Charles François Gounod

Faust (Margarethe)

Grand Opéra en cinq actes

Libretto von Jules Paul Barbier und Michel-Florentin Carré

Uraufführung: 19.03.1859, Théâtre Lyrique, Paris

Personnages

Le docteur Faust
Méphistophélès
Valentin
Wagner
Marguerite
Siebel
Marthe
Étudiants, soldats, bourgeois, sorcières etc. etc.

Acte premier.

N° 1. Introduction.

Scène première.

Le cabinet de Faust.

Faust seul.

Il fait nuit. – Faust est assis devant une table chargée de parchemins. La lampe est près de s’èteindre. Un livre est ouvert devant lui.

N° 2. Scène et Choeur.

FAUST.
Rien!
En vain j’interroge, en mon ardente veille,
La nature et le Créateur;
Pas une voix ne glisse à mon oreille
Un mot consolateur!
J’ai langui, triste et solitaire,
Sans pouvoir briser le lien
Oui m’attache encore à la terre!
Je ne vois rien!
Je ne sais rien!

Il ferme le livre et se lève. Le jour commence à poindre. Faust va ouvrir sa croisée.

Le ciel pâlit! – Devant l’aube nouvelle
La sombre nuit
S’évanouit!

Avec c’ésespoir.

Encore un jour! – encore un jour qui luit!
O mort, quand viendras-tu m’abriter sous ton aile?
Eh bien! puisque la mort me fuit,
Pourquoi n’allé-je pas vers elle?

Il saisit une fiole sur la table.

Salut! ô mon dernier, matin!
J’arrive sans terreur au terme du voyage;
Et je suis, avec ce breuvage,
Le seul maître de mon destin!

Il verse le contenu de la fiole dans une coupe en cristal. Au moment où il va porter la coupe à ses lèvres, des voix des jeunes filles se font entendre au dehors.

CHOEUR.
Ah! Paresseuse fille
Qui sommeille encor!
Déjà le jour brille
Sous son manteau d’or;
Déjà l’oiseau chante
Ses folles chansons;
L’aube carressante
Sourit aux moissons;
Le ruisseau murmure,
La fleur s’ouvre au jour,
Toute la nature
S’éveille à l’amour.
FAUST.
Vains échos de la joie humaine,
Passez, passez votre chemin! …
O coupe des aïeux, qui tant de fois fus pleine,
Pourquoi trembles-tu dans ma main?

Il porte de nouveau la coupe à ses lèvres.

CHOEUR DES LABOUREURS derrière la scène.
Aux champs l’aurore nous rapelle!
On voit à peine l’hirondelle,
Oui vole et plonge d’un coup d’aile
Dans la profondeur du ciel bleu!
Le temps est beau! La terre est belle!
Aux champs l’aurore nous rapelle!
Beni soit Dieu!
FAUST.
Dieu.

Il se laisse retomber dans son fauteuil.

N° 3. Recitatif.

FAUST.
Mais ce Dieu, que peut-il pour moi?
Me rendra-t-il l’amour, la jeunesse et la foi?

Aveg rage.

Maudites soyez vous, ô voluptés humaines!
Maudites soient les chaînes
Oui me font ramper ici-bas!
Maudit soit tout ce qui nous leurre,
Vain espoir qui passe avec l’heure,
Rêves d’amour ou de combats!
Maudit soit le bonheur, maudites la science,
La prière et la foit!
Maudite sois-tu, patience!
A moi, Satan! à moi!

Méphistophélès apparaissant.

Scène II.

Faust et Méphistophélès.

N° 4. Duo.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Me voici! – D’où vient ta surprise?
Ne suis-je pas mis à ta guise?
L’épée au côté, la plume au chapeau,
L’escarcelle pleine, un riche manteau
Sur l’épaule; – en somme
Un vrai gentilhomme!
Eh bien! que me veux-tu, docteur!
Parle, voyons! … – Te fais-je peur?
FAUST.
Non!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Doutes-tu de ma puissance?
FAUST.
Peut-être!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Mets-la donc à l’épreuve!
FAUST.
Va-t’en!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Fi! c’est là ta reconnaissance!
Apprends de moi qu’avec Satan
L’on en doit user d’autre sorte,
Et qu’il n’était pas besoin
De l’appeler de si loin
Pour le mettre ensuite à la porte!
FAUST.
Et que peux-tu pour moi?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Tout … Mais dis-moi d’abord
Ce que tu veux; – est-ce de l’or?
FAUST.
Que ferai-je de la richesse?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Bon, je vois où le bât te blesse!
Tu veux la gloire?
FAUST.
Plus encor!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
La puissance?
FAUST.
Non! Je veux un trésor
Qui les contient tous! … je veux la jeunesse! …
A moi les plaisirs,
Les jeunes maîtresses!
A moi leurs caresses!
A moi leurs désirs!
A moi l’énergie
Des instincts puissants,
Et la folle orgie
Du coeur et des sens!
Ardente jeunesse,
A moi les désirs,
A moi ton ivresse,
A moi les plaisirs!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Fort bien!
Je puis contenter ton caprice.
FAUST.
Et que te donnerai-je en retour?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Presque rien!
Ici, je suis à ton service,
Mais là-bas, tu seras au mien!
FAUST.
Là-bas? …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Là-bas ….

Lui présentant un parchemin.

Allons, signe! – Eh quoi! ta main tremble!
Que faut-il pour te décider?
La jeunesse t’appelle; ose la regarder!

Apparition de Marguerite au Rouet.

FAUST.
O merveille!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Eh bien! que t’en semble?
FAUST.
Donne! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Allons donc! …

Prenant la coupe restée sur la table.

Et maintenant,
Maître, c’est moi qui te convie
A vider cette coupe où fume en bouillonnant
Non plus la mort, non plus le poison; mais la vie!
FAUST prenant la coupe.
A toi, à toi, à toi,
Fantôme adorable et charmant!

Il vide la coupe et se trouve métamorphosé en jeune et élégant seigneur. La vision disparait.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Viens!
FAUST.
Je la reverrais?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Sans doute.
FAUST.
Quand?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Aujourd’hui.
FAUST.
C’est bien!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
En route!
FAUST.
A moi les plaisirs,
Les jeunes maîtresses!
A moi leurs caresses,
A moi leurs désirs!
A moi l’énergie
Des instincts puissants
Et la folle orgie
Du coeur et des sens!
Ardente jeunesse,
A moi tes désirs,
A moi ton ivresse,
A moi tes plaisirs.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
A toi les plaisirs
Les jeunes maîtresses
A toi leurs caresses,
A toi leurs désirs!
A toi l’énergie
Des instincts puissants
Et la folle orgie
Du coeur et des sens!
A toi la jeunesse,
A toi ses désirs,
A toi son ivresse,
A toi ses plaisirs.

Acte deuxième.

Une des portes de la ville. A gauche, un cabaret à l’enseigne du Dieu Bacchus.

Scène première.

Wagner, jeunes filles, matrones, bourgeois, étudiants, soldats.

N° 5. Choeur. Une Kermesse.

ETUDIANTS dans la taverne.
Vin ou bière,
Bière ou vin,
Que mon verre
Soit plein!
Sans vergogne,
Coup sur coup,
Un ivrogne
Boit tout!
WAGNER.
Jeune adepte
Du tonneau,
N’en excepte
Que l’eau!
Que ta gloire,
Tes amours,
Soient de boire
Toujours!
ÉTUDIANTS.
Jeune adepte
Du tonneau etc.

Ils trinquent et boivent.

SOLDATS.
Filles ou forteresses,
C’est tout un, morbleu!
Vieux burgs, jeunes maîtresses
Sont pour nous un jeu!
Celui qui sait s’y prendre
Sans trop de façon,
Les oblige à se rendre
En payant rançon!
BOURGEOIS.
Aux jours de dimanche et de fête,
J’aime à parler guerre et combats:
Tandis que les peuples là-bas
Se cassent la tête.
Je vais m’asseoir sur les coteaux
Qui sont voisins de la rivière,
Et je vois passer les bateaux
En vidant mon verre.

Bourgeois et soldats remontent vers le fond du théâtre.

JEUNES FILLES.
Voyez ces hardis compères
Qui viennent là-bas;
Ne soyons pas trop sévères,
Retardons le pas.

Elles gagnent la droite du théâtre.

JEUNES ÉTUDIANTS.
Voyez ces mines gaillardes
Et ces airs vainqueurs!
Amis, soyons sur nos gardes,
Tenons bien nos coeurs!
MATRONES observant les étudiants et les jeunes filles.
Voyez après ces donzelles
Courir ces messieurs!
Nous sommes aussi bien qu’elles,
Sinon beaucoup mieux!

Tous les groupes redescendent en scène.

JEUNES FILLES.
On voudrait plaire
Mais c’est en vain!
On voudrait plaire
Mais c’est en vain!
De votre colère
Nous ne craignons rien!
Front qui se renfrogne
Rougit, voilà tout!
Un galant m’accepte
Je le prends au mot.
MATRONES.
Vous voulez plaire:
On le sait bien!
Le mot est fin!
Nous le savons bien.
Soyez sans vergogne,
Comme il sont sans goût
Il faut être inepte,
Je le dis tout haut,
Pour se faire gloire
De telles amours
Il faut être inepte
Je le dis tout haut.
BOURGEOIS.
Allons! voisin!
Vidons un verre de vin!
Ma fêmme grogne sur tout,
Toujours il faut l’en croire.
Allons! voisin!
Vidons un verre de vin.
JEUNES ÉTUDIANTS.
De cette affaire
Voyons la fin!
Voyez leur colère,
Voyez leur maintien!
Leur front se renfrogne,
Elles ont du goût,
Gageons qu’on m’accepte
Des le premier mot,
Filles au bras d’ivoire,
Voila mes amours.
ÉTUDIANTS.
Vive le vin!
Vin ou bière,
Bière ou vin,
Que mon verre
Soit plein!
Sans vergogne
Coup sur coup,
Un ivrogne
Boit tout!
Jeune adepte
Du tonneau,
N’en excepte,
Que l’eau!
Que ta gloire,
Tes amours
Soient de boire
Toujours!
SOLDATS.
Vive la guerre!
Metier divin!
Pas de beauté fière
Nous savons leur plaire
En un tour de main!
Allons en besoigne
Sans peur ni vergogne
A l’assaut par tout!
De ce grand précepte
Fièr soldat n’excepte
Fêmme ni château,
Et couvert de gloire
Chante la victoire
Au bruit des tambours!

Tous les groupes s’éloignent et se dispersent.

Scène II.

Valentin, Wagner, Siebel, Étudiants.

N° 6. Scène et Récitatif.

VALENTIN paraissant, il tient une petite médaille d’argent à la main.
O sainte médaille,
Qui me viens de ma soeur,
Au jour de la bataille,
Pour écarter la mort, reste là sur mon coeur!

Il passe la médaille à son cou et se dirige vers le cabaret.

WAGNER.
Ah! voici Valentin qui nous cherche sans doute!
VALENTIN.
Un dernier coup, messieurs, et mettons-nous en route!
WAGNER.
Qu’as-tu donc? … quels regrets attristent nos adieux?
VALENTIN.
Comme vous, pour longtemps, je vais quitter ces lieux;
J’y laisse Marguerite, et, pour veiller sur elle,
Ma mère n’est plus là!
SIEBEL.
Plus d’un ami fidèle
Saura te remplacer à ses côtés!
VALENTIN.
Merci!
SIEBEL.
Sur moi tu peux compter!
CHOEUR.
Compte sur nous aussi!

Invocation.

Supplément de Gounod.

VALENTIN.
Avant de quitter ces lieux,
Sol natal de mes aïeux
A toi, seigneur et Roi des cieux
Ma soeur je confie,
Daigne de tout danger
Toujours, toujours la protéger
Cette soeur si cherie!
Délivré d’une triste pensée
J’irai chercher la gloire, la gloire au seins des ennemis,
Le premier, le plus brave au fort de la mêlée,
J’irai combattre pour mon pays.
Et si vers lui, Dieu me rappelle,
Je veillerai sur toi fidèle,
O Marguerite!

Avant de quitter ces lieux,
Sol natal de mes aïeux,
A toi, seigneur et Roi des cieux,
Ma soeur je confie!
O Roi des cieux, jette les yeux,
Protège Marguerite, Roi des cieux!
WAGNER.
Allons, amis! point de vaines alarmes!
A ce bon vin ne melons pas de larmes!
Buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain
Nous mette en train!
CHOEUR.
Buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain
Nous mette en train!
WAGNER.
Un rat plus poltron que brave,
Et plus laid que beau,
Logeait au fond d’une cave,
Sous un vieux tonneau,
Un chat …

Scène III.

Les mêmes, Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Pardon!
WAGNER.
Hein! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Parmi vous, de grâce,
Permettez-moi de prendre place!
Que votre ami d’abord achève sa chanson!
Moi, je vous en promets plusieurs de ma façon.
WAGNER.
Une seule suffit, pourvu quelle soit bonne!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Je ferai de mon mieux –
Pour n’ennuyer personne!

N° 7. Ronde du veau d’or.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Le veau d’or est toujours debout!
On encense
Sa puissance,
D’un bout du monde à l’autre bout!
Pour fêter l’infâme idole
Roi et peuples confondus,
Au bruit sombre des écus,
Dansent une ronde folle
Autour de son piédestal!
Et Satan conduit le bal!
CHOEUR.
Et Satan conduit le bal!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Le veau d’or est vainquer des dieux!
Dans sa gloire
Dérisoire
Le monstre abjecte insulte aux cieux
Il contemple, ô rage étrange!
A ses pieds le genre humain
Se ruant, le fer en main,
Dans le sang et dans la fange
Où brille l’ardent métal!
Et Satan conduit le bal!
CHOEUR.
Et Satan conduit le bal!

N° 8. Récitatif et Choral des Epées.

CHOEUR.
Merci de ta chanson.
VALENTIN.
Singulier personnage!
WAGNER.
Nous ferez-vous l’honneur de trinquer avec nous?
MÉPHISTOPHÉLÈS prenant son verre.
Volontiers!

Saisissant la main de Wagner.

Ah, voici qui m’attriste pour vous!
Vous voyez cette ligne?
WAGNER.
Eh bien?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Fâcheux présage!
Vous vous ferez tuer en montant à l’assaut!
SIEBEL.
Vous êtes donc sorcier?
MÉPHISTOPHÉLÈS prenant la main de Siebel.
Tout juste autant qu’il faut
Pour lire dans ta main que le ciel te condamne
A ne plus toucher une fleur
Sans qu’elle se fane!
SIEBEL.
Moi?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Plus de bouquets à Marguerite!
VALENTIN.
Ma soeur! …
Qui vous a dit son nom?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Prenez garde, mon brave!
Vous vous ferez tuer par quelqu’un que je sais!

Il arrache le verre des mains de Wagner.

A votre santé!
Peuh! que ton vin est mauvais!
Permettez-moi de vous en offrir de ma cave.

Il monte sur le banc et trappe sur un petit tonneau surmonté d’un Bacchus qui sert d’enseigne au cabaret.

Holà! Seigneur Bacchus! A boire! …
Approchez-vous!
Chacun sera servi selon ses goûts!
A la santé que tout à l’heure
Vous portiez, mes amis, à Marguerite!
VALENTIN il arrache le verre des mains de Méphistophélès et enjette le contenu qui s’enflamme en tombant à terre.
Assez!
Si je ne te fais taire à l’instant, que je meure!
WAGNER ET LE CHOEUR.
Holà!

Valentin, Siebel et les étudiants tirent les épées contre Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS riant.
Pourquoi trembler, vous qui me menacez?

Il trace un cercie autour de lui avec son épée.

VALENTIN.
Mon fer, ô surprise!
Dans les airs se brise!

Tous s’élancent sur Méphistophélès s’arrêtent comme devant une barrière invisible. L’épée de Valentin se brise.

SIEBEL, VALENTIN, WAGNER, CHOEUR.
De l’enfer qui vient émousser
Nos armes
Nous ne pouvons pas repousser
Les charmes!

Tous prennent leurs épées par la lame et le present sous forme de croix à Méphistophélès.

VALENTIN.
Mais puisque tu brises le fer,
Regarde! …
C’est une croix qui, de l’enfer,
Nous garde!

Scène IV.

Méphistophélès, Faust.

MÉPHISTOPHÉLÈS remettant son épée au fourneau.
Nous nous retrouverons, mes amis! – Serviteur!
FAUST entrant.
Qu’as-tu donc?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Rien! – A nous deux, cher Docteur,
Qu’attendez-vous de moi? par où commencerai-je?
FAUST.
Où se cache la belle enfant
Que ton art m’a fait voir? – Est-ce un vain sortilège?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Non pas, mais contre nous sa vertu la protège;
Et le ciel même la dèfend.
FAUST.
Qu’importe? Je le veux! viens!
Conduit-moi vers elle!
Ou je me sépar de toi.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Il suffit! … je tiens trop à mon nouvel emploi
Pour vous laisser douter un instant de mon zèle!
Attendons! … Ici même, à ce signal joyeux,
La belle et chaste enfant va paraître à vos yeux!

Scène V.

Les mêmes, jeunes filles, matrones, étudiants, bourgeois, puis Siebel et Marguerite.

N° 9. Valse et Choeur.

Étudiants et jeunes filles commencent à danser. Les bourgeois suivent.

CHOEUR.
Ainsi que la brise légère
Soulève en épais tourbillons
La poussière
Des sillons,
Que la valse nous entraîne!
Faites retentir la plaine
De l’éclat de vos chansons!
MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust.
Vois ces filles
Gentilles!
Ne veux-tu pas
Aux plus belles
D’entre elles
Offrir ton bras?
FAUST.
Non, fais trêve
A ce ton moqueur!
Et laisse mon coeur
A son rêve! …
SIEBEL.
C’est par ici que doit passer Marguerite!
QUELQUES JEUNES FILLES s’approchant de Siebel.
Faut-il qu’une fille à danser vous invite?
SIEBEL.
Non! … non! … je ne veux pas valser! …
CHOEUR.
Ainsi que la brise légère
Soulève en épais tourbillons
La poussière
Des sillons,
Que la valse vous entraîne!
Faites retentir la plaine
De l’éclat de vos chansons!

Marguerite parait.

FAUST.
La voici! … C’est elle! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Eh bien, aborde-la!
SIEBEL faisant un pas vers Marguerite.
Marguerite! …
MÉPHISTOPHÉLÈS se mettant devant Siebel et lui barrant le passage.
Plaît-il?
SIEBEL.
Maudit homme! encor là! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Eh quoi, mon ami! vous voilà! …
Ah! ah! vraiment! mon ami! vous voilà!
FAUST abordant Marguerite.
Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle,
Qu’on vous offre le bras pour faire le chemin?
MARGUERITE.
Non, monsieur! je ne suis demoiselle, ni belle,
Et je n’ai pas besoin qu’on me donne la main!

Elle passe devant Faust et s’éloigne.

FAUST.
Par le ciel! que de grâce … et quelle modestie!
O belle enfant, je t’aime …
SIEBEL.
Elle est partie!
MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust.
Eh bien?
FAUST.
Eh bien! On me repousse!
MÉPHISTOPHÉLÈS en riant.
Allons! à tes amours
Je le vois, cher docteur, il faut prêter secours!

Méphistophélès et Faust s’éloignent.

PREMIÈRE GROUPE DE JEUNES FILLES.
Qu’est-ce donc?
DEUXIÈME GROUPE DE JEUNES FILLES.
Marguerite,
Qui de ce beau seigneur refuse la conduite! …
LES ÉTUDIANTS.
Valsons encor! …
TOUS.
Valsons toujours! …
CHOEUR.
Ainsi que la brise légère
Soulève en épais tourbillons
La poussière
Des sillons.
Que la valse vous entraîne
Faites retentir la plaine
De l’éclat de vos chansons.
Jusqu’à perdre haleine! …
Jusqu’à mourir!
Un dieu les entraîne,
C’est le plaisir! …
La terre tournoie!
Et fuit loin d’eux!
Quel bruit, quelle joie
Dans tous les yeux!
Acte troisième.

Le jardin de Marguerite. Au fond, un mur percé d’une petite porte. A gauche, un bosquet. A droite, un pavillon dont la fenêtre fait face au public. Arbres et massifs.

N° 10. Entr’acte et couplets.

Scène I.

Siebel entre par la petite porte du fond et s’arrête sur le seuil du pavillon, près d’un massif de roses et de lilas.

SIEBEL.
Faites-lui mes aveux,
Portez mes voeux,
Fleurs écloses près d’elle,
Dites-lui qu’elle est belle,
Que mon coeur nuit et jour
Languit d’amour!
Révélez à son âme
Le secret de ma flamme!
Qu’il s’exhale avec vous
Parfums plus doux! …

Il cueille une fleur.

Fanée!

Il jette la fleur avec dépit

Ce sorcier que Dieu condamne
M’a porté malheur!

Il cueille une autre fleur qui s’effeuille encore.

Je ne puis sans qu’elle se fane
Toucher une fleur!
Si je trempais mes doigts dans l’eau bénite!
C’est là que chaque soir vient prier Marguerite!

Il trempe ses doigts dans le bénitier accroché au mur.

Voyons maintenant! voyons vite!
Elles se fanent! … Non! – Satan, je ris de toi!
C’est en vous que j’ai foi;
Parlez pour moi!
Qu’elle puisse connaître
L’émoi qu’elle a fait naître,
Et dont mon coeur troublé
N’a point parlé!
Si l’amour l’effarouche,
Que la fleur sur sa bouche
Sache au moins déposer
Un doux baiser!

Il disparaît dans les massifs du jardin.

Scène II.

Faust, Méphistophélès, Siebel.

N° 11. Scène et Récitatif.

Faust et Méphistophélès entrent par la porte du fond.

FAUST.
C’est ici?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Suivez-moi!
FAUST.
Que regardes-tu là.
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Siebel, votre rival!
FAUST.
Siebel!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Chut! … le voila!

Méphistophélès et Faust entrent dans le bosquet.

SIEBEL rentrant en scène, un bouquet à la main.
Mon bouquet n’est-il pas charmant?
MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
Charmant!
SIEBEL.
Victoire!
Je lui raconterai demain toute l’histoire,
Et, si l’on veut savoir le secret de mon coeur,
Un baiser lui dira le reste!

Il attache le bouquet à la porte du pavillon.

MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
Séducteur!

Scène III.

Méphistophélès, Faust.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Attendez-moi là, cher docteur!
Pour tenir compagnie aux fleurs de votre élève,
Je vais vous chercher un trésor
Plus merveilleux, plus riche encor
Que tous ceux qu’elle voit en rêve!
FAUST.
Laisse moi!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
J’óbéis! … Daignez m’attendre ici!

Il sort par la porte du fond.

FAUST.
Quel trouble inconnu me pénètre?
Je sens l’amour s’emparer de mon être
O Marguerite! à tes pieds me voici!

Scène IV.

Faust seul.

N° 12. Cavatine.

FAUST.
Salut! demeure chaste et pure, où se devine
La présence d’une âme innocente et devine! …
Que de richesse en cette pauvreté!
En ce réduit que de félicité! …
O nature, c’est là que tu la fis si belle,
C’est là que cette enfant à grandi sous ton aile,
A dormi sous tes yeux!
Là que, de ton haleine enveloppant son âme,
Tu fis avec amour épanouir la fêmme
En cet ange des cieux!
Salut! demeure chaste et pure, où se divine
La présence d’une âme innocente et devine!

Scène V.

Méphistophélès, Faust.

N° 13. Scène.

MÉPHISTOPHÉLÈS il a une cassette sous le bras.
Alerte, la voila! … Si le bouquet l’emporte
Sur l’écrin, je consens à perdre mon pouvoir.
FAUST.
Fuyons, je veux ne jamais la revoir!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Quel scrupule vous prend! …
Sur le seuil de la porte,
Voici l’écrin placé! … venez! … j’ai bon espoir! …

Il place la cassette sur le seuil du pavillon. Sortent.

Scène VI.

Marguerite, seule.

N° 14. Récitatif.

MARGUERITE entre par la porte du fond et descend en silence j’usque sur le devant de la scène.
Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme,
Si c’est un grand seigneur, et comment il se nomme?

Elle s’assied dans le bosquet, devant son rouet et chante.

N° 14. Chanson du Roi de Thule.

I.

Il était un roi de Thulé
Qui, jusqu’à la tombe fidèle,
Eut, en souvenir de sa belle,
Une coupe en or ciselé! …

S’interrompant.

Il avait-bonne grâce, à ce qu’il m’a semblé.

Reprenant sa chanson.

Nul trésor n’avait tant de charmes!
Dans les grands jours il s’en servait,
Et chaque fois qu’il y buvait,
Ses yeux se remplissaient de larmes! …

II.

Quand il sentit venir la mort,
Etendu sur sa froide couche,
Pour la porter jusqu’à sa bouche
Sa main fit un suprème effort! …

S’interrompant.

Je ne savais que dire, et j’ai rougi d’abord.

Reprenant sa chanson.

Et puis, en l’honneur de sa dame,
Il but une dernière fois;
La coupe trembla dans ses doigts,
Et doucement il rendit l’âme!

Elle se lève.

Les grands seigneurs ont seuls des airs si résolus,
Avec cette douceur!
Allons! n’y pensons plus!
Cher Valentin, si Dieu m’écoute,
Je te reverrai! me voilà
Toute seule!

Elle se dirige vers le pavillon et aperçoit le bouquet suspendu à la porte.

Un bouquet! …

Elle prend le bouquet.

C’est de Siebel, sans doute!
Pauvre garçon!

Apercevant la cassette.

Que vois-je là? …
D’où ce riche coffret peut-il venir? … Je n’ose
Y toucher, et pourtant … – Voici la clef, je crois! …
Si je l’ouvrais! … ma main tremble! … Pourquoi?
Je ne fais, en l’ouvrant, rien de mal, je suppose! …

Elle ouvre la cassette et laisse tomber le bouquet.

O Dieu! que de bijoux! … est-ce un rève charmant
Qui m’éblouit, ou si je veille? …
Mes yeux n’ont jamais vu de richesse pareille! …

Elle place la cassette sur une chaise et s’agenouille pour se parer.

Si j’osais seulement
Me parer un moment
De ces pendants d’oreille! …

Elle tire des boucles d’oreille de la cassette

Ah! voici justement,
Au fond de la cassette,
Un miroir! … comment
N’être pas coquette?

N° 14. Air des bijoux.

Elle se pare des boucles d’oreilles, se lève et se regarde dans le miroir.

Ah! je ris de me voir,
Si belle en ce miroir!
Est-ce toi, Marguerite?
Réponds-moi, réponds vite! –
Non! non! – ce n’est plus toi!
Non! non! – ce n’est plus ton visage!
C’est la fille d’un roi,
Qu’on salue au passage! –
Ah, s’il était ici! …
S’il me voyait ainsi!
Comme une demoiselle,
Il me trouverait belle.

Elle se pare du collier.

Achevons la métamorphose!
Il me tarde encor d’essayer
Le bracelet et le collier!

Elle se pare du bracelet et se lève.

Dieu! c’est comme une main qui sur mon bras se pose!
Ah! je ris de me voir
Si belle en ce miroir!
Est-ce toi, Marguerite?
Reponds-moi, reponds vite! –
Ah, s’il était ici! …
S’il me voyait ainsi!
Comme une demoiselle,
Il me trouverait belle.
Marguerite, ce n’est plus toi,
Ce n’est plus ton visage,
Non! c’est la fille d’un roi,
Qu’on salue au passage.

Scène VII.

Marthe, Marguerite.

N° 15. Scène.

MARTHE entrant par la petite porte.
Seigneur Dieu, que vois-je! comme vous voilà belle,
Mon ange! … – D’où vient ce riche écrin?
MARGUERITE embarrassée.
Hélas! on l’aura par mégarde apporté.
MARTHE.
Que non pas!
Ces bijoux sont à vous, ma chère demoiselle!
Qui, c’est là le cadeau d’un seigneur amoureux!
Mon cher époux jadis était moins généreux!

Scène VIII.

Les mêmes, Méphistophélès, Faust.

MÉPHISTOPHÉLÈS faisant une grande révérence.
Dame Marthe Schwerlein, s’il vous plaît?
MARTHE.
Qui m’appelle?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Pardon d’oser ainsi nous présenter chez vous!

Bas à Faust.

Vous voyez qu’elle a fait bon accueil aux bijoux?

Haut à Marthe.

Dame Marthe Schwerlein!
MARTHE.
Me voici!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
La nouvelle
Que j’apporte n’est pas pour vous mettre en gaieté. –
Votre mari, madame, est mort et vous salue!
MARTHE.
Ah! … grand Dieu! …
MARGUERITE.
Qu’est-ce donc?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Rien! …
MARTHE.
O calamité! O nouvelle imprévue! …
MARGUERITE elle emporte le coffret.
Malgré moi mon coeur tremble
Et tressaille à sa vue!
FAUST.
La fièvre de mes sens se dissipe à sa vue?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Votre mari, madame,
Est mort, et vous salue!
MARTHE à Méphistophélès.
Ne m’apportez-vous rien de lui?
MÉPHISTOPHÉLÈS à Marthe.
Rien! … et pour le punir, il faut dès aujourd’hui
Chercher quelqu’un qui le remplace.
FAUST à Marguerite.
Pourquoi donc quitter ces bijoux?
MARGUERITE à Faust.
Ces bijoux ne sont pas à moi! …
Laissez, de grace! …
MÉPHISTOPHÉLÈS à Marthe avec une ardeur affectée.
Qui ne serait heurreux d’échanger avec vous
La bague d’hyménée?
MARTHE.
Ah! bah! Plait-il?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Hélas, cruelle destinée‘..

N° 16. Quatuor.

Marthe et Méphistophélès causent à voix basse.

FAUST à Marguerite.
Prenez mon bras un moment.
MARGUERITE se défandant.
Laissez! … Je vous en conjure!
MÉPHISTOPHÉLÈS à Marthe.
Votre bras!
MARTHE à part.
Il est charmant!
MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
La voisine est un peu mûre.
MARGUERITE.
Je vous en conjure!
MARTHE.
Quelle noble allure!
FAUST.
Ame douce et pure!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Elle est un peu mûre!

Marguerite abandonne son bras à Faust et s’éloigne avec lui; Méphistophélès et Marthe restent seule en scène.

MARTHE.
Ainsi vous voyagez toujour?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Toujours! Dure nécessité, Madame
Sans ami, sans parents! … sans fêmme.
MARTHE.
Cela sied encore aux beaux jours!
Mais plus tard, combien il est triste
De vieillir seul, en égoiste! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
J’ai frémi souvent, j’en conviens,
Devant cette horrible pensée! …
MARTHE.
Avant que l’heurre en soit passée
Digne seigneur, songez-y bien!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
J’y songerai!

Ils s’éloignent. Marguerite et Faust rentrent en scène.

FAUST.
Eh quoi! toujours seule?
MARGUERITE.
Mon frère
Est soldat; j’ai perdu ma mère;
Puis ce fut un autre malheur,
Je perdis ma petite soeur!
Pauvre ange! Elle m’était bien chère! …
C’était mon unique souci;
Que de soins, hélas! … que de peines! …
C’est quand nos âmes en sont pleines
Que la mort nous les prend ainsi! …
S’itôt qu’elle s’éveillait, vite
Il falait que je fusse là!
Elle n’aimait que Marguerite! …
Pour la voir, la pauvre petite,
Je reprendrais bien tout cela! …
FAUST.
Si le Ciel, avec un sourire,
L’avait faite semblable à toi,
C’était un ange! … oui, je le croi! …

Méphistophélès et Marthe reparaissent.

MARGUERITE.
Vous moquez-vous? …
Je ne vous crois pas
Et de moi tout bas
Vous riez sans doute! …
J’ai tord de rester
Pour vous écouter! …
Et pourtant j’écoute! …
MARTHE.
Vous n’entendez pas,
Ou de moi tout bas
Vous riez sans doute!
Avant d’écouter,
Pourquoi vous hâter
De vous mettre en route?
FAUST.
Non je t’admire!
Laisse-moi ton bras! …
Dieu ne m’a-t-il pas
Conduit sur ta route? …
Pourquoi redouter,
Hélas! d’écouter? …
Mon coeur parle; écoute! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Ne m’accusez pas,
Si je dois, hélas!
Me remettre en route.
Faut-il attester
Qu’on voudrait rester
Quand on vous écoute?

La nuit commence à tomber.

MARGUERITE à Faust.
Retirez-vous! … voici la nuit.
FAUST passant son bras autour de la taille de Marguerite.
Chère âme! …
MARGUERITE.
Laissez-moi! …

Elle se dégage et s’enfuit.

FAUST.
Ah! méchante! … on me fuit!

Il la suit.

MÉPHISTOPHÉLÈS à part, tandis que Marthe, dépitée, lui tourne le dos.
L’entretien devient trop tendre!
Esquivons-nous!

Il se cache derrière un arbre.

MARTHE à part.
Comment m’y prendre?

Se retournant.

Eh bien! il est parti! … Seigneur!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Oui! …
MARTHE.
Cher seigneur!

Elle s’éloigne.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Cours après moi!
Ouf! cette vieille impitoyable
De force ou de gré, je croi,
Allait épouser le diable!
FAUST dans la coulisse.
Marguerite!
MARTHE dans la coulisse.
Cher seigneur!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Serviteur!

Scène IX.

Siebel, Marthe, Méphistophélès.

N° 17. Scène.

Siebel ouvre avec précaution la porte du fond et entre en scène.

SIEBEL à demi-voix.
Du courage! …
Je veux tout lui dire!
MARTHE rentrent en scène.
C’est lui!
MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
Non!
MARTHE.
Seigneur! Cher Seigneur!
SIEBEL.
Plaît-il?
MARTHE.
C’est Siebel!
MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
Oui!
MARTHE.
Dans le jardin de Marguerite
Que venez-vous chercher à pareille heure?
Allons, bel amoureux, je vous invite
A nous tourner promptement les talons.
SIEBEL.
Mais? …
MARTHE.
Que diraient les voisins!
Allons vite! montrez-moi le chemin!

À part.

Il sera parti.
MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
Non!
SIEBEL.
Je reviendrai demain. Bonsoir!

Siebel et Marthe sortent par le fond.

Scène X.

MÉPHISTOPHÉLÈS seul.
Il était temps! sous le feuillage sombre
Voici nos amoureux qui reviennent! … c’est bien!
Gardons-nous de troubler un si doux entretien!
O nuit, étends sur eux ton ombre!
Amour, ferme leur âme aux remords importuns!
Et vous, fleurs aux subtils parfums,
Épanouissez-vous sous cette main maudite!
Achevez de troubler le coeur de Marguerite! …

Il s’éloigne et disparaît dans l’ombre.

Scène XI.

Marguerite, Faust.

N° 18. Duo.

MARGUERITE courant vers le Pavillon.
Il se fait tard, adieu!
FAUST l’arrêtant sur les premiers degrés de l’escalier.
Quoi, je t’implore en vain,
Attends, laisse ma main s’oublier dans la tienne!
Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage
Sous la pâle clarté
Dont l’astre de la nuit, comme dans un nuage,
Caresse ta beauté! …
MARGUERITE.
O silence! ô bonheur! ineffable mystère!
Enivrante langueur!
J’écoute et je comprends cette voix solitaire
Qui chante dans mon coeur!
Laissez un peu, de grace! …

Elle se penche et cueille une marguerite.

FAUST.
Qu’est-ce donc?
MARGUERITE.
Un simple jeu!
Laissez un peu!

Elle effeuille la Marguerite.

FAUST.
Que dit ta bouche à voix basse?
MARGUERITE.
Il m’aime! – Il ne m’aime pas! –
Il m’aime! – pas! – Il m’aime! – pas. –
Il m’aime.
FAUST.
Oui! … crois en cette fleur éclose sous tes pas!

Il l’embrasse.

Quelle soit pour ton coeur l’oracle du ciel même!
Il t’aime! … comprends-tu ce mot sublime et doux?
Aimer! porter en nous une ardeur toujours nouvelle!

Prenant Marguerite dans ses bras.

Nous enivrer sans fin d’une joie éternelle!
FAUST ET MARGUERITE.
Éternelle!
FAUST.
O nuit d’amour! … ciel radieux! …
O douces flammes! …
Le bonheur silencieux
Verse les cieux
Dans nos deux âmes!
MARGUERITE.
Je veux t’aimer et te chérir! …
Parle encore!
Je t’appartiens! … je t’adore! …
Pour toi je veux mourir! …
FAUST.
Marguerite! …
MARGUERITE.
Ah! … partez! …
FAUST.
Cruelle!
MARGUERITE.
Je chancelle!
FAUST.
Me séparer de toi, cruelle!
MARGUERITE.
Laissez-moi, partez!

Se c’égageant des bras de Faust.

FAUST.
Par pitié!
MARGUERITE.
Partez! oui, partez vite!
Je tremble! hélas! … j’ai peur!
Ne brisez pas le coeur
De Marguerite!
FAUST.
Tu veux que je te quitte!
Hélas! … vois ma douleur!
Tu me brise le coeur.
O Marguerite!
MARGUERITE.
Si je vous suis chère,
Par votre amour, par ces aveux
Que je devais taire,
Cédez à ma prière! …
Cédez à mes voeux! …
Partez! partez! oui, partez vite!

Elle tombe aux pieds de Faust.

FAUST la relevant doucement.
Divine pureté! …
Chaste innocence,
Dont la puissance
Triomphe de ma volonté! …
J’obéis! … Mais demain! …
MARGUERITE.
Oui demain! … dès l’aurore! …
Demain! … toujours! …
FAUST.
Un mot encore! …
Répète-moi ce doux aveu! …
Tu m’aimes! …
MARGUERITE s’échappe, court au pavillon, s’arrête sur le seuil et envoie un baiser à Faust.
Adieu! …

Elle entre dans le pavillon.

FAUST.
Félicité du ciel! … Ah! … fuyons! …

Il s’élance vers la porte. Méphistophélès lui barre le passage.

Scène XII.

Méphistophélès, Faust.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Tête folle!
FAUST.
Tu nous écoutais?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Par bonheur! …
Vous auriez grand besoin, docteur,
Qu’on vous renvoyât à l’école! …
FAUST.
Laissez-moi! …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Daignez seulement
Ecouter un moment
Ce qu’elle va conter aux étoiles, cher maître! …
Tenez! … Elle ouvre sa fenêtre! …

Scène XIII.

Lés mêmes, Marguerite.

MARGUERITE ouvre la fenêtre du pavillon et s’y appuie un moment en silence, la tête entre ses mains.
Il m’aime! … quel trouble en mon coeur!
L’oiseau chante! … le vent murmure! …
Toutes les voix de la nature
Me redisent en choeur:
Il t’aime! … – Ah! qu’il est doux de vivre! …
Le ciel me sourit; … l’air m’enivre! …
Est-ce de plaisir et d’amour
Que la feuille tremble et palpite? …
Demain? … – Ah! presse ton retour,
Cher bien-aimé! … viens! …
FAUST s’élançant vers la fenêtre et saisissant la main de Marguerite.
Marguerite!
MARGUERITE Elle reste un moment interdite, et laisse tomber sa tête sur l’épaule de Faust.
Ah!
MÉPHISTOPHÉLÈS ouvre la port du jardin et sort en ricanant.
Hein! hein!
Acte quatrième.

La Chambre de Marguerite.

Scène I.

Marguerite, seul.

N° 19. Marguerite au Rouet.

MARGUERITE elle s’approche de la fenêtre et écoute.
Elles ne sont plus là! – Je riais avec elles
Autrefois! …. Maintenant …
VOIX DE JEUNES FILLES dans la rue.
Le galant étranger s’enfuit … et court encor.
Ah! ah! ah!

Elles s’éloignent en riant.

MARGUERITE.
Elles se cachaient! Ah! cruelles!
Je ne trouvais pas d’outrage assez fort
Jadis pour les péchés des autres! …
Un jour vient où l’on est sans pitié pour les nôtres!
Je ne suis que honte à mon tour!
Et pourtant, Dieu le sait, je n’était pas infâme;
Tous ce qui t’entraîna, mon âme,
N’était que tendresse et qu’amour!

Elle s’assied devant son rouet et file.

Il ne revient pas! ….
J’ai peur, je frissonne,
Je languis! … Hélas!
En vain l’heure sonne,
Il ne revient pas!
Où donc peut-il être? …
Seule à ma fenêtre,
Je plonge là-bas
Mon regard! … – Hélas!
Où donc peut-il être? …
Il ne revient pas! …
Je n’ose me plaindre.
Il faut me contraindre!
Je pleure tout bas! …
S’il pouvait, connaître
Ma douleur! … Hélas
Où donc peut-il être?
Il ne revient pas!
Oh! le voir! … Entendre
Le bruit de ses pas!
Mon coeur est si las
Si las de l’attendre! …
Il ne revient pas! …
Mon seigneur! mon maître! …
S’il allait paraître,
Quelle joie! … Hélas!
Où donc peut-il être?
Il ne revient pas! …

Elle laisse tomber sa tête sur sa poitrine et fond en larmes. Le fuseau s’échappe de ses mains.

Scène II.

Siebel, Marguerite.

N° 20. Scène et Récitatif.

SIEBEL.
Marguerite!
MARGUERITE.
Siebel!
SIEBEL.
Encor des pleurs!
MARGUERITE.
Hélas! vous seul ne me maudissez pas.
SIEBEL.
Je ne suis qu’un enfant, mais je le coeur d’un homme.
Et je vous vengerai de son lâche abandon!
Je le tuerai!
MARGUERITE.
Qui donc?
SIEBEL.
Faut-il que je le nomme?
L’ingrat qui vous trahit!

Romance. Supplément de Gounod.

SIEBEL.
Si le bonheur à sourire t’invite,
Joyeux alors, je sens un doux émoi,
Si la douleur t’accable, Marguerite,
Je pleure alors, je pleure comme toi.
Comme deux fleurs sur une même tige
Notre destin suivait le même cours
De tes chagrins en frère je m’afflige,
O Marguerite! comme une soeur je t’aimerai toujours!
MARGUERITE.
Non, taisez-vous!
SIEBEL.
Pardon, vous l’aimez encore?
MARGUERITE.
Oui! Toujours! mais ce n’est pas à vous
De plaindre mon ennui.
J’ai tort, Siebel, de vous parler de lui.

Siebel lui prend la main.

MARGUERITE remerciant Siebel.
Soyez béni, Siebel! votre amitié m’est douce!
Ceux dont la main cruelle me repousse,
N’ont pas fermé pour moi les portes du saint lieu;
J’y vais pour mon enfant … et pour lui prier Dieu!

Elle sort.

Scène III.

Changement de scène: l’église.

Marguerite, Méphistophélès, choeur.

N° 21. Scène de l’Eglise.

MARGUERITE vient et s’agenouille près d’un pilier.
Seigneur, daignez permettre à votre humble servante
De s’agenouiller devant vous!
LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS.
Non!
Tu ne prieras pas! … Frappez-la d’épouvante!
Esprits du mal, accourez tous!
CHOEUR DE DÉMONS.
Marguerite!
MARGUERITE.
Qui m’appelle?
CHOEUR DE DÉMONS.
Marguerite!
MARGUERITE.
Je chancelle! Je meurs!
Dieu bon! Dieu clément!
Est-ce déjà l’heure du châtiment?

Le pilier s’ouvre et laisse voir Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Souviens-toi du passé, quand sous l’aile des anges,
Abritant ton bonheur
Tu venais dans son temple, en chantant ses louanges,
Adorer le Seigneur!
Lorsque tu bégayais une chaste prière
D’une timide voix,
Et portais dans ton coeur les baisers de ta mère,
Et Dieu tout à la fois! …
Écoute ces clameurs! c’est l’enfer qui t’appelle! …
C’est l’enfer qui te suit!
C’est l’éternel remords et l’angoise éternelle
Dans l’éternelle nuit!
MARGUERITE.
Dieu! quelle est cette voix qui me parle dans l’ombre?
Dieu tout-puissant!
Quel voile sombre
Sur moi descend!
CHANT RELIGIEUX.
Quand du Seigneur le jour luira,
Sa croix au ciel resplendira,
Et l’univers s’écroulera …
MARGUERITE.
Hélas! … ce chant pieux est plus terrible encore!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Non,
Dieu pour toi n’a plus de pardon!
Le ciel n’a plus d’aurore! Non, … non!
CHANT RELIGIEUX.
Que dirai-je alors au Seigneur?
Où trouverai’je un protecteur,
Quand l’innocent n’est pas sans peur!
MARGUERITE.
Ah! ce chant m’étouffe et m’oppresse!
Je suis dans un cercle de fer!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Adieu les nuits d’amour et les jour pleins d’ivresse!
A toi malheur! … à toi l’enfer!

Il disparait.

MARGUERITE ET LE CHOEUR RELIGIEUX.
Seigneur, accueillez la prière,
Des coeurs malheureux!
Qu’un rayon de votre lumière
Descende sur eux!
LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS.
Marguerite!
Sois maudite!
MARGUERITE pousse un cri et tombe évanouie sur les dalles.
Ah!
LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS.
A toi l’enfer!

Scène IV.

Changement de scène. La rue. A droite, la maison de Marguerite; à gauche, une église.

Marthe, Siebel; puis Valentin et Soldats.

N° 22. Choeur des soldats.

MARTHE.
Ecoutez! les voici! venez vite!
Sauvez-là, Siebel, j’espère en vous!

Sort.

CHOEUR.
Déposons les armes;
Dans nos foyers enfin nous voici revenus!
Nos mères en larmes
Nos mères et nos soeurs ne nous attendront plus!
VALENTIN apercevant Siebel.
Eh! parbleu! c’est Siebel!
SIEBEL embarrassé.
En effet, je –
VALENTIN.
Viens vite, viens dans mes bras!

Il e’mbrasse.

Et Marguerite?
SIEBEL.
Elle est à l’église, je croi.
VALENTIN.
Oui, priant Dieu pour moi! ….
Chère soeur! comme elle va préter une oreille attentive,
Au récit de nos combats!
LE CHOEUR.
Oui, c’est plaisir, dans les familles,
De conter aux enfants qui frémissent tout bas,
Aux vieillards, aux jeunes filles,
La guerre et ses combats!
Gloire immortelle
De nos aïeux
Sois-nous fidèle,
Mourons comme eux!
Et sous ton aile,
Soldats vainqueurs,
Dirige nos pas, enflamme nos coeurs!
Pour toi, mère patrie,
Affrontant le sort
Tes fils, l’âme aguerrie,
Ont bravé la mort!
Ta voix sainte nous crie:
En avants, soldats!
Le fer à la main, courrez aux combats!
Gloire immortelle
De nos aïeux,
Sois-nous fidèle,
Mourons comme eux!
Et sous ton aille,
Soldats vainqueurs,
Dirige nos pas, enflamme nos coeurs!
Vers nos foyers hâtons le pas!
On nous attend; la paix est faite!
Plus de soupirs! ne tardons pas!
Notre pays nous tend les bras!
L’amour nous rit, l’amour nous fête!
Et plus d’un coeur fremit tous bas
Au souvenir de nos combats!
Gloire immortelle
De nos aïeux,
Sois-nous fidèle,
Mourons comme eux!
Et sous ton aile,
Soldats vainqueurs,
Dirige nos pas, enflamme nos coeurs!

Le choeur s’éloigne.

Scène V.

Valentin, Siebel.

N° 23. Récitatif.

VALENTIN.
Allons, Siebel, entrons dans la maison!
Le verre en main, tu me feras raison!
SIEBEL.
Non! n’entre pas!
VALENTIN.
Pourquoi? tu detourne la tête?
Ton regard fuit le mien! Siebel, explique-toi!
SIEBEL.
Eh bien! … non, je ne puis!
VALENTIN.
Que veux-tu dire?
SIEBEL.
Arrête! Sois clement, Valentin!
VALENTIN.
Laisse-moi! laisse-moi!

Ils entre dans la maison.

SIEBEL.
Pardonne-lui!
Mon Dieu! je vous implore! Mon Dieu! protégez-la!

Scène VI.

Faust, Méphistophélès une guitarre sous son manteau.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Qu’attendez-vous encore?
Entrons dans la maison!
FAUST.
Tais-toi, maudit! … j’ai peur
De rapporter ici la honte et le malheur!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
A quoi bon la revoir, après l’avoir quittée!
Notre présence ailleurs serait bien mieux fêtée!
Le sabbat nous attend!
FAUST.
Marguerite!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Je vois que mes avis sont vains et que l’amour l’emporte!
Mais pour vous faire ouvrir la porte,
Vous avez grand besoin du secours de ma voix.

N° 24. Sérénade.

MÉPHISTOPHÉLÈS écartant son manteau et s’accompagnant de sa guitarre.
Vous qui faites l’endormie
N’entendez-vous pas,
O Catherine, ma mie,
Ma voix et mes pas? …
Ainsi ton galant t’appelle,
Et ton coeur l’en croit! …
N’ouvre la porte, ma belle,
Que la bague au doigt.
FAUST parle.
Par l’enfer, tais-toi!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Catherine que j’adore,
Pourquoi refuser
A l’amant qui vous implore
Un si doux baiser?
Ainsi ton galant supplie
Et ton coeur l’en croit! …
Ne donne un baiser, ma mie,
Que la bague au doigt! …

Scène VII.

Les Mêmes, Valentin.

N° 25. Trio du Duel.

Valentin sort de la maison.

VALENTIN.
Que voulez-vous, Messieurs?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Pardon! mon camerade,
Mais ce n’est pas pour vous qu’était la sérénade!
VALENTIN.
Ma soeur l’écouterait mieux que moi, je le sais!

Il dégaine et brise la guitarre de Méphistophélès d’un coup d’épée.

FAUST.
Sa soeur!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Quelle mouche vous pique?
Vous n’aimez donc pas la musique?
VALENTIN.
Assez d’outrage! … assez! …
A qui de vous dois-je demander compte
De mon malheur et de ma honte? …
Qui de vous deux doit tomber sous mes coups?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Vous le voulez? – Allons, docteur, à vous! …

Ils tirent les épées.

VALENTIN.
Redouble, ô Dieu puissant,
Ma force et mon courage.
Permets que dans son sang
Je lave mon outrage!
FAUST à part.
Terrible et frémissant,
Il glace mon courage!
Dois-je verser le sang
Du frère que j’outrage? …
MÉPHISTOPHÉLÈS.
De son air menaçant,
De son aveugle rage,
Je ris! … mon bras puissant
Va détourner l’orage! …
VALENTIN.
Et toi qui préservas mes jours,
Toi qui me viens de Marguerite,
Je ne veux plus de ton secours,
Médaille maudite! …

Il jette la médaille loin de lui.

MÉPHISTOPHÉLÈS à part.
Tu t’en repentiras!
VALENTIN.
En garde! … et défends-toi! …
MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust.
Serrez-vous contre moi!
Et poussez seulement, cher docteur, moi, je pare.

Valentin tombe.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Voici notre héros étendu sur le sable
Au large maintenant! … au large! …

Il entraîne Faust.

Scène VIII.

Marthe, Valentin, Bourgeois; puis Marguerite et Siebel.

N° 26. Mort de Valentin.

MARTHE ET LE CHOEUR.
Par ici, mes amis! on se bat dans la rue! ….
L’un deux est tombé là, regardez … le voici! …
Il n’est pas encore mort! … on dirait qu’il remue!
Vite, approchons! … il faut le secourir!
VALENTIN.
Merci!
Des vos plaintes, faites-moi grace! …
J’ai vu, morbleu! la mort en face
Trop souvent pour en avoir peur! …

Marguerite parait au fond soutenue de Siebel.

MARGUERITE.
Valentin! Valentin!

Elle tombe à genoux près de Valentin.

VALENTIN.
Marguerite! ma soeur! …
Que me veux-tu?

Il la repousse.

Va-t’en!
MARGUERITE.
O Dieu!
VALENTIN.
Je meurs pour elle! …
J’ai sottement
Cherché querelle
A son amant!
CHOEUR.
Son amant!
SIEBEL.
Grâce! grâce! pour elle!
MARGUERITE.
Douleur cruelle! ô châtiment! …
CHOEUR.
Il meurt pour elle!
SIEBEL.
Grâce, grâce! soyez clément!
CHOEUR.
Il meurt, frappé par son amant!
VALENTIN se soulevant, soutenu par eux qui l’entourent.
Écoute-moi bien, Marguerite:

Solennellement.

Ce qui doit arriver arrive à l’heure dite!
La mort nous frappe quand il faut,
Et chacun obéit aux volontés d’en haut!
Toi! … te voilà dans la mauvaise voie! …
Tes blanches mains ne traveilleront plus!
Tu renîras, pour vivre dans la joie,
Tous les devoirs et toutes les vertus! …
Oses-tu bien encor,
Oses-tu misérable,
Garder ta chaîne d’or? …

Marguerite arrache la chaîne qu’elle porte au cou et la jette loin d’elle.

Va! … la honte t’accable!
Le remords suit tes pas! …
Mais enfin! … l’heure sonne!
Meurs! … et si Dieu te pardonne
Sois maudite ici-bas!
SIEBEL, MARTHE ET LE CHOEUR.
O terreur, ô blasphème,
A ton heure suprème,
Infortuné!
Songe, helas! à toi-même
Pardonne, si tu veux être un jour pardonné! …
VALENTIN.
Marguerite
Sois maudite!
La mort t’attend sur ton grabat! …
Moi, je meurs de ta main, et je tombe en soldat!

Il meurt. On l’emporte dans la maison. Siebel entraine Marguerite éperdue.

CHOEUR.
Que le seigneur ait son âme
Et pardonne au pêcheur! –
Acte cinquième.

Scène I.

Les montagnes du Hartz.

N° 27. La nuit de Walpurgis.

CHOEUR DES FEUX FOLLETS.
Dans les bruyères,
Dans les roseaux,
Parmi les pierres,
Et sur les eaux,
De place en place,
Perçant la nuit,
S’allume et passe
Un feu qui luit!
Alerte! alerte!
De loin, de près,
Dans l’herbe verte,
Sous les cyprès,
Mouvantes flammes,
Rayons glacés,
Ce sont les âmes
Des trépassés!

Méphistophélès et Faust paraissent sur une cime élevée.

FAUST.
Arrête!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
N’as-tu pas promis
De m’accompagner sans rien dire?
FAUST.
Où sommes-nous?
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Dans mon empire!
Ici, docteur, tout m’est soumis.
Voici la nuit de Walpurgis!
CHOEUR.
Voici la nuit de Walpurgis! Hou, hou!
FAUST.
Mon sang se glace!

Il veut fuir.

MÉPHISTOPHÉLÈS le retenant.
Attends! Je n’ai qu’un signe à faire
Pour qu’ici tout change et s’éclaire! …

Scène II.

La montagne s’entr’ouvre et laisse voir un vaste palais resplendissant d’or, au milieu duquel se dresse une table richement servie et entourée des reines et des courtisanes de l’antiquité.

N° 28. Scène et Choeur.

MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust.
Jusqu’aux premiers feux du matin,
A l’abri des regards profanes,
Je t’offre une place au festin
Des reines et des courtisanes! …
CHOEUR.
Que les coupes s’emplissent!
Au nom des anciens dieux,
Que les airs retentissent
De nos accords joyeux!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Reines de beauté
De l’antiquité
Cléopâtre aux doux yeux,
Laïs au front charmant,
Laissez-nous, laissez-nous au banquet
Prendre place un moment
Allons!
Pour guérir la fièvre
De ton coeur blessé,

Offrant une coupe à Faust.

Prends cette coupe et que ta lèvre
Y puise l’oubli du passé! …
FAUST saisit la coupe.
Vains remords, risible folie!
Il est temps que mon coeur oublie!
Donne et buvons, buvons jusqu’à la lie.

Il boit.

N° 29. Chant bachique.

FAUST.
Doux nectar, dans ton ivresse
Tiens mon coeur enseveli!
Qu’un baiser de feu caresse
Jusqu’au jour mon front pâli!
Endors dans ton ivresse
Mon coeur enseveli!
Dans la coupe enchanteresse
Pour jamais je bois l’oubli!
CHOEUR.
O doux nectar!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Dans la coupe etc.
CHOEUR.
Dans la coupe etc.
FAUST.
Volupté, devant tes charmes
Se réveille le désir!
Laisse-nous loin des alarmes
Au passage te saisir,
Déesse, par tes charmes
Réveille le désir!
Et noyons l’amour en larmes
Dans la joie et le plaisir!
CHOEUR.
O volupté!
MÉPHISTOPHÉLÈS ET LE CHOEUR.
Et noyons l’amour en larmes
Dans la joie et le plaisir!

Il écarte tout à coup la coupe de ses lèvres et semble écouter une voix lointaine qui lui parle. Le nom de Marguerite s’échappe de sa bouche, ses genoux fléchissent, ses mains se tendent vers le fantome invisible qui l’appelle. L’ombre se fait peu à peu autour de lui. Les courtisanes disparaissent.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Que ton ivresse, ô volupté
Étouffe le remords en son coeur enchanté!

Scène III.

Changement partiel: La vallée du Brocken.

Faust se relève et jette la coupe loin de lui. Le palais s’écroule avec fracas. Marguerite apparaît sur un rocher.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Qu’as tu donc?
FAUST.
Ne la vois-tu pas
Là, devant nous, muette et blême?
Quel étrange ornement autour de ce beau cou
Un ruban rouge qu’elle cache!
Un ruban rouge étroit comme un tranchant de hache!

L’image de Marguerite disparaît.

Marguerite! … je sens se dresser me cheveux!
Je veux la voir! … Viens! – je le veux!

Il entraîne Méphistophélès et s’ouvre, l’épée à la main, un passage à travers la foule des démons.

Scène IV.

Changement de scène: La prison.

Marguerite, endormie. Faust, Méphistophélès.

N° 30. Scène de la prison.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Le jour va luire. – On dresse l’échafaud.
Décide sans retard Marguerite à te suivre,
Le geôlier dort, – voici les clefs, il faut
Que ta main d’homme la délivre!
FAUST.
Laisse-moi!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Hâte-toi! – Moi, je veille au dehors!

Il sort.

Scène V.

Faust, Marguerite.

FAUST.
Mon coeur est pénétré d’épouvante! – O torture!
O source de regrets et d’éternels remords!
C’est elle! – La voici, la douce créature,
Jetée au fond d’une prison
Comme une vile criminelle!
Le désespoir égara sa raison! …
Son pauvre enfant, ô Dieu! … tué par elle! …
Marguerite!
MARGUERITE séveillant.
Ah! c’est la voix du bien aimé!

Elle se lève.

A son appel mon coeur s’est ranimé.
FAUST.
Marguerite!
MARGUERITE.
Au milieu de vos élats de rire,
Démons qui m’entourez, j’ai reconnu sa voix!
FAUST.
Marguerite!
MARGUERITE.
Sa main, sa douce main m’attire!
Je suis libre, il est là, je l’entends, je le vois!
Oui, c’est toi! je t’aime!
Les fers, la mort même
Ne me font plus peur,
Tu m’as retrouvée,
Me voilà sauvée!
C’est toi, je suis sur ton coeur!
FAUST.
Oui, c’est moi, je t’aime!
Malgré l’éffort même
Du démon moqueur,
Je t’ai rétrouvée!
Te voilà sauvée
Viens, viens sur mon coeur!
MARGUERITE.
Attends! … voici la rue
Où tu m’as vue,
Pour la première fois! …
Où votre main osa presque effleurer mes doigts!
»Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle.
Qu’on vous offre le bras pour faire le chemin?
Non, monsieur, je ne suis demoiselle ni belle,
Et je n’ai pas besoin qu’on me donne la main.«
FAUST.
Oui, mon coeur se souvient!
Mais suis-moi l’heure passe!
MARGUERITE.
Non! … Reste encore! et que ton bras
Comme autrefois au mien s’enlace!
FAUST.
Viens, viens, Marguerite!
MARGUERITE.
Non!
FAUST.
Viens! fuyons!

Il veut l’entrainer.

MARGUERITE.
Non, reste encore!
FAUST.
O ciel! Elle ne m’entend pas!

Scène VI.

Les mêmes, Méphistophélès.

N° 31. Trio-Finale.

MÉPHISTOPHÉLÈS.
Alerte! alerte! ou vous êtes perdus!
Si vous tardez encor je ne m’en mêle plus!
MARGUERITE.
Le démon! le démon! – Le vois-tu? … là … dans lombre
Fixant sur nous son oeil de feu!
Que nous veut-il? – Chasse le du saint lieu!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Quittons ce lieu sombre!
Le jour est levé
De leur pied sonore
J’entends nos chevaux frapper le pavé!

Cherchant à entraîner Faust.

Viens! sauvons-la! Peut’être il en est temps encore.
MARGUERITE.
Mon Dieu, protégez-moi!
Mon Dieu, je vous implore!

Tombant à genoux.

FAUST.
Viens! Fuyons!
MARGUERITE.
Anges purs, anges radieux!
Portez mon âme aus sein des cieux!
Dieu juste, à toi je m’abandonne!
Dieu bon, je suis à toi, pardonne!
FAUST.
Viens, suis-moi, je le veux!
MARGUERITE.
Anges purs, anges radieux!
Portez mon âme au sein des cieux!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Hâtons-nous! – L’heure sonne!
MARGUERITE.
Dieu juste, à toi je m’abandonne!
Dieu bon, je suis à toi! pardonne!
FAUST.
Viens, quittons ces lieux
Déjà le jour envahit les cieux!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Hâtons-nous, de quitter ces lieux,
Déjà le jour envahit les cieux!
MARGUERITE.
Anges purs, anges radieux!
Portez mon âme au sein des cieux!
FAUST.
Marguerite!
MARGUERITE.
Pourquoi ce regard menaçant?
FAUST.
Marguerite!
MARGUERITE.
Pourquoi ces mains rouge de sang?
Va! … tu me fais horreur!

Elle tombe sans mouvement.

FAUST.
Ah!
MÉPHISTOPHÉLÈS.
Jugée!

N° 32. Apothéose.

Sons de cloches de Pâques. Les murs de la prison se sont ouverts. L’âme de Marguerite s’élève dans les cieux. Faust tombe à genoux et prie. Méphistophélès est à demi renversé sous l’épée lumineuse de l’archange.

CHOEUR GÉNÉRAL.
Christ est ressuscité!
Christ vient de renaître!
Paix et félicité
Aux disciples du maître!
Christ vient de renaître!
Christ est ressuscité!

Fin.