez-vous là, vous dis-je Montauciel reprend de nouveau Bertrand par le milieu du corps, et le force à s’asseoir à la gauche de la table de gauche, mettez-vous là. Sarpejeu! mettez-vous donc là; buvons un coup, il va revenir.

Il s’assied à la droite de la table de gauche.

BERTRAND. Monsieur, je vous remercie; on ne boit pas comme ça sans connaître …
MONTAUCIEL. Est-ce que je vous connais, moi? ça ne m’empêche pas de boire avec vous. Il est bon: buvez, buvez donc. Bertrand boit. Dites-donc, l’ami … vous avez l’air d’un buron … Quel âge avez-vous?
BERTRAND. J’aurai vingt-deux ans viennent les prunes … je puis même dire que j’ai vingt-deux ans et demi … mais comme j’ai été malade six mois, ça m’a retardé d’autant.
MONTAUCIEL. Buvons. Il boit. Vous dites que …
BERTRAND. Je n’ai pas dit que.
MONTAUCIEL. Que disiez-vous donc?
BERTRAND. Moi, monsieur, je n’ai rien dit.
MONTAUCIEL. Si vous ne dites rien, chantez, chantez.
BERTRAND. Ah! monsieur, nous sommes dans le chagrin.
MONTAUCIEL. C’est à cause de cela: c’est dans le chagrin qu’il faut chanter, cela dissipe. Allons, chantez.
Toujours chanter et toujours boire,
C’est la devise de Grégoire.
BERTRAND. Ah! vous connaissez Grégoire! Moi aussi je le connaissais … il est mort.
MONTAUCIEL. Ah! Grégoire est mort! … Chantez donc.
BERTRAND. Mais je ne sais pas chanter.
MONTAUCIEL. Chantez toujours: voulez-vous donc chanter, quand on vous en prie! Sarpebleu, vous chanterez.

Il le menace avec un broc.

BERTRAND. Mais attendez donc.

Il chante.

Chanson.

Tous les hommes sont
Bons;
On ne voit que gens
Francs,
A leurs intérêts
Près.
Nous aimons la bonté,
L’exacte probité
Dans les autres.
Faire le bien est si doux,
Pour ne rendre heureux que nous
Et les nôtres.
MONTAUCIEL. Sarpedié, votre chanson est bonne à porter le diable en terre. Ecoutez-moi.

Chanson.

Vive le vin, vive l’amour;
Amant et buveur tour à tour,
Je nargue la mélancolie:
Jamais les peines de la vie
Ne me coutèrent de soupirs;
Avec l’amour, je les change en plaisirs,
Avec le vin je les oublie.

Pendant ce couplet, que Montauciel chante en gesticulant beaucoup, Bertrand se verse à boire, veut trinquer avec Montauciel, mais il ne peut jamais atteindre le gobelet de ce dernier.

Voilà une chanson, ça. Chantons ensemble.
BERTRAND. Eh! mais, et mon cousin?
MONTAUCIEL. Il ne peut pas tarder. Allons, chantons ensemble à présent.
BERTRAND. Ensemble?
MONTAUCIEL. Oui, ensemble, c’est plus gai.
BERTRAND. Mais je ne sais pas votre chanson.
MONTAUCIEL. Qu’est-ce qui vous dit de chanter ma chanson? Dites la vôtre, et moi la mienne, c’est plus gai.
BERTRAND. Eh! mais … ça va faire un fier charivari.
MONTAUCIEL. Allons, morbleu, chantez. Il verse un verre de vin et boit. Buvez et chantez.

Montauciel et Bertrand chantent en même temps les couplets ci-dessus. Bertrand, qui peu à peu s’est échauffé, bat la mesure à contre-temps. Montauciel la bat de son côté tout de travers. A la fin du duo, en pendant la ritournelle qui finit l’acte, Montauciel se lève et dit:

MONTAUCIEL. Maintenant, il faut que je vous embrasse.

Bertrand veut s’y opposer, mais Montauciel le saisit à la cravate. Bertrand tourne sur lui-même et se sauve par la porte de droite. En tournant, sa cravate qui est fort longue (cinq ou six mètres) se déroule, Montauciel en tient toujours un des bouts, et poursuit Bertrand.

Fin du deuxième acte.

Acte Troisième

Même décor.

Scène I

Jeannette, La Tante, Bertrand.

Tous trois entrent en s’essuyant les yeux.

LA TANTE. Oui, c’est ta faute; oui, c’est ta faute: sitôt que tu l’as vu si fâché, que ne lui as-tu dit que cela n’était pas vrai?
JEANNETTE. Est-ce qu’on ne m’avait pas défendu de le dire?
LA TANTE. Oui, mais ensuite, ensuite …
JEANNETTE. Il ne m’a seulement pas laissé commencer la chanson.
LA TANTE. Eh bien, il fallait toujours lui dire.
BERTRAND. C’est vous qui avez voulu tout cela. Oui, c’est vous qui êtes la cause de sa mort.
LA TANTE. La cause de sa mort! Ah! ciel! peux-tu dire une pareille chose? La cause de sa mort!
BERTRAND. Oui, il est bien temps.
LA TANTE. Et toi, grand lâche, grand misérable que tu es, quand on te dit de courir après lui, tu fais semblant d’y aller.
BERTRAND. C’est moi qui étais le marié: est-ce que je pouvais quitter?
LA TANTE. Ah! fusses-tu à sa place!
BERTRAND. A sa place! Ah! je n’aurais pas fait comme lui: je me serais informé à tout le monde.
LA TANTE. Ah! ciel! ah! je le pleurerai, je le pleurerai toute ma vie, oui, toute ma vie … Quoi! ce pauvre Alexis …
JEANNETTE. Eh! marraine, ne pleurez donc pas comme ça.
BERTRAND. Ah! le voici.
LA TANTE. Comme il est changé!
BERTRAND. Comme il est triste!

Alexis descend les marches.

Scène II

Jeannette, Alexis, La Tante, Bertrand.

LA TANTE. Ah! mon cher Alexis, je suis au désespoir.
ALEXIS. Bonjour, ma tante, bonjour.
LA TANTE. Je te demande pardon: c’est nous, c’est moi qui suis la cause de tout ça.
BERTRAND, indifféremment. C’est moi qui étais le marié.
JEANNETTE. J’ai voulu vous le dire: n’est-il pas vrai que vous m’avez dit que vous me tueriez?
ALEXIS. Ne parlons plus de cela, c’est un malheur. Où est Louise? et pourquoi son père n’est-il pas ici?
LA TANTE. Ah! son père! son père! le voilà qui arrive dans le village. Il était en pleurs, il se jetait par terre; il se frappait la tête. Il ne veut pas se relever: nous sommes tous à gémir. Si on pouvait te racheter avec de l’argent, nous donnerions tout, jusqu’à nos hardes.
BERTRAND. Moi, je n’ai rien; mais je donnerais tout ce que j’ai.
ALEXIS. Et madame la duchesse sait-elle cela?
LA TANTE. Nous y avons tous couru; elle n’est pas au château.
BERTRAND, presque gaiement. Ah! au château, la belle noce qu’elle te préparait!
ALEXIS. Et Louise, l’avez-vous vue?
LA TANTE. Non.
BERTRAND. On ne sait où elle est.
ALEXIS. Osoi! personne n’est avec elle? Ah! il lui sera arrivé quelque malheur.
JEANNETTE. Non, je l’ai vue courir: je l’ai appelée, elle ne m’a pas répondu.
ALEXIS. Ah! ma tante, consolez-la, ne la quittez pas: vous ne pouvez plus me rendre aucun service. Vous perdez votre neveu.
LA TANTE. Je te perds! ah! quel malheur!
ALEXIS. Qu’elle soit votre nièce, je vous en prie. Elle devait l’être.
LA TANTE. Je te le promets.
ALEXIS. Eh! comment a-t-elle pu consentir à ce cruel badinage?
LA TANTE. Elle ne le voulait pas; elle s’écriait: Moi, à sa place, j’en mourrais. Mais madame la duchesse l’avait ordonné, et son père et moi nous l’y avons forcée.
JEANNETTE. Et puis, elle disait comme ça: Il ne le croira pas, il ne le croira pas.
ALEXIS. C’est vrai, je ne devais pas le croire.
BERTRAND. Oui, oui, c’est bien vrai, tu ne devais pas le croire.
ALEXIS. Partez, ma tante, partez; tâchez de m’envoyer Jean-Louis. Si Louise … si Louise veut me voir encore, venez avec elle, et ne la quittez pas.
LA TANTE. Oui, mon cher Alexis.
ALEXIS. Promettez-le moi.
LA TANTE. Je te le jure …. Ah! ciel!
JEANNETTE, qui est allée à la droite de Bertrand, à part. Est-ce que c’est pour aujourd’hui?
BERTRAND, à part. On dit comme ça que c’est pour quatre heures.
ALEXIS. Adieu, ma tante … adieu, mon enfant …

Elles sortent après avoir embrassé Alexis.

BERTRAND, s’avançant en pleurant très-fort. Adieu, mon cousin … Pleurant. Porte-toi bien.

Il sort; et comme, pour pleurer, il se cache la figure dans son mouchoir, il se heurte contre le geôlier qui entre.

Scene III

Le Geolier, Alexis.

LE GEOLIER. Tenez, voilà une plume et de l’encre: la plume est bonne, et voilà du papier blanc. Il pose le tout sur la table de gauche, et s’approche d’Alexis. Il y en a pour six sous. Qui est-ce qui me payera?
ALEXIS. Voilà un petit écu.
LE GEOLIER. C’est bon: je vous rendrai … je vous rendrai … Voilà Montauciel.

Il sort au moment où rentre Montauciel.

Scène IV

Alexis, Montauciel.

MONTAUCIEL. Soit, me voilà prêt. Voyant qu’Alexis se dispose à écrire. Ah! ah! vous allez écrire? vous êtes bien heureux, vous savez écrire, vous. Ah! déluge! ah! mort! ah! sang! ah! que je suis un grand malheureux!
ALEXIS, assis. Qu’avez-vous?
MONTAUCIEL. Ce que j’ai? le diable, le diable, puisqu’il faut vous le dire. Que diriez-vous d’un misérable, d’un coquin comme moi; brave homme d’ailleurs. Comment, morbleu, il y a cinq ans que j’aurais eu la brigade si j’avais su lire. A la compagnie on est dérangé: on boit avec l’un, on boit avec l’autre. Je me fais mettre en prison afin d’avoir un quart d’heure à moi pour apprendre; et d’aujourd’hui, d’aujourd’hui, morbleu, Montauciel n’a pas étudié. Ah! malheureux! ah! coquin! ah! scélérat!
ALEXIS. Eh bien, étudiez.
MONTAUCIEL. Vous avez raison. Voilà de l’écriture qu’un de mes camarades m’a faite; car je suis déjà avancé: j’épelle mes lettres.

Alexis se met à écrire. Montauciel cherche à lire ce qui est écrit sur un papier qu’il tire de sa poche.

Ariette.

V, o, u, s, e, t, et te
Trompette, trompette.
B, l, a, n, c, b, e, c,
Blessé, trompette blessé.
Maudit l’infernal
Faiseur de grimoire,
Dont l’esprit fatal
Mit dans sa mémoire
Tout ce bacchanale!
Sans cette écriture
Et sans la lecture
Ne peut-on, morbleu!
Manger, rire et boire,
Marcher à la gloire
Et courir au feu?
ALEXIS, se levant. Camarade, ne pouvez-vous étudier plus bas?
MONTAUCIEL. Non, car je ne m’entendrais pas; mais je m’en vais plus loin.

Il se retire au fond du théâtre.

ALEXIS. En vous remerciant.

Alexis écrit et s’interrompt quelquefois.

Ariette.

Il m’eût été si doux de t’embrasser
Avant l’instant que je vois s’avancer.
Ta présence eût mis quelques charmes
Dans l’horreur qui vient m’oppresser.
Mais je ne verrai pas tes larmes:
Il m’est plus doux de m’en passer.
Parmi mes spectateurs, dans cette foule errante
Qui vient s’amuser du malheur,
Mes yeux te chercheront, je verrai ta douleur;
Ton nom sera dans ma bouche mourante.
Que le mien quelquefois revive dans ton coeur.
Aime ton père, et que jamais reproche
A mon sujet ne sorte de ton sein.
Mais … Mais … tu ne viens pas, et mon heure s’approche! …
Si ton père en est cause, était-ce son dessein? …
Tu ne viens pas et mon heure s’approche!
Il m’eût été si doux de t’embrasser
Avant l’instant que je vois s’avancer.
MONTAUCIEL. Ah! … Pourriez-vous, sans vous déranger s’entend, dire comme il y a là?
ALEXIS regarde le papier et le rend. Vous êtes un blanc-bec.
MONTAUCIEL. Un blanc-bec! Qu’est-ce qu’un blanc-bec? c’est vous qui en êtes un, sarpeguié; et je vous donnerai mon poing par le visage.

Montauciel lui porte le poing sous le nez; Alexis lui donne un coup dans l’estomac: il tombe du coup à la renverse. Le geôlier arrive au premier cri.

ALEXIS. Les hommes sont bien terribles; il y a de cruelles gens.

Il rentre chez lui, à gauche.

Scène V

Le Geolier, Montauciel.

LE GEOLIER, relevant Montauciel. Qu’est-ce que c’est que ça? Qu’est-ce que c’est que ça? Comment! vous vous battez?
MONTAUCIEL, s’essuyant le nez. Ah! morbleu, tu me le payeras. Montauciel un blanc-bec: tête! mort! un blanc-bec!
LE GEOLIER. Hé, pour quelle raison?
MONTAUCIEL. Il ne sera pas toujours en prison: je veux lui faire mettre l’épée à la main. Un blanc-bec, un blanc-bec! morbleu, quand il sera hors d’ici, l’épée à la main, mon ami, ou je te coupe le visage.
LE GEOLIER. Je t’en défie.
MONTAUCIEL. Tu m’en défies. Pourquoi m’en défier?
LE GEOLIER. Dans deux heures il va être fusillé.
MONTAUCIEL. Ah! je ne m’en souvenais plus: je ne m’étonne pas.
LE GEOLIER. Eh! comment votre querelle est-elle venue? J’ai cru que vous alliez boire ensemble.
MONTAUCIEL. J’ai été honnête avec lui, parce qu’il est savant, il sait lire et écrire. J’ai été me fourrer dans ce coin-là pendant toutes ses écritures. Je lui ai apporté un papier; et je l’ai prié de me dire com ment il y avait à un endroit que je n’ai pu lire. Il m’a dit: Allez, vous n’êtes qu’un blanc-bec; et il m’a jeté mon papier au nez.
LE GEOLIER. Il a eu tort.
MONTAUCIEL. Ah çà, où est-il donc mon papier … L’apercevant à terre. Ahl le voilà, Il fait de vains efforts pour le ramasser. Ramasse-le-moi donc.
LE GEOLIER, brusquement. Ramasse-le toi-même.
MONTAUCIEL, imitant la grosse voix du geôlier. Ramasse-le toi-même … Monsieur verrous … certainement, que je vais le ramasser moi-même. Après avoir maintes fuis trébuché, il saisit le papier. Ah! le voilà. Le déchiffonnant. Eh bien, comment y a-t-il là?
LE GEOLIER. Vous êtes un blanc-bec.
MONTAUCIEL. Vous êtes? …
LE GEOLIER. Vous êtes un blanc-bec.

Montauciel veut se jeter sur le geôlier, mais celui-ci le repousse vigoureusement, et le menace de lui donner de ses clés sur le visage. Montauciel se calme.

MONTAUCIEL. Il y a là-dessus, vous êtes un blanc- bec?
LE GEOLIER. Oui.
MONTAUCIEL. B, l, a, n, c.
LE GEOLIER. Blanc.
MONTAUCIEL. B, e, c.
LE GEOLIER. Bec, blanc-bec.
MONTAUCIEL. Comment, il n’y a pas là, trompette blessé?
LE GEOLIER. Parbleu, non; il y a: vous êtes un blanc-bec.
MONTAUCIEL. Il n’a donc pas tant de tort de m’avoir donné un coup de poing. Était-ce un coup de poing?
LE GEOLIER. Je n’en sais rien; mais en tout cas il était fier, car tu étais tombé par terre. Eh, voila Courchemin …

Scène VI

Le Geolier, Courchemin, Montauciel.

LE GEOLIER. Eh! bonjour, Courchemin.
COURCHEMIN. Eh! bonjour, Crik! bonjour, Montauciel: ouf! Ah! que j’ai bon besoin d’un verre de vin!
MONTAUCIEL. Le voilà … Hé! d’où viens-tu comme ça?
COURCHEMIN, après avoir bu. En te remerciant … je suis venu au grand galop, ventre à terre, on me l’avait commandé. Mais j’ai vu, j’ai vu … Sarpebleu, que j’ai chaud! Il s’essuie. J’ai vu une fille qui courait à pied, en tenant ses souliers à la main. Elle sautait les fossés, elle coupait les vignes, les haies, les sentiers; je n’ai jamais vu aller de cette vitesse- là.
LE GEOLIER. Et le roi est-il venu au camp?
COURCHEMIN. Oui.
MONTAUCIEL. Tête! mort! ventre!
LE GEOLIER. Qu’est-ce donc que tu as?
MONTAUCIEL. Comment! le roi est venu au camp, et Montauciel n’y était pas!
COURCHEMIN. Tu es donc aussi sou qu’à l’ordinaire.
MONTAUCIEL. Le roi est venu au camp, et Montau ciel n’y était pas! Mille bombes! Je n’ai pas vu le roi. Je n’étudierai de ma vie.

Il déchire son papier.

LE GEOLIER. Y a-t-il quelque chose de nouveau au camp?
MONTAUCIEL, à part. Morbleu!
COURCHEMIN. Tais-toi donc. Il y a l’histoire d’une jeune fille.
LE GEOLIER. D’une fille?
MONTAUCIEL. D’une fille? dis donc, dis donc.
COURCHEMIN. Attendez donc, que je me rappelle.

Air.

Le roi passait, et le tambour
Battait aux champs: une fille bien faite
Perce la foule; elle crie, elle court,
Tombe à genoux en pleurs; le roi s’arrête,
Le roi l’écoute; on ignorait pourquoi:
Alors on a fait un silence,
Puis aussitôt un même cri s’élance:
Vive à jamais, vive, vive le roi!
On m’a conté qu’elle disait: »Ah! sire,
C’est mon amant, et s’il faut qu’il expire,
Que j’éprouve le même sort!
Mais non, qu’il vive, oui, commandez, ah! sire,
Plutôt qu’à lui, qu’on me donne la mort.
Que suis-je, moi? moins que rien sur la terre;
Trop faible, hélas! pour travailler aux champs;
Et mon amant pourrait aider mon père
Dans ses travaux au déclin de ses ans.«
De vieux soldats pleuraient, même des courtisans,
Tant elle avait des airs touchants.
La grâce est accordée: on ne sait ce que c’est.
MONTAUCIEL.
Ensuite?
LE GEOLIER.
Eh bien?
COURCHEMIN.
Je te l’ai dit …
MONTAUCIEL.
Après?
COURCHEMIN.
Je te l’ai dit, au milieu de la place,
Le roi passait, et le tambour
Battait aux champs: une fille bien faite
Perce la foule; elle crie, elle court,
Tombe à genoux en pleurs; le roi s’arrête,
Le roi l’écoute; on ignorait pourquoi:
Alors on a fait un silence,
Puis tout à coup un même cri s’élance:
MONTAUCIEL, COURCHEMIN, LE GEOLIER.
Vive à jamais, vive, vive le roi!
MONTAUCIEL. Et le tambour battait aux champs!.
LE GEOLIER. Et l’a-t-on envoyée en prison?
COURCHEMIN. Bon, en prison! on croit que la grâce est accordée; car on lui a donné un papier.
MONTAUCIEL. Qu’est-ce que c’est que ce papier?
COURCHEMIN. Est-ce que je sais? Mais il y avait la des seigneurs, des grands seigneurs, qui lui ont dit de tendre son tablier; et ils lui ont jeté beaucoup d’or, beaucoup d’argent.
LE GEOLIER. De l’argent!.
COURCHEMIN. Savez-vous ce qu’elle a fait?
LE GEOLIER. Non.
COURCHEMIN. Elle a jeté tout l’or, tout par terre: elle a dit que cela l’empêcherait de marcher.
MONTAUCIEL. C’était donc bien lourd?
LE GEOLIER. Bon, elle a jeté tout cet or?
COURCHEMIN. Oui.
LE GEOLIER. Tais-toi donc, avec tes raisons: elle a jeté cet or, tu nous en contes.
COURCHEMIN. Et si c’était la grâce de ce déserteur que nous avons arrêté hier?
MONTAUCIEL. J’en serais charmé, j’en serais charmé: nous nous couperions la gorge ensemble.
LE GEOLIER. A cause de cette querelle?
MONTAUCIEL. Sans doute.
LE GEOLIER. Tais-toi donc, avec ta querelle. Je t’en ferai une autre, moi.

On entend un roulement de tambour.

COURCHEMIN. Qu’est-ce que j’entends?
LE GEOLIER. C’est l’appel: il y a quelque chose de nouveau.
MONTAUCIEL. Voyons.

Ils sortent tous les trois par la droite.

Scène VII

ALEXIS, il sort de chez lui.
On s’empresse, on me regarde;
J’ai vu s’avancer la garde:
Les malheureux n’ont point d’amis,
Je crains d’interroger; juste ciel, je frémis!

Mes yeux vont se fermer sans avoir vu Louise,
Sans l’avoir vue! ô ciel! non, non;
Quelque chose que je me dise,
Mon coeur ne peut souffrir ce cruel abandon.

Hier, avec quelle joie
J’accourais … Je courais à la mort.
De quels tourments suis-je la proie?
Ai-je donc mérité mon sort?

Mes yeux vont se fermer sans avoir vu Louise;
Sans l’avoir vue! ô ciel! non, non;
Quelque chose que je me dise,
Mon coeur ne peut souffrir ce cruel abandon.

Montauciel entre par la droite.

Scène VIII

Montauciel, Alexis.

MONTAUCIEL, une bouteille de vin et un gobelet à la main. Ah! te voilà, te voilà; je te cherchais, c’est à présent qu’il faut du coeur.
ALEXIS. Quoi, Montauciel?
MONTAUCIEL. On vient te chercher. Bois cela, bois cela, te dis-je. C’est le coeur du soldat. J’ai cru que tu avais ta grâce, mais non.
ALEXIS. On vient me chercher?
MONTAUCIEL. Oui; bois cela.
ALEXIS. Je te remercie … Ah! Louise!
MONTAUCIEL. Tu sais bien cette querelle de tantôt? eh bien, je te pardonne, meurs en paix; c’est moi qui ai tort; bois donc cela, je t’en prie, je t’en supplie, ne me refuse pas … C’est le dernier coup de vin que tu boiras.
ALEXIS prend le gobelet, le présente à Montauciel, qui verse: il boit. Donne: en te remerciant.
MONTAUCIEL. Pauvre garçon! Un second, je t’en prie.
ALEXIS. Je te remercie … Montauciel, fais-moi un plaisir.
MONTAUCIEL. Quoi?
ALEXIS. Puis-je compter sur toi?
MONTAUCIEL. A la mort et à la vie.
ALEXIS. Promets-moi de rendre cette lettre.
MONTAUCIEL. Où? j’y vais.
ALEXIS. Tu ne peux pas; tu es en prison.
MONTAUCIEL. C’est vrai; mais je sors aujourd’hui.
ALEXIS. Il viendra un paysan, nommé Jean-Louis. Tu lui rendras cette lettre, ou tu la feras rendre à son adresse.
MONTAUCIEL. Que je meure à l’instant si j’y manque. En ce moment des soldats descendent les marches de gauche et se rangent au fond silencieusement. Ah! les voila, les chiens, les enragés, les … Morbleu, je crois que j’irais à sa place.
ALEXIS. Adieu, Montauciel.
MONTAUCIEL. Que je t’embrasse!
ALEXIS. Si cette jeune fille de ce matin vient ici, dis- lui que j’ai pensé à elle jusqu’au dernier moment.
MONTAUCIEL. Brave garçon! bravé garçon! Mes amis, mes camarades, ne le manquez pas.

Il sort précipitamment par la droite.

Scène IX

Alexis, Les Soldats, baïonnette au bout du fusil.

ALEXIS. Vous venez me chercher? … Si quelqu’un … Ciel! c’est elle.

Scène X

Les Précédents, Louise.

Louise entre par la droite, ses souliers à la main, ses cheveux en désordre. Elle ne dit que: »Alexis, ta …« et tombe évanouie entre les bras d’Alexis, qui l’approche d’un siège, sur lequel elle reste sans connaissance. Siége près de la table de droite.

ALEXIS.
Adieu, chère Louise, adieu,
Ma vie était à toi … je la perds, vis heureuse:
C’est là mon dernier voeu.
Que je te plains … que ta peine est affreuse!
Adieu, chère Louise, adieu;
Adieu, chère Louise, adieu.

Un des soldats est venu frapper sur l’épaule d’Alexis en lui faisant comprendre qu’il est temps de marcher. Il se place au milieu d’eux, et tous s’éloignent par les marches de gauche.

Scène XI

LOUISE, revenant à elle par degrés.
Où suis-je? ô ciel! j’ai les pieds nus;
Qui m’a mise en ce lieu? pourquoi m’ont-ils quittée?
Et ces soldats, que sont-ils devenus?
Mon coeur … Ah! ciel! que je suis agitée!
Je me rappelle ses accents;
Il me parlait … Quel bruit j’entends!

On entend derrière le théâtre des cris confus. Louise voit dans son sein le papier qui contient la grâce d’Alexis.

Ce papier! Dieu! il n’est plus temps.

Elle sort précipitamment par la droite.

Scène XII

Le théâtre change et représente un site au bout duquel on aperçoit le village. Petit monticule au lointain, vers la droite. A gauche, occupant les deux premiers plans, un mur.

Le fond du théâtre est encombré d’hommes et de femmes qui paraissent fort agités et pleurent. Plusieurs sont montés sur le petit monticule. Jean-Louis, la tante, Bertrand et Jeannette se trouvent parmi les personnes qui encombrent la gauche du théâtre au fond. – Tous les regards se portent vers la droite, au haut du petit monticule, d’où descendent d’abord quatre gendarmes qui repoussent hommes et femmes et les font se ranger. Puis descendent quatre autres gendarmes au milieu desquels se trouve Alexis. En même temps, des soldats commandés par un officier entrent par le plan qui précède le petit monticule, et garnissent sur trois rangs la droite du théâtre face au mur de gauche. – Le tambour est à la tête. Lorsque Alexis est arrivé au bas du petit monticule, Jean-Louis, la tante, etc., etc., se jettent dans ses bras, et descendent avec lui et tous les habitants du village jusque sur l’avant-scène de gauche, sans que les gendarmes aient pu s’opposer à ce mouvement.

ALEXIS, à Jean-Louis, à la tante et à tous ses amis qui pleurent et qui l’embrassent.
Courez, courez, elle était expirante!
LE CHOEUR.
Il va mourir; ah! quel malheur!
ALEXIS.
Courez, courez, elle était mourante!

Embrassant Jean-Louis et la tante.

Adieu, pour la dernière fois!
JEAN-LOUIS.
Mon ami, que je t’embrasse.
ALEXIS.
Adieu, pour la dernière fois.
LA TANTE.
Mon neveu, que je t’embrasse.

Les autres parents et amis veulent aussi dire un dernier adieu à Alexis, lorsqu’un roulement de tambour se fait entendre. Les gendarmes font reculer la foule, et n’arrachent qu’avec peine, mais sans lutte, Alexis des bras qui le pressent. Les gendarmes font reculer le peuple jusqu’au fond; deux restent auprès d’Alexis, qui se trouve près du mur de gauche. – L’officier s’approche d’Alexis et lui offre un mouchoir noir. Alexis le refuse du geste. Les gendarmes s’éloignent; Alexis met un genou en terre. L’officier va près du tambour, et chaque fois qu’avec son épée il donne un signal, le tambour frappe un seul coup. An premier, les soldats portent les armes; au second, le premier rang met un genou en terre; au troisième, les soldats mettent en joue Alexis. Au même instant on entend les cris de Louise, qui, venant de gauche, perce la foule en criant: »Arrêtez!« arrive jusque près de l’officier, lui remet un papier qu’elle agitait, et tombe presque évanouie dans les bras d’Alexis, qui court lui porter secours. – Montauciel est entré derrière Louise, et remet aussi un papier à l’officier. Jean-Louis, la tante, Jeannette, Bertrand et le peuple envahissent le théâtre.

TOUS.
Il a sa grâce,
Ah! quel bonheur.
Vive le roi!
Vive le roi!
LA TANTE, ALEXIS, LOUISE, JEAN-LOUIS.
Oublions jusqu’à la trace
D’un malheur peu fait pour nous.
LOUISE.
Quel bonheur, il a sa grâce!
C’est nous la donner à tous.

Soldats, officier et tambour au fond. – Peuple garnissant toute la largeur du théâtre. – Sur l’avant-scène: Bertrand, Jeannette, la tante, Alexis Louise, Jean-Louis, Montauciel.

TOUS.
Oublions / Oubliez jusqu’à la trace,
D’un malheur peu fait pour nous / vous.
Quel bonheur, il a sa grâce!
C’est nous la donner à tous.

Fin du Déserteur.