Christoph Willibald Gluck
Iphigénie en Aulide
Tragédie lyrique en trois actes
Libretto von Marie-François-Louis Gand-Leblanc Bailli du Roullet
Uraufführung: 19.04.1774, Opéra, Palais Royal, Paris
Acteurs
Agamenon
Clytemnestre, femme d’Agamemnon
Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre
Achille
Patrocle
Calchas, grand-prêtre
Arcas, capitaine des gardes d’Agamemnon
Choeurs
Grecs et Grecques
Gardes
Guerriers thessaliens
Femmes argiennes, aulidiennes et lesbiennes
Diane et ses prêtresses
La scène est en Aulide.
Acte Premier.
Le théâtre réprésente, dans le fond, d’un côté, le camp des Grecs; et, de l’autre, une des façades du palais d’Agamemnon.
Scène I.
AGAMEMNON seul.
Diane impitoyable, en vain vous l’ordonnez
Cet affreux sacrifice;
En vain vous promettez de nous être propice,
De nous rendre les vents par votre ordre enchainés.
Non, la Grèce outragée,
Des Troyens, à ce prix, ne sera pas vengée.
Je renonce aux honneurs qui m’étaient destinés;
Et dût-il m’en coûter la vie,
On n’immolera point ma fille Iphigénie.
Diane impitoyable, en vain vous l’ordonnez.
Brillant auteur de la lumière,
Verrois-tu, sans pâlir, le plus grand des forfaits?
Dieu bienfaisant, exauce ma prière,
Et remplis les voeux que je fais!
Sur la route de Mycène,
Dirige le fidèle Arcas;
Que, trompant ma fille et la reine,
Elles pensent qu’Achille, oubliant tant d’appas,
Songe à former une autre chaîne;
Qu’elles retournent sur leurs pas.
Brillant auteur de la lumière,
Verrois-tu, sans pâlir, le plus grand des forfaits?
Dien bienfaisant, exauce ma prière,
Et remplis les voeux que je fais!
Si ma fille arrive en Aulide,
Si son fatal destin la conduit dans ces lieux;
Rien ne la peut sauver du transport homicide
De Calchas, des Grecs et des dieux.
Scène II.
Calchas, Agamemnon, Grecs.
CHOEURS DE GRECS.
C’est trop faire de résistance;
Il faut, des dieux irrités
Nous révéler les volontés,
O Calchas, rompez le silence!
GÉNÉRAUX GRECS.
Parlcz: pour calmer leur courroux,
Quel sacrisice exigent-ils de nous?
CALCHAS.
Pourquoi me faire violence!
CHOEURS DES GRECS.
C’est trop etc.
CALCHAS.
Le ciel répond à votre impatience. –
D’une sainte terreur tous mes sens sont saisis:
Diane, ô puissante déesse
Ton esprit m’agite et me presse,
J’annonce, en frémissant, l’ordre que tu préscris.
Tu veux que par ma main tremblante
Le sang le plus pûr soit versé ….
Quoi! ton courroux ne peut être appaisé
Que par une offrande sanglante!
Que de cris, que de pleurs!
O père déplorable!
O divinité redoutable!
Adoucis tes rigueurs!
AGAMEMNON, CALCHAS.
O divinité redoutable,
Adoucis tes rigueurs!
CALCHAS.
Grecs, pourrez-vous l’offrir cet affreux sacrisice?
LES GRECS.
Nomme-nous la victime, et s’il faut l’immoler,
Sur l’autel, par nos mains, tout son sang va couler.
O Diane! sois-nous propice,
Conduis-nous au bord phrygien;
Que notre fureur s’assouvisse
Dans le sang du dernier Troyen!
CALCHAS.
Soyez contens, allez; et ce jour même,
La victime à l’autel remplira vos souhaits.
Scène III.
Agamemnon, Calchas.
CALCHAS.
Vous voyez leur sureur extrême,
Et vous savez des dieux la volonté suprême.
AGAMEMNON.
Ah! ne me parlez plus de ces dieux que je hais.
CALCHAS.
Téméraire! arrêtez; redoutez leur vengeance!
Par une prompte obéissance,
Vous en pouvez encore prévenir les effets:
Soumettez-vous, sans résistance,
A leurs inflexibles décrets.
AGAMEMNON.
Peuvent-ils ordonner qu’un père
De sa main présente à l’autel
Et pare du bandeau mortel
Le front d’une victime et si tendre et si chère!
Je n’obéirai point à cet ordre inhumain.
J’entends retentir dans mon sein
Le cri plaintif de la nature;
Elle parle à mon coeur, et sa voix est plus sûre
Que les oracles du destin.
Je n’obéirai point à cet ordre inhumain.
CALCHAS.
Vous oseriez être parjure! …
Le ciel a reçu vos sermens.
AGAMEMNON.
Je reconnois mes engagemens.
Sur ces bords malheureux, si ma fille, appelée,
Obéit, je consens qu’elle soit immolée.
CALCHAS.
On croit tromper les dieux avec de vains détours;
Mais jusqu’au fond des coeurs leur oeil percant sait lire.
S’il faut qu’Iphigénie expire,
Vous tentez vainement de conserver ses jours.
Malgré vous, à l’autel ils sauront la conduire …
Ils y traînent déjà ses pas.
Scène IV.
CHOEURS DES GRECS qui traversent le théâtre.
Clytemnestre et sa fille! ô dieux! que d’allégresse!
Courons admirer tant d’appas.
AGAMEMNON.
Qu’entends-je! juste ciel! (Ma fille, je frémis) … ô douleur! ô tendresse!
Scène V.
Agamemnon. Calchas.
CALCHAS.
Au faîte des grandeurs, mortels impérieux,
Voyez quelle est votre foiblesse!
Rois, sous qui tout fléchit, fléchissez sous les dieux.
AGAMEMNON.
Dieux cruels! vous voulez opprimer l’innocence.
Accablé sous votre puissance,
Je ne puis résister à votre volonté.
On entend derrière le théâtre une symphonie.
AGAMEMNON entre la musique encore éloignée.
Qu’entends-je, juste ciel!
CALCHAS.
La victime s’avance.
AGAMEMNON.
Ah! Calchas, que son nom soit encore un mystère.
Dieux! que de pleurs va répandre une mère!
Ils sortent.
Scène VI.
Clytemnestre, Iphigénie, Grecs et Grecques de leur suite, Auliens, Auliennes.
Clytemnestre, Iphigénie, arrivent sur le théâtre, montées sur un char antique, accompagnées des femmes de leur suite. Ce char est suivi et précédé d’une garde magnisiquement vêtue. Un peuple immense entonre et suit, en dansant et en chantant.
LE CHOEUR.
Que d’attraits, que de majesté!
Que de grâces, que de beauté!
Qu’aux auteurs de ses jours elle doit être chère!
Agamemnon est à la fois
Le plus fortuné père,
Le plus heureux époux et le plus grand des rois.
CLYTEMNESTRE après être descendu du char, et en s’avançant sur le devant du théâtre.
Que j’aime à voir ces hommages flatteurs,
Qu’ici l’on s’empresse à vous rendre!
Pour une mère tendre,
Que ce spectacle a de douceurs!
Demeurez dans ces lieux, ma fille; et, sans partage,
Recevez les honneurs qui nous sont addressés.
Je vais voir, si le roi de nos voeux empressés
Consent à recevoir l’hommage.
Clytemnestre sort suivie d’une partie de la garde.
Divertissement.
LE CHOEUR.
Non, jamais, aux regards du perfide Pâris,
Les trois rivales immortelles
Qui, sur le mont Ida, disputèrent le prix,
N’offrirent tant d’appas, ne parurent si belles.
UNE GRECQUE.
À la suprême majesté
De la jalouse déité,
Qui règne sur les airs, que l’Olympe révère;
UNE AUTRE.
À la redoutable fierté
De la déesse de la guerre;
UNE TROISIÈME.
Au sourire enchanteur de la tendre Vénus,
Elle unit toutes les vertus
De la fille du dieu qui lance le tonnerre.
LE CHOEUR.
Non, jamais, aux regards du perfide Pâris,
Les trois rivales immortelles
Qui, sur le mont Ida, disputèrent le prix,
N’offrirent tant d’appas, ne parurent si belles.
IPHIGÉNIE.
Les voeux dont ce peuple m’honore,
Peuvent-ils flatter mes souhaits?
Achille à mes yeux inquiets
Ne s’offre point encore.
Suite du divertissement.
Scène VII.
Iphigénie, Clytemnestre, Peuple.
CLYTEMNESTRE au peuple.
Allez ….
À Iphigénie.
Il faut sauver notre gloire offensée.
Ma fille, il faut partir à l’instant de ces lieux.
IPHIGÉNIE.
Sortir sans voir Achille! ô dieux!
Lui de qui l’ardeur empressée …
CLYTEMNESTRE.
Achille désormais doit vous être odieux:
Indigne de l’honneur promis à sa tendresse,
Dans de nouveaux liens ses voeux sont retenus.
IPHIGÉNIE.
Qu’entends-je!
CLYTEMNESTRE.
Agamemnon, redoutant que la Grèce
Ne vous vît exposée à l’affront d’un refus,
Vous ordonnait de fuir loin de l’Aulide,
Et d’aller dans Argos, oublier le perfide.
Arcas nous apportoit ces ordres absolus;
Mais nos pas égarés trompant sa diligence,
Il ne vient que dans ce moment,
De s’acquitter des soins commis à sa prudence,
Et de me consirmer ce fatal changement.
IPHIGÉNIE.
Hélas!
CLYTEMNESTRE.
Armez-vous d’un noble courage;
Étouffez des soupirs trop indignes de vous,
N’écoutez qu’un juste courroux,
Contre un amant qui vous outrage!
Que votre père et les dieux irrités,
Ces dieux jaloux dont vous sortez,
S’arment, pour le punir, de toute leur puissance;
Et que le cri de la vengeance
Retentisse de tous côtés!
Armez-vous d’un noble courage;
Étouffez des soupirs trop indignes de vous,
N’écoutez qu’un juste courroux,
Contre un amant qui vous outrage!
Elle sort.
Scène VIII.
IPHIGÉNIE seule.
L’ai-je bien entendu? grands dieux! le puis-je croire,
Qu’oubliant ses engagemens,
Achille, au mépris de sa gloire,
Au mépris de l’amour, trahisse ses sermens?
Hélas! mon coeur sensible et tendre,
De ce jeune héros s’était laissé charmer!
La gloire et le devoir m’ordonnaient de l’aimer.
Et d’accord avec eux, l’amour vint me surprendre.
Parjure! tu m’oses trahir;
Un autre objet a su te plaire:
Je te dois toute ma colère;
Je forcerai mon coeur à te haïr.
Que sa tendresse avoit pour moi de charmes!
Qu’il est cruel d’y renoncer!
De mes yeux, malgré moi, je sens couler des larmes;
Est-ce pour un ingrat qu’ils en devraient verser!
Un autre objet a su te plaire:
Parjure! tu m’oses trahir!
Je te dois toute ma colère,
Je forcerai mon coeur à te haïr.
Scène IX.
Iphigénie, Achille.
ACHILLE.
En croirai-je mes yeux! ô ciel! vous en Aulide,
Princesse?
IPHIGÉNIE.
Quel que soit le destin qui me guide,
Ma gloire ne pourra du moins me reprocher
Que c’est Achille ici que mon coeur vient chercher.
ACHILLE.
Qu’entends-je? quel discours! est ce à moi qu’il s’adresse?
IPHIGÉNIE.
De votre nouvelle tendresse,
Suivez, suivez les mouvemens;
Votre infidélité n’aura rien qui me blesse,
Et vous pouvez former d’autres engagemens.
ACHILLE.
D’autres engagemens! …. De cette perfidie
Qui m’ose accuser?
IPHIGÉNIE.
Moi … que vous avez trahie.
ACHILLE.
Achille vous trahir!
IPHIGÉNIE.
Malgré tant de sermens …
ACHILLE.
Cesser d’aimer Iphigénie! …
IPHIGÉNIE.
Rompre la chaine qui nous lie!
ACHILLE.
Moi, briser des noeuds si charmans!
IPHIGÉNIE.
Oui, vous brûlez que je ne sois partie …
Rassurez-vous; bientôt, au gré de votre envie,
Mon départ pour Argos, que pressent vos désirs,
Va laisser un champ libre à vos nouveaux soupirs.
ACHILLE.
Ah, c’en est trop; d’un vain caprice
Achille peut, de vos charmes épris,
Sans murmurer, supporter l’injustice;
Mais son coeur n’est point fait pour souffrir de mépris.
IPHIGÉNIE.
Ihpigénie, hélas! vous a trop sait connoître,
Pour sa gloire et pour son bonheur,
Que l’estime et l’amour, peut-être,
Lui parloient en votre faveur.
ACHILLE.
S’il était vrai, votre amour et ma gloire
Vous auraient-ils permis ces soupçons odieux?
Achille vous trahir! grands dieux!
Ah! pour vous pardonner d’avoir osé le croire,
Il faut tout l’excès de mes feux.
Cruelle, non, jamais votre insensible coeur
Ne fut touché de mon amour extrême:
Si vous m’aimiez autant que je vous aime,
Vous ne douteriez pas de ma fidelle ardeur.
Vous pouvez affliger un coeur qui vous adore,
Par des soupçons injurieux,
Et lui faire un tourment affreux,
Du feu constant qui le dévore.
Cruelle, non, jamais votre insensible coeur
Ne fut touché de mon amour extrême:
Si vous m’aimiez autant que je vous aime,
Vous ne douteriez pas de ma fidelle ardeur.
IPHIGÉNIE.
Mon trouble, mes soupçons, mon dépit, ma douleur,
Tout vous a prouvé ma foiblesse:
Il vous est bien aisé de tromper ma tendresse;
A vous croire, mon coeur n’est que trop empressé.
ACHILLE.
Ne doutez jamais de ma flamme;
De ce doute cruel mon amour est blessé.
IPHIGÉNIE.
Vous le banissiez de mon ame;
Je sens que pour jamais il en est effacé.
ACHILLE.
Iphigénie, ô ciel! m’a pu croire infidelle!
Par d’odieux soupçons elle a pu m’outrager!
IPHIGÉNIE.
Ne me reprochez point une erreur trop cruelle:
Les maux que j’ai soufferts, ont bien su vous venger.
Ensemble.
IPHIGÉNIE.
Que votre amour pour mon coeur a de charmes!
ACHILLE.
Que cet aveu pour mon coeur a de charmes!
Hymen, viens calmer nos alarmes,
Par des liens charmans viens unir, en ce jour,
Deux coeurs formés pour toi par les mains de l’amour.
Fin du premier acte.
Acte Second.
Le théâtre représente un vaste portique du palais d’Agamemnon.
Scène I.
Iphigénie, femmes de sa suite.
LE CHOEUR DE FEMMES.
Rassurez-vous, belle princesse;
Achille sera votre époux:
Agamemnon, pour vous plein de tendresse,
Sait trop que ce héros est le seul de la Grèce,
Qui soit digne de vous.
IPHIGÉNIE.
Vous essayez en vain de bannir mes alarmes;
Achille est instruit que le roi
Le soupçonnoit de mépriser mes charmes
Et de trahir sa foi:
Sa gloire offensée en murmure;
Ce soupçon lui paroît une mortelle injure,
Et j’ai lu dans ses yeux tout son ressentiment.
Vous connoissez la fierté de mon père:
Ils sont ensemble en ce moment.
LE CHOEUR DE FEMMES.
Rassurez-vous, belle princesse;
Achille sera votre époux:
Agamemnon, pour vous plein de tendresse,
Sait trop que ce héros est le seul de la Grèce,
Qui soit digne de vous.
IPHIGÉNIE.
Vous essayez en vain de bannir mes alarmes;
L’amour n’a que de faibles armes,
Quand l’honneur parle au héros offensé.
Par la crainte et par l’espérance,
Ah! que mon coeur est tourmenté.
Rien n’égale la violence
Des mouvemens consus dont il est agité.
Amour, j’implore ta puissance!
Fléchis d’Agamemnon l’implacable fierté,
Appaise le courroux d’un amant irrité,
Et rétablis entre eux l’heureuse intelligence
D’où dépend ma félicité.
Par la crainte et par l’espérance,
Ah! que mon coeur est tourmenté!
Rien n’égale la violence
Des mouvemens confus dont il est agité.
Scène II.
Clytemnestre, Iphigénie, femmes de sa suite.
CLYTEMNESTRE.
Ma fille, votre Hymen s’apprête,
Le roi lui-même, au temple, en ordonne la fête:
Quel triomphe pour vous, quelle gloire pour moi!
Aux yeux de tous les Grecs, le fils d’une déesse
Va me nommer sa mère et vous donner sa foi.
IPHIGÉNIE.
Ah, grands dieux! je renaîs,
CLYTEMNESTRE.
Tout plein de sa tendresse,
Achille vient.
Scène III.
Les actrices précédentes. Achille, Patrocle, Thessaliens et Thessaliennes.
ACHILLE.
Les auteurs de vos jours
Consentent que l’Hymen m’unisse à ce que j’aime;
De ma félicité suprême,
Princesse, rien ne peut interrompre le cours.
Les Thessaliens entrent en ordre militaire; ils sont suivis d’esclaves, portant les dépouilles de Lesbos, enlevées par Achille.
ACHILLE se tournant vers les Thessaliens.
Chantez, célébrez votre reine!
L’Hymen qui sous ses loix m’enchaîne,
Va vous rendre à jamais heureux.
LE CHOEUR.
Chantons, célébrons notre reine.
L’Hymen qui sous ses loix t’enchaîne,
Va nous rendre à jamais heureux.
Divertissement.
UNE THESSALIENNE.
Achille est couronné des mains de la Victoire,
Et l’Hymen et l’Amour le parent tour-à-tour;
Ah! qu’il est doux d’unir au laurier de la gloire
Les myrtes de l’Amour!
CHOEUR.
Ami sensible, ennemi redoutable,
Son ame fière et son bras indomptable,
Dans les combats Mars est moins formidable;
Rien ne résiste à ce jeune vainqueur.
Phrygiens, redoutez sa puissance!
Il va bientôt signaler sa vengeance.
Vous le verrez, et sa seule présence
Dans vos remparts répandra la terreur.
Suite du divertissement.
ESCLAVES LESBIENNES.
Les filles de Lesbos viennent vous faire entendre,
Par l’ordre du vainqueur, leurs suppliantes voix.
UNE ESCLAVE.
Il combattoit pour vous, et ses premiers exploits
Ont réduit ma patrie en cendre.
LES ESCLAVES.
En daignant nous donner des loix,
Vous tarirez les pleurs qu’il nous a fait répandre.
IPHIGÉNIE.
Venez et vous serez mes compagnes fidelles.
J’ai causé vos malheurs; je dois par mes bienfaits
Vous consoler de vos pertes cruelles,
Et vous faire oublier les maux qu’on vous a faits.
Suite du divertissement.
ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, PATROCLE.
Jamais à tes autels le plus saint des sermens,
Favorable Hyménée,
N’enchaîna la destinée
De plus heureux époux, de plus tendres amans.
Scène IV.
Les acteurs de la scène précédente. Arcas qui est entré vers la sin du divertissement.
ACHILLE.
Princesse, pardonnez à mon impatience.
Agamemnon nous attend à l’autel;
Venez combler les voeux du plus heureux mortel.
ARCAS se jetant au devant.
Je ne puis plus garder un coupable silence.
Infortunés amans, où courez-vous? O ciel!
Non, non, vous n’irez pas à cet autel funeste.
ACHILLE.
Que dites-vous Arcas!
CLYTEMNESTRE.
Vous me faites trembler.
ARCAS.
Votre époux, instrument de la fureur céleste,
Attend sa fille au temple, et c’est – pour l’immoler.
CLYTEMNESTRE.
Lui! Mon époux!
IPHIGÉNIE, ACHILLE.
Mon père! / Son père!
CLYTEMNESTRE.
O désespoir! ô crime!
TOUS AVEC LE CHOEUR.
Fut-il jamais conçu de projet plus affreux!
ARCAS.
Oui, c’est Iphigénie, oui, voilà la victime
Que demandent les dieux.
LES THESSALIENS s’avançant en tumulte.
Nous ne sonffrirons point ce sacrifice impie:
C’est notre reine, Achille est son époux;
Et nous périrons tous,
Pour conserver les jours d’Iphigénie.
CLYTEMNESTRE tombant aux genoux d’Achille.
Seigneur, j’embrasse vos genoux.
Ayez pitié de cette infortunée:
Sur ces bords malheureux je l’avois amenée,
Dans l’espoir de l’unir à vous.
Par un père cruel à la mort condamnée,
Et par les dieux abandonnée;
Elle n’a que vous seul; vous êtes dans ces lieux
Son père, son époux, son asyle et ses dieux.
Vous remplirez mon espérance,
Vous désendrez des jours si précieux;
Le courroux éclatant qui paroît dans vos yeux
M’en donne l’assurance.
Par un père cruel à la mort condamnée,
Et par les dieux abandonnée;
Elle n’a que vous seul; vous êtes dans ces lieux
Son père, son époux, son asyle et ses dieux.
ACHILLE.
Reine, rassurez-vous, et n’appréhendez pas
Que son père et les Grecs l’arrachent de vos bras:
Rentrez, je vais ici l’attendre.
IPHIGÉNIE.
Je ne vous quitte pas; seigneur, daignez m’entendre.
ACHILLE.
Le cruel, sous mon nom, vous donnoit le trépas!
A ma juste fureur rien ne peut le soustraire.
IPHIGÉNIE.
Seigneur, au nom des dieux, songez qu’il est mon père.
ACHILLE.
Votre père, cet inhumain!
IPHIGÉNIE.
C’est mon père, seigneur; c’est un père que j’aime …
CLYTEMNESTRE.
Son père! et le cruel veut lui percer le sein!
IPHIGÉNIE.
Un père infortuné, qui me chérit lui-même.
ACHILLE.
Je ne vois plus en lui qu’un perfide assassin.
CLYTEMNESTRE.
Ciel, soutiens mon courage;
Je n’espère qu’en toi!
IPHIGÉNIE.
Ciel, détourne l’orage,
Dissipe mon effroi!
ACHILLE.
Ciel, dévoue à ma rage
Un inhumain, sans foi.
ENSEMBLE.
O ciel, exauce-moi!
Scène V.
Achille. Patrocle.
ACHILLE.
Suis-moi, Patrocle.
PATROCLE.
Et que voulez-vous faire?
Voulez-vous, n’écoutant qu’un aveugle transport,
Aussi cruel que les dieux et son père,
Vous-même lui donner la mort?
ACHILLE.
Qui! moi? cours, et dis-lui qu’elle n’a rien à craindre,
Qu’outragé, furieux, mais vaincu par l’amour,
Quelque soit mon courroux, je saurai me contraindre,
Et respecter celui qui lui donna le jour.
Scène VI.
Agamemnon, Achille, Arcas, Gardes.
ACHILLE.
Je le vois, ciel! retiens la fureur qu’il m’inspire.
Arrêtez!
AGAMEMNON à part.
C’est Achille! Auroit-on pu l’instruire?
ACHILLE.
Je sais vos barbares projets;
Je sais qu’inhumain et parjure,
Vous vouliez, sous mon nom, consommer des forfaits
Dont frémit la nature:
J’en saurai, malgré vous, prévenir les effets.
Mais, vous, qui m’avez fait la plus sensible injure,
Rendez grâce à l’amour, si mon bras furieux
N’a pas encor vengé …
AGAMEMNON.
Jeune présomptueux,
Vous, dont l’audace et m’indigne et me blesse,
Oubliez-vous qu’ici je commande à la Grèce;
Que je ne dois qu’aux dieux compte de mes desseins,
Et que vingt rois, soumis à mon pouvoir suprême,
Doivent, sans murmurer, que vous devez vous-même,
Attendre, avec respect, mes ordres souverains?
ACHILLE.
Dieux! faudra-t-il souffrir ce superbe langage?
Votre fille est à moi; mes droits sont vos sermens;
De mon bonheur votre aveu fut le gage:
Vous tiendrez vos engagemens!
AGAMEMNON.
Cessez un discours qui m’offense.
Quelque sort aujourd’hui qui lui soit destiné,
C’est à vous d’attendre en silence
Ce qu’un père et les dieux en auront ordonné.
ACHILLE.
Est-ce à moi que l’on parle, et pourroit-on le croire?
Pensez-vous, qu’insensible à la gloire, à l’amour,
Je vous laisse immoler votre fille en ce jour,
Et des horreurs consommer la plus noire?
AGAMEMNON.
Pensez-vous, qu’oubliant et mon rang et ma gloire,
Je souffre plus long-tems vos superbes discours?
De votre audace téméraire,
J’arrêterai le cours.
ACHILLE.
De votre fureur sanguinaire
Je sauverai ses jours.
AGAMEMNON.
Audacieux!
ACHILLE.
Barbare père!
ENSEMBLE.
Tremblez, redoutez ma colère:
Craignez l’effet de mon ressentiment!
AGAMEMNON.
Je vous ferai connoître,
ACHILLE.
Vous apprendrez, peut-être,
AGAMEMNON.
Si l’on me brave impunément.
ACHILLE.
Si l’on m’offense impunément.
ENSEMBLE.
Tremblez, redoutez ma colère;
Craignez l’effet de mon ressentiment!
ACHILLE.
Je n’ai plus qu’un mot à vous dire;
Et, si vous m’entendez, ce seul mot doit suffire.
Avant que votre fureur
Immole ce que j’aime
Il faut que votre rage extrême
S’apprête à me percer le coeur.
Il sort.
Scène VII.
Agamemnon, Arcas, Gardes.
AGAMEMNON.
Tu décides son sort;
Ton insolente audace
Hâte le coup qui la menace;
Elle va recevoir la mort.
A moi, soldats! …. O dieu! que vais-je faire!
C’est ta fille, cruel, que tu leur vas livrer;
Ta fille, si long-tems à ton amour si chère!
Tout mon coeur se sent déchirer.
Non, qu’elle vive! … Ah! qu’elle est ma foiblesse!
Pour conserver ses jours que les dieux ont proscrits,
Faut-il sacrifier l’intérêt de la Grèce?
Faut-il d’Achille endurer les mépris?
Non! que plutôt cent fois à l’autel entraînée,
Ma fille par sa mort …. Ma fille! je frémis.
Iphigénie, ô ciel! de festons couronnée,
A l’homicide acier présentera son sein!
Je verrai tout son sang couler? .. Père inhumain!
N’entends-tu pas déjà les cris des Euménides?
L’air retentit des affreux sifflements
De leurs serpens homicides:
Vengeresses des parricides,
Elles commencent tes tourmens.
Barbares! arrêtez! les dieux ont fait mon crime,
Ils ont conduit ma main, ils ont porté les coups;
Eux seuls immolent la victime.
Quoi! rien ne peut fléchir votre courroux,
Cruelles! … Mais en vain votre fureur s’irrite.
Le remord dévorant qui me presse et m’agite,
Pour déchirer mon coeur est plus puissant que vous. –
Avec ma garde, Arcas, accompagnez la reine;
Qu’elle prenne, à l’instant, le chemin de Mycène;
Qu’avec ma fille, abandonnant ces lieux,
Elle la cache à tous les yeux.
Allez.
Arcas et les gardes sortent.
O toi, l’objet le plus aimable,
Que tant de vertus sont chérir,
Pardonne à ton père coupable,
En faveur de son repentir.
Hélas! c’est toi qui la première
D’un nom si doux sut m’appeler;
Et déjà ma main sanguinaire
Se préparoit à t’immoler!
Non, que plutôt des dieux l’implacable colère
A tes yeux me puisse accabler.
O toi, l’objet le plus aimable,
Que tant de vertus font chérir,
Pardonne à ton père coupable,
En faveur de son repentir.
Et toi, déesse impitoyable,
Perce mon coeur, au lieu du sien;
Satisfais ta rage implacable:
Tu veux du sang, répands le mien!
Fin du second acte.
Acte Troisième.
Le théâtre représente l’intérieur d’une tente magnisique, dont l’ouverture laisse voir une foule de peuple en tumulte.
Scène I.
Iphigénie, femmes de sa suite; Arcas, gardes, Grecs, derrière le théâtre et à la porte de la tente.
CHOEUR DES GRECS.
Non, non, nous ne souffrirons pas
Qu’on enleve au dieux leur victime;
Ils ont ordonné son trépas,
Notre fureur est légitime.
IPHIGÉNIE entrant éperdue, au milieu de ses femmes et des gardes.
Pourquoi vous opposer, Arcas,
A la fureur qui les anime?
ARCAS aux femmes.
Dans ces lieux retenez ses pas,
Tandis qu’à mon devoir fidèle,
Mon bras va repousser cette troupe cruelle.
Scène II.
Iphigénie, femmes de sa suite.
IPHIGÉNIE à Arcas qui sort.
Ne tentez point des efforts impuissans;
Aux femmes.
Volez au secours de ma mère,
Eloignez ses regards de mes derniers instans,
Et laissez-moi des dieux assouvir la colère.
Mourons, obéissons …
Scène III.
Iphigénie. Achille.
ACHILLE.
Princesse, suivez-moi!
Ne craignez ni les cris, ni la rage inutile
D’un peuple, à mon aspect saisi d’un juste effroi!
Marchez en sûreté sous la garde d’Achille,
Venez ….
IPHIGÉNIE.
Hélas! ô devoir rigoureux!
ACHILLE.
Venez, ne perdons point des instans précieux!
IPHIGÉNIE.
Vous vous armez en vain pour une insortunée,
Seigneur, dont le trépas …
ACHILLE.
Quel étrange discours!
Songez-vous que ma destinée,
Ma vie et mon bonheur dépendent de vos jours?
IPHIGÉNIE.
Ils m’étoient chers, je ne puis m’en défendre,
Ces jours, contre lesquels les dieux sont conjurés;
Ils vous appartenoient, et l’amour le plus tendre
Vous les avoit à jamais consacrés.
Il faut de mon destin subir la loi suprême:
Jusqu’au tombeau je braverai ses coups;
Oui, sous le fer de Calchas même,
Je vous dirai que je vous aime,
Et mon dernier soupir ne sera que pour vous.
ACHILLE.
Et vous m’aimez? Puis-je le croire encore?
Vous savez que je vous adore,
Ingrate, et vous voulez mourir!
IPHIGÉNIE.
Partez, seigneur, la gloire vous appelle;
Elle offre à vos regards la carrière immortelle,
Où vous devez courir:
Ma mort seule peut vous l’ouvrir.
ACHILLE.
Cette gloire à mes yeux si belle,
Vous voulez donc, cruelle,
Me la faire haïr!
IPHIGÉNIE.
Adieu, conservez dans votre ame
Le souvenir de notre ardeur;
Et qu’une si parfaite flamme
Vive à jamais dans votre coeur.
N’oubliez pas qu’Iphigénie,
Digne d’un moins funeste sort,
Pour vous seul chérissoit la vie,
Et vous aima jusqu’à la mort.
Adieu, conservez dans votre ame
Le souvenir de notre ardeur;
Et qu’une si parsaite flamme
Vive à jamais dans votre coeur.
ACHILLE.
Sans vous, Achille pourroit vivre?
Non, non, j’en atteste les dieux!
Je dois vous arracher, malgré vous, de ces lieux.
Venez, princesse, il faut me suivre.
IPHIGÉNIE.
Arrêtez! …. Quel est votre espoir?
Avez-vous cru qu’Iphigénie
Pût oublier sa gloire et son devoir?
Ils lui sont plus chers que la vie.
ACHILLE.
Hé bien, obéissez, barbare;
Courez chercher le plus affreux trépas.
A ce temple odieux, je marche sur vos pas,
J’y préviendrai le coup qu’on vous prépare.
Calchas, d’un trait mortel percé,
Sera ma première victime;
L’autel, préparé pour le crime,
Par ma main sera renversé.
Et si, dans ce désordre extrême,
Votre père, offert à mes coups,
Frappé, tombe et périt lui-même,
De sa mort, n’accusez que vous.
Scène IV.
Iphigénie, femmes de sa suite.
IPHIGÉNIE.
Cruel! … Il fuit … O ciel! satisfais ton courroux,
Et préviens par ma mort le carnage et le crime!
Scène V.
Iphigénie, Clytemnestre, femmes. Grecs derrière le théâtre.
CHOEUR DES GRECS.
Non, non, nous ne souffrirons pas
Qu’on enleve au dieux leur victime;
Ils ont ordonné son trépas,
Notre fureur est légitime.
CLYTEMNESTRE.
Osez mettre le comble à votre rage impie,
Barbares! venez donc m’immoler dans ses bras.
Elle se jette dans ses bras.
O ma fille!
IPHIGÉNIE.
O ma mère!
CLYTEMNESTRE.
O mon Iphigénie!
Jusqu’au dernier soupir je défendrai tes jours.
IPHIGÉNIE.
Rien n’en peut prolonger le cours.
Les dieux les ont marqués du sceau de leur colère;
Fuyez, laissez aux Grecs servir leur cruauté.
Ah! si jamais je vous fus chère,
Partez et n’allez point dans un camp révolté,
Pour m’arracher des mains d’un peuple sanguinaire,
Exposer votre rang et votre dignité.
CLYTEMNESTRE.
Eh! qu’importe ma gloire et mon rang et ma vie!
Non, si ma fille m’est ravie,
Non, je ne veux plus voir la lumière des cieux.
IPHIGÉNIE.
Vivez pour Oreste, mon frère;
Sur cet objet si cher réunissez vos voeux:
Puisse-t-il être plus heureux,
Puisse-t-il être, hélas! moins funeste à sa mère!
Du sort qui me poursuit n’accusez point mon père.
CLYTEMNESTRE.
Qui … lui, par qui ton coeur à Calchas présenté …
IPHIGÉNIE.
Pour conserver mes jours, que n’a-t-il point tenté!
Mais au courroux des dieux, qui pourroit me soustraire?
LE CHOEUR.
Non, non, nous ne souffrirons pas
Qu’on enleve aux dieux leur victime;
Ils ont ordonné son trépas;
Notre fureur est légitime.
IPHIGÉNIE.
Vous entendez les cris d’un peuple furieux.
Ma mère, rappelez ce sublime courage,
Appanage du sang que vous tenez des cieux.
Il est tems d’obéir aux dieux!
Ah! feisons les rougir du moins de leur ouvrage.
Recevez mes derniers adieux.
CLYTEMNESTRE.
Cruelle, tu veux donc que j’expire à tes yeux? …
Moi, je consentirois … et du courroux céleste …
Ta mère … ô ciel!
Elle tombe dans les bras des femmes.
IPHIGÉNIE aux femmes.
Hélas! … prenez soin de ses jours,
Et détournez ses pas de l’autel où je cours.
Elle sort.
Scène VI.
CLYTEMNESTRE courant après Iphigènie.
Dieux puissans que j’atteste,
Non, je ne souffrirai pas …
Aux femmes qui lui barrent le passage.
Vous osez retenir mes pas!
Persides, privez-moi du jour que je déteste;
Dans ce sein maternel enfoncez le couteau;
Et qu’au pied de l’autel funeste,
Je trouve du moins mon tombeau.
Ah! je succombe à ma douleur mortelle …
Ma fille … je la vois … sous le fer inhumain …
Que son barbare père aiguisa de sa main;
Un prêtre, environné d’une foule criminelle,
Ose porter sur elle une main cruelle;
Il déchire son sein, et d’un oeil curieux
Dans son coeur … palpitant … il consulte les dieux.
Arrêtez, monstre sanguinaire!
Tremblez! c’est le plus pur sang du souverain des cieux,
Dont vous osez rougir la terre!
Jupiter, lance ta soudre!
Que, sous tes coups écrasés,
Les Grecs soient réduits en poudre,
Dans leurs vaisseaux embrâsés!
Et toi, soleil, et toi, qui, dans cette contrée,
Reconnois l’héritier et le vrai fils d’Atrée,
Toi, qui n’osas du père éclairer le festin,
Recule, ils t’ont appris ce funeste chemin.
Jupiter, lance ta foudre!
Que, sous tes coups écrasés,
Les Grecs soient réduits en poudre,
Dans leurs vaisseaux embrâsés!
On entend une symphonie dans l’éloignement: Pour prix du sang que nous allons répandre, Puissante déité, protège-nous toujours!
Quels tristes chants se font entendre! …
O dieux! on va trancher ses jours.
En vain vous m’opposez une pitié cruelle;
Barbares, malgré vous je vole à son secours,
Ou je vais mourir avec elle.
Elle force le passage.
Scène VII.
Le théàtre représente le rivage de la mer, sur lequel on volt un autel. – Iphigénie est conduite à l’autel, environnée des prétresses de Diane. Derrière l’autel est le grand-prêtre, lea bras étendus vers le ciel, et le couteau sacré à la main. Les Grecs en foule occupent les deux côtés du théàtre.
CALCHAS, CHOEUR DES GRECS.
Pour prix du sang que nous allons répandre,
Puissante déité, protège-nous toujours;
De nos exploits n’interromps plus le cours,
Au rivage Troyen permets-nous de descendre!
Scène VIII.
Achille et les acteurs de la scène précédente. Grecs se jetant avec effroi de la gauche à la droite du théâtre.
GRECS.
Fuyons, fuyons tous:
D’Achille craignons le courroux.
Achille entre, suivi des Thessaliens en ordre, qui occupent tout le côté gauche du théâtre: il va à Iphigénie, l’enleve, et, la tenant de la main gauche, il menace de la droite armée Calchas et les Grecs.
CALCHAS ET LES GRECS.
C’est en vain qu’on veut la défendre:
Les dieux ordonnent son trépas.
ACHILLE.
Venez, si vous l’osez, l’arracher de mes bras.
IPHIGÉNIE.
Grands dieux! prenez votre victime.
CHOEURS DES GRECS.
Ils ont ordonné son trépas;
Notre fureur est légitime.
Scène dernière.
Clytemnestre, Agamemnon et les acteurs de la scène précédente.
CLYTEMNESTRE.
Oh! ma fille! ah, Seigneur!
ACHILLE.
Reine, ne craignez rien.
CALCHAS, GRECS.
C’est en vain qu’on veut la défendre;
Tout son sang doit couler!
ACHILLE.
Avant de le répandre,
Il faudra verser tout le mien.
CHOEUR DES GRECS.
Frappons, immolons la victime!
IPHIGÉNIE ET CLYTEMNESTRE embrassant sa fille.
Secourez-nous, grands dieux!
Le tonnerre se fait entendre, et continue.
ACHILLE ET LES THESSALIENS.
Ecrasons ces audacieux.
CHOEUR DES GRECS.
Notre fureur est légitime.
Frappons, frappons!
Le tonnerre éclate: une masse de nuages, qui avoit rempli successivement le fond du théâtre, s’éclaire, s’entr’ouvre et laisse voir Diane dans tout son éclat.
CALCHAS s’avançant.
Arrêtez, arrêtez!
Calmez cette fureur extrême.
La déesse vient elle-même,
Vous prescrire ses volontés.
DIANE.
Votre zèle des dieux a fléchi la colère.
Les vertus de la fille et les pleurs de la mère
Ont trouvé grâce devant eux.
Je ne vous retiens plus dans les champs de l’Aulide;
Volez où la gloire vous guide,
Etonnez l’univers par vos faits glorieux;
Et vous jeunes amans, vivez, soyez heureux.
Les nuages recouvrent la déesse, qui remonte au ciel.
CALCHAS.
Adorez la clémence et les bontés des dieux!
LE CHOEUR.
Adorons la clémence et les bontés des dieux.
AGAMEMNON.
O ma fille!
IPHIGÉNIE.
O mon père!
ACHILLE.
Iphigénie!
IPHIGÉNIE.
Achille!
CLYTEMNESTRE.
O toi qui m’est si chère!
CLYTENNESTRE ET AGAMEMNON.
Les dieux te rendent à nos voeux,
Pour faire le bonheur d’Achille.
IPHIGÉNIE.
Ah! qu’il est doux! mais qu’il est difficile
De passer, si subitement,
Du plus cruel tourment
A la félicité suprême.
TOUS LES QUATRE ENSEMBLE.
Mon coeur ne sauroit soutenir
L’excès de mon bonheur extrême:
Palpitant, il s’élance au-delà de moi-même,
Il est enivré de plaisir.
A peine je respire;
Quel aimable délire
Vient s’emparer de tous mes sens!
ACHILLE ET IPHIGÉNIE.
Les dieux ont eu pitié de nos gémissemens.
ENSEMBLE AVEC LE CHOEUR.
Jusques aux voûtes éthérées
Portons nos voeux reconnoissans,
Et célébrons les nôces désirées
De ces deux illustres amans.
Leur bonheur est le premier gage
De la juste faveur des dieux;
Et leur hymen est le présage
De nos triomphes glorieux.
Divertissement.