Christoph Willibald Gluck
Armide
Drame héroique
Libretto von Philippe Quinault
Uraufführung: 23.09.1777, Opéra, Palais Royal, Paris
Personnages
Armide
Phenice,
Sidonie, ses confidentes
Hidraot, roi de Damas
Renaud, commandant sous Godefroi de Bouillon
Aronte, chef des troupes d’Armide
Artemidore, guerrier
Ubald,
Un chevalier Danois, envoyés du camp des croisés
Un Démon sous la figure de Lucinde
Un Démon sous la figure de Melisse
La furie de la haine
Choeurs et Ballets de furies à sa suite
Choeurs et Ballets du peuple de Damas, de Bergers et Bergères
Furies. Najades. Génies. Zéphyrs etc. etc.
Acte I.
Scene première.
Armide. Phenice. Sidonie.
PHENICE.
Dans un jour de triomphe au milieu des plaisirs,
Qui peut vous inspirer une sombre tristesse?
La gloire, la grandeur, la beauté, la jeunesse,
Tous les biens comblent Vos desirs.
SIDONIE.
Vous inspirez une fatale flâme,
Que Vous ne ressentez jamais
L’amour n’ose troubler la paix
Qui regne dans votre âme.
Quel sort a plus d’appas, quel sort a plus d’appas?
Et qui peut être heureux, si vous ne l’étes pas?
Et qui peut être heureux, si vous ne l’étes pas?
PHENICE.
Si la guerre aujourd’hui fait craindre ses ravages,
C’est aux bords du jourdain qu’ils doivents s’arrêter:
Nos tranquilles rivages
N’ont rien à redouter.
SIDONIE.
Les enfers s’il le faut, prendront pour nous les armes,
Et vous savez leur imposer la loi.
PHENICE.
Vos yeux n’ont eu besoin que de leurs propres charmes,
Pour affoiblir le camp de Godefroy,
SIDONIE, PHENICE.
Ses plus vaillants guerriers contre vous sans défense
Sont tombés en votre puissance, en votre puissance.
ARMIDE.
Je ne triomphe pas du plus vaillant de tous.
Renaud pour qui ma haine a tant de violence
L’imdomptable Renaud échappe a mon courroux
Tout le camp ennemi pour moi devient sensible
Et lui seul, toujours invincible,
Fit Gloire de me voir d’un oeil indifferent.
Il est dans l’âge aimable où sans effort on aime …
Non, je ne puis manquer, sans un dépit extrême
La conquête d’un coeur si superbe et si grand.
SIDONIE.
Qu’importe qu’un Captif manque à votre victoire,
On en voit dans vos fers assez d’autres témoins;
Et pour un esclave de moins, un triomphe si beau
Perdra peu da sa gloire.
PHENICE.
Pourquoi voulez-vous songer
A ce qui peut vous déplaire?
Il est plus sûr de se venger,
Par l’oubli que par la colère.
ARMIDE.
Les enfers ont prédit cent fois,
Que contre ce guerrier nos armes
Seront vaines, et qu’il vaincra
Nos plus grands Rois:
Ah! Qu’il me seroit doux, qu’il me seroit doux, de l’accabler de chaines,
Et d’arrêter le cours de ses exploits!
Que je le hais, que son mépris m’outrage!
Qu’il sera fier d’éviter l’esclavage,
Où je tiens tant d’autres Héros!
Incessamment son importune image
Malgré moi, malgré moi trouble mon repos.
Un songe affreux m’inspire une fureur nouvelle
Contre ce funeste ennemi
J’ai cru le voir, j’en ai fremi
J’ai cru q’uil me frappoit d’une atteinte mortelle,
Je suis tombée aux pieds de ce cruel vainqueur:
Rien, rien ne flechissoit sa rigueur;
Et par un charme inconcevable;
Je me sentois contrainte à le trouver aimable
Dans le fatal moment; qu’il me perçoit le coeur.
SIDONIE.
Vous troublez-vous d’une image legère
Que le sommeil, que le sommeil produit?
Le beau jour qui vous luït, doit dissiper, doit dissiper cette vaine chimère
Ainsi q’uil a détruit les ombres de la nuit.
Ainsi q’uil a détruit les ombres de la nuit.
Scene II.
Hidraot, sa suite, Armide, Phenice, Sidonie.
HIDRAOT.
Armide, que le sang, qui m’unit avec vous,
Me rend sensible aux soins que l’on prend pour vous plaire!
Que votre triomphe est doux!
Que j’aime à voir briller le beau jour qui l’éclaire!
Je n’aurois plus de voeux à faire,
Si vous choississiez un époux
Je vois de près la mort qui me ménace;
Et bientôt l’âge, qui me glace,
Va m’accabler de son pesant fardeau.
Va m’accabler de son pesant fardeau.
C’est le dernier bien où j’aspire
Que de voir votre Hymen promettre à cet empire
Des Rois formés d’un sang si beau
Des Rois formés d’un sang si beau
Sans me plaindre du sort je cesserai de vivre,
Si ce doux espoir peut me suivre
Dans l’affreuse nuit du tombeau,
ARMIDE.
La chaine de l’Himen m’étonne,
Je crains, je crains ses plus aimables noeuds:
Ah! qu’un coeur devient malheureux
Quand la liberté l’abandonne!
Se répete.
HIDRAOT.
Pour vous, quand il vous plait, tout l’enfer est armé;
Vous êtes plus savante en mon art que moi-même,
Des grands Rois à vos pieds mettent leur Diadême,
Qui vous voit un moment, est pour jamais charmé, pour jamais charmé.
Pouvez-vous mieux goûter votre bonheur extrême
Qu‘ avec un époux qui vous aime
Et qui soit digne d’être aimé.
Se répete.
ARMIDE.
Contre mes ennemis à mon gré je dechaine
Le noir empire des enfers,
L’amour met des Roi dans mes fers
Je suis de mille amants maîtresse souveraine
Mais je fais mon plus grand bonheur,
D’être maitresse de mon coeur.
HIDRAOT.
Bornez vous vos désirs à la gloire cruelle
Des maux que fait votre beauté
Ne ferez-vous jamais votre félicité
Du bonheur d’un amaut fidelle?
ARMIDE.
Si je dois m’engager un jour,
Au moins vous devez croire,
Qu’il faudra que ce soit la gloire
Qui livre mon coeur à l’amour.
Pour devenir mon maître
Ce n’est pas assez d’être Roi,
Ce sera la valeur qui me fera connoître
Celui qui mérite ma foi.
Le vainqueur de Renaud,
Si quelqu’un le peut être,
Sera digne de moi.
Scene III.
Troupes de peuples, du Royaume de Damas.
Hidraot, Armide, Phenice, Sidonie.
CHOEUR.
Armide est encore plus aimable
Qu’elle n’est redoutable.
Que son triomphe est glorieux; est glorieux.
Ses charmes les plus forts sont ceux de ses beaux yeux,
Elle n’a pas besoin d’emprunter l’art terrible
Qui sait quand il lui plait faire armer les enfers,
Sa beauté trouve tout possible,
Nos plus fiers ennemis gémissent dans ses fers.
Suivons Armide et chantons sa victoire
Tout l’univers retentit de Sa gloire.
PHENICE chante seule la première fois et Sidonie la seconde fois.
Nos ennemis affoiblis et troublés
N’étendront plus les progrés de leurs armes
Ah quel bonheur! nos désirs sont comblés
Sans nous couter ni de sang ni de larmes.
SIDONIE.
L’ardent amour qui la suit en tous lieux
S’attache aux coeurs qu’elle veut qu’il enflâme
Il est coutent de regner dans ses yeux
Et n’ose encore passer jusqu‘ à son ame.
SIDONIE.
Que la douceur d’un triomphe est extrême
Quand on n’en doit tout l’honneur qu‘ à soi même!
SIDONIE.
Nous n’avons point fait armer nos soldats,
Sans leur secours Armide est triomphante;
Tout son pouvoir est dans ses doux appas
Rien n’est si fort que sa beauté charmante.
SIDONIE.
La belle Armide a sçu vaincre aisément
De fiers Guerriers plus craints que le tonnerre,
Et ses régards ont en un moment
Donné des loix aux vainqueurs de la terre.
Scene IV.
Aronte, Hidraot, Armide, Phenice, Sidonie, Peuple.
ARONTE.
O ciel! o disgrâce cruelle!
Je conduisons vos captifs avec soin
J’ai tout tenté pour vous marquer mon Zêle
Mon sang qui coule en est témoin.
ARMIDE.
Mais où sont mes captifs?
ARONTE.
Un guerrier indomptable les a delivrés tous
ARMIDE, ARONTE.
Un seul guerrier! ciel!
PHENICE, SIDONIE.
Un seul guerrier! que dites-vous? ciel! ciel!
ARMIDE.
Un seul guerrier! que dites-vous? ciel! ciel!
ARONTE.
De nos ennemis c’est le plus redoutable,
Nos plus vaillans soldats sont tombés sous ses coups;
Rien ne peut résister à sa valeur extrême.
ARMIDE.
O ciel! c’est Renaud.
ARONTE.
C’est Lui même.
ARMIDE, PHENICE, SIDONIE, HIDRAOT, ARONTE.
Poursuivons jusqu‘ au trèpas – jusqu’au trépas
L’ennemi qui nous / vous offense
Qu’il n’échappe pas à notre vengeance.
Se répete.
Acte II.
Scene I.
Artemidore, Renaud.
ARTEMIDORE.
Invincible Héros, c’est par votre courage
Que j’échappe aux rigueurs d’un funeste esclavage:
Après ce généreux secours,
Puis-je me dispenser de vous suivre toujours?
RENAUD mesuré et avec majesté.
Allez, allez, remplir ma place
Aux lieux d’où mon malheur me chasse,
Le fier Germand m’a contraint
A punir sa téméraire audace
D’une indigne prison Godefroi me menace,
Et de son camp m’oblige à me bannir
Je meloigne avec contrainte,
Heureux! si j’avois pu consacrer
Mes exploits à delivrer la cité sainte
Qui gémit sous de dures loix.
Suivez les guerriers qu’un beau zêle
Presse de signaler leur valeur et leur foi:
Cherchez une gloire immortelle;
Je veux dans mon exil n’envelopper que moi.
ARTEMIDORE.
Sans vous que peut-on entreprendre?
Celui qui vous bannit ne pourra se deffendre
De souhaiter votre retour.
S’il faut que je vous quitte
Au moins ne puis-je apprendre,
En quels lieux vous allez choisir votre séjour?
RENAUD.
Le répos me fait violence,
La seule gloire a pour moi des appas:
Je prétends d’addresser mes pas,
Où la justice et l’innocence
Auront besoin du secours de mon bras,
Se répete.
ARTEMIDORE.
Fuyez les lieux où regne Armide,
Si vous cherchez à vivre heureux;
Pour le coeur le plus intrepide
Elle a des charmes dangereux,
C’est une ennemie implacable,
Evitez ses ressentimens;
Puisse le ciel à mes voeux favorables
Vous garantir de ses enchantements
RENAUD.
Par une heureuse indifférence
Mon coeur s’est dérobé sans peine à sa puissance.
Je la vis seulement d’un regard curieux
Est-il plus mal aisé d’éviter sa vengeance
Que d’échapper au pouvoir de ses yeux?
J’aime la liberté, rien n’a pu me contraindre;
A m’engager jusqu’a ce jour;
Quand on peut mépriser le charme de l’amour;
Quels enchantemens peut-on craindre?
Scene II.
Armide, Hidraot.
HIDRAOT.
Arrêtons-nous ici, c’est dans ce lieu fatal
Que la fureur qui nous anime
Ordonne à l’empire infernal
De conduire notre victime.
ARMIDE.
Que l’enfer aujourd’hui tarde à suivre nos loix:
Pour achever le charme, il faut unir nos voix.
ARMIDE, HIDRAOT.
Esprits de haine et de rage
Démons obeissez-nous!
Démons obeissez nous!
Livrez à notre courroux:
L’ennemi qui nous outrage
Démons affreux cachez vous
Sous une agréable image,
Enchantez ce fier courage:
Par les charmes les plus doux.
Esprits de haine et de rage
Démons obeissez nous;
Livrez à notre courroux
L’ennemi qui nous outrage
ARMIDE apperçoit Renaud qui s’approche des bords de la rivière.
ARMIDE.
Dans le piège fatal notre ennemi s’engage
HIDRAOT.
Nos soldats sont cachés dans le prochain bocage,
Il faut que sur Renaud ils viennent fondre tous.
ARMIDE.
Cette victime est mon partage,
Laissez moi l’immoler, laissez moi l’avantage
De voir ce coeur superbe expirer de mes coups.
Renaud s’arrête pour considérer les bords du fleuve et quitte une partie des ses armes pour prendre le frais.
Hidraot et Armide se retirent.
Scene III.
RENAUD seul.
Plus j’observe ces lieux et plus je les admire,
Ce fleuve coule lentement et s’éloigne à regret
D’un séjour si charmant.
Les plus aimables fleurs et les plus doux zephirs
Parfument l’air qu’on y respire,
Non je ne puis quitter des rivages si beaux
Un son harmonieux se mêle au bruit des eaux.
Les oiseaux enchantés se taisent pour l’entendre
Des charmes du sommeil j’ai peine à me deffendre
Ce gazon cet ombrage frais
Tout m’invite au repos sous ce feuillage épais.
Il s’endort.
Scene IV.
RENAUT endormi, une Nayade, Trouppe de Nymphes et de Bergères.
Au tems heureux où l’on sait plaire,
Coryphée.
(sait plaire sait plaire)
Qu’il est doux d’aimer tendrement! d’aimer tendrement, d’aimer tendrement.
NAYADE.
Pourquoi dans les perils avec empressement
Chercher d’un vain honneur l’éclat imaginaire?
Coryphée.
(l’éclat imaginaire)
NAYADE.
Pour une trompeuse chimère
(chimère, chimère)
Faut-il quitter un bien charmant? un bien charmant, un bien charmant.
Au tems heureux où l’on sait plaire, sait plaire, sait plaire.
Qu’il est doux d’aimer tendrement.
d’aimer tendrement d’aimer tendrement.
Ah quelle erreur quelle folie –
De ne pas jouir de la vie!
C’est aux jeux, c’est aux amours
Qu’il faut donner les beaux jours.
(Se répete)
On s’étonneroit moins que la saison nouvelle
Revint sans amener les fleurs et les zéphirs
Que de voir de nos ans la saison la plus belle
Sans l’amour et sans les plaisirs.
Laissons au tendre amour la jeunesse pour partage;
La sagesse a son tems, il ne vient que trop tôt;
Ce n’est pas être sage d’être plus sage qu’il ne faut:
Laissons – –
Scene V.
Armide, Renaud endormi.
ARMIDE tenant un dard à la main.
Enfin, il est en ma puissance
Ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur
Le charme du sommeil le livre à ma vengeance,
Je veux percer son invincible coeur.
Par Lui tous mes Captifs, sont sortis d’esclavage
Qu’il éprouve toute ma rage.
Quel trouble me saisit qui me fait hésiter?
Qu’est ce qu’en sa faveur la pitié me veut dire?
Frappons … ciel! qui peut m’arrêter!
Achevons … je frémis! vengeons-nous … je soupire?!
Est-ce ainsi que je dois me venger aujourd’hui!
Ma colère s’éteint quand j’approche de lui
Plus je le vois plus ma fureur est vaine
Mon bras tremblant se refuse à ma haine.
Ah quelle cruauté de lui ravir le jour!
A ce jeune héros tout céde sur la terre.
Qui croiroit qu’il fut né seulement pour la guerre?
Il semble être fait pour l’amour.
Ne puis-je me venger à moins qu’il ne perisse?
Ne me suffit il pas que l’amour le punisse?
Puisqu’il n’a pu trouver mes yeux assez charmans,
Qu’il m’aime au moins par mes enchantemens,
Que s’il se peut, s’il se peut je le haisse.
Venez sécondez mes désirs,
Démons transformez-vous en d’aimables Zéphirs.
Je céde à ce vainqueur, la pitié me surmonte;
Cachez ma foiblesse et ma honte
Dans les plus réculés déserts
Volez, conduisez nous,
Au bout de l’univers
Se répete.
Acte III.
Scene I.
ARMIDE seule.
Ah! si la liberté me doit être ravie,
Est-ce à toi d’être mon vainqueur?
Trop funeste ennemi du bonheur de ma vie
Faut-il que malgré moi tu regnes dans mon coeur?
Le désir de ta mort fut ma plus chère envie,
Comment as-tu changé ma colère en langueur?
Comment, comment? envain de mille amans je me voyois suivie,
Aucun n’a fléchi ma rigueur;
Se peut-il que Renaud, se peut-il que Renaud
Tienne Armide asservie, tienne Armide asservie!
Scene II.
Armide, Sidonie, Phenice.
PHENICE.
Que ne peut point votre art! la force en est extrême,
Quel prodige! quel changement!
Renaud qui fut si fier, vous aime,
On n’a jamais aimé si tendrement.
SIDONIE.
Montrez-vous à ses yeux, soyez témoin vous même
Du merveilleux effet de votre enchantement,
ARMIDE.
L’enfer n’a pas encore rempli mon espérance,
Il faut qu’un nouveau charme assure ma vengeance.
SIDONIE.
Sur des bords séparés du séjour des humains,
Qui peut arracher de vos mains
Un ennemi qui vous adore?
Vous enchantez Renaud, que craignez vous encore
ARMIDE.
Hélas! c’est mon coeur que je crains.
Votre amitié dans mon sort s’interesse
Je vous ai fait conduire avec moi dans ces lieux
Au reste des mortels, je cache ma foiblesse,
Je n’en veux rougir, qu’à vos yeux.
De mes plus doux regards Renaud sçut se deffendre,
Je ne pus engager, ce coeur fier à se rendre
Il m’échappa malgré mes soins,
Sous le nom du dépit l’amour vint me surprendre,
Lorsque je m’en gardois le moins.
Plus Renaud m’aimera, moins je serai tranquille;
J’ai résolu de le haïr:
Je n’ai tenté jamais rien de si difficile;
Je crains que pour forcer mon coeur à m’obéir,
Tout mon art ne soit inutile.
PHENICE.
Que votre art seroit beau! qu’il seroit admiré!
S’il savoit garantir des troubles de la vie!
Heureux qui peut être assuré
De disposer de son coeur à son gré!
C’est un secret digne d’envie;
Mais, mais de tous les secrets, c’est le plus ignoré.
SIDONIE.
La haine est affreuse et barbare;
L’amour contraint les coeurs dont il s’empare,
A souffrir des maux rigoureux:
Si votre sort est en votre puissance,
Faites choix de l’indifference,
Elle assure un repos heureux, elle assure un repos heureux.
ARMIDE.
Non, non, il ne m’est plus possible
De passer de mon trouble en un état paisible,
Mon coeur ne se peut plus calmer.
Renaud, m’offense trop, il n’est que trop aimable,
C’est pour moi désormais un choix indispensable
De le haïr, ou de l’aimer,
PHENICE.
Vous n’avez pu haïr ce héros invincible
Lorsqu’il étoit le plus terrible,
De tous vos ennemis.
Il vous aime, l’amour l’enchaine,
Garderiez-vous mieux votre haine
Contre un amant si tendre et si soumis?
ARMIDE.
Il m’aime! quel amour! ma honte s’en augmente,
Dois-je être aimée ainsi?
Puis-je en être contente!
C’est un vain triomphe, un faux bien,
Hélas! que son amour est different du mien!
J’ai recours aux enfers pour allumer sa flamme,
C’est l’effort de mon art qui peut tout sur mon ame,
Ma foible beauté n’y peut rien.
Par son propre merite il suspend ma vengeance;
Sans secours, sans efforts, même sans qu’il y pense,
Il enchaine mon coeur, d’un trop charmant lien
Hélas! que mon amour est different du sien!
Quelle vengeance ai-je à prétendre
Si je le veux aimer toujours? quoi? céder sans rien entreprendre?
Non, il faut appeller la haine à mon secours.
L’horreur de ces lieux solitaires
Par mon art va se redoubler
Détournez vos regards de mes affreux mistères,
Et surtout empêchez Renaud de me troubler.
Scene III.
ARMIDE seule.
Venez, venez haine implacable,
Sortez du gouffre épouvantable
Où vous faites regner une eternelle horreur.
Venez, venez haine implacable,
Sortez du gouffre épouvantable,
Sauvez-moi de l’amour, sauvez-moi de l’amour,
Rien n’est si redoutable,
Contre un ennemi trop aimable.
Rendez-moi mon courroux, rallumez ma fureur,
Scene IV.
La Haine et sa suite.
LA HAINE.
Je réponds à tes voeux, ta voix s’est fait entendre,
Jusques dans le fond des enfers
Pour toi contre l’amour je vais tout entreprendre
Et quand on veut bien s’en deffendre
On pent se garantir de ses indignes fers.
Plus on connoit l’amour et plus on le déteste
Détruisons son pouvoir funeste
Rompons ses noeuds, déchirons son bandeau,
Brûlons ses traits, éteignons son flambeau,
LA HAINE.
Amours sors pour jamais, sors d’un coeur qui te chasse,
Laisse-moi regner en ta place,
Sors d’un coeur qui te chasse,
Amour sors pour jamais,
Sors d’un coeur qui te chasse,
Laisse-moi regner en ta place;
Sors, sors! tu fais trop souffrir sous ta loi,
Non, tout l’enfer n’a rien de si cruel que toi;
CHOEUR.
Amour sors pour jamais etc, etc, cruel que toi.
ARMIDE.
Arrête, arrête affreuse haine
Laisse moi sous les loix d’un si charmant vainqueur.
Laisse-moi, laisse-moi, je renonce à ton secours horrible
Non, non, n’acheve pas, non il n’est pas possible
De m’ôter mon amour sans m’arracher le coeur.
Sans m’arracher le coeur
LA HAINE.
Sors, sors du sein d’Armide, amour brise ta chaine
Sors du sein d’Armide, sors du sein d’Armide
Amour brise ta chaine, brise ta chaine brise ta chaine
Sors du sein d’Armide, amour brise ta chaine.
LA HAINE.
N’implores tu mon assistance
Que pour mépriser m’a puissance?
Suis l’amour puisque tu le veux,
Infortunée Armide, suis l’amour qui te guide
Dans un abime affreux dans un abime affreux.
CHOEUR.
Suis l’amour puisque tu le veux
Infortunée Armide, suis l’Amour
Qui te guide dans un abime affreux etc. etc.
LA HAINE.
Sur les bords écartés c’est envain que tu caches
Le Héros dont ton coeur s’est trop laissé toucher
La gloire à qui tu l’arrache doit bientôt te l’arracher
Malgré tes soins au mépris de tes larmes
Tu le verra échapper à tes charmes.
LE CHOEUR.
Suis l’affreux etc. etc.
LA HAINE.
Tu me r’appellera peut-être de ce jour
Et ton attente sera vaine
Je vais te quitter sans retour,
Je ne puis te punir d’une plus rude peine
Que de t’abandonner pour jamais à l’amour.
LE CHOEUR.
Suis l’affreux etc. etc.
ARMIDE.
Oh ciel! Quelle horrible menace!
Je frémis tout mon sang se glace
Amour! puissant Amour! viens calmer mon effroi
Et prends pitié d’un coeur qui s’abandonne à toi!
Acte IV.
Scene I.
UBALDE ET LE CHEVALIER DANOIS.
Nous ne trouvons partout que des gouffres ouverts
Armide dans ces lieux transporte les enfers
Ah! que d’objets horribles
Que de monstres terribles.
Est répété.
UBALDE.
Celui qui nous envoie a prévu le danger,
Et nous a montré l’art de nous en dégager.
Ne craignons point Armide ni ses charmes,
Par ce secours plus puissant que nos armes.
Nous en serons aisément garantis.
Laissez-nous un libre passage
Monstres! allez cacher votre inutile rage
Dans les gouffres profonds, d’où vous ètes sortis
LE CHEVALIER DANOIS.
Allons chercher Renaud le ciel nous favorise
Dans notre pénible entreprise
Ce qui peut flater nos désirs,
Doit à son tout tenter, de nous surprendre:
C’est désormais du charme des plaisirs
Que nous aurons à nous deffendre.
LE CHEVALIER DANOIS, UBALDE.
Redoublons nos soins
Se répète.
Gardons-nous des périls agréables
Les enchantemens les plus doux
Sons les plus redoutables.
Ce couplet se répète plusieurs fois.
On voit d’ici le séjour enchanté
D’Armide et du héros qu’elle aime,
Dans ce palais Renaud est arrêté
Par un charme fatal dont la force est extrême
C’est là que ce vainqueur si fier si redoutable
Oubliant tout jusqu’à Lui même
Est reduit à languir avec indignité
Dans une molle oisiveté.
LE CHEVALIER.
Envain tout l’enfer s’interesse
Dans l’amour qui séduit un coeur si glorieux:
Si sur ce bouclier Renaud tourne les yeux,
Il rougira de sa foiblesse
Et nous l’engagerons à partir de ces lieux.
Scene II.
Un Démon sous la figure de Lucinde.
Les Démons transformés en Habitans champêtres.
LUCINDE.
Voici la charmante retraite
De la félicité parfaite;
Voici l’heureux séjour
Des jeux de l’amour;
Tout le vers se répète.
UBALDE.
Allons qui vous retient encore?
Allons c’est trop nous arrêter
LE CHEVALIER.
Je vois la beauté que j’adore
C’est elle je n’en puis douter.
LUCINDE.
Jamais dans ces beaux lieux, notre attente n’est vaine
Le bien que nous cherchons se vient offrir à nous
Et pour l’avoir trouvé sans peine
Nous ne l’en trouvons pas moins doux.
Se répète plusieurs fois.
LE CHOEUR.
Voici la charmante retraite etc. etc.
LUCINDE.
Enfin je vois l’amant pour qui mon coeur soupire,
Je retrouve le bien que j’ai tant souhaité
LE CHEVALIER.
Puis-je voir ici la beauté qui m’a soumis à son empire?
UBALDE.
Non, ce n’est qu’un charme trompeur, dont il faut garder votre coeur.
LE CHEVALIER.
Si loin des bords glacés où vous prites naissance,
Qui peut vous offrir à mes yeux?
LUCINDE.
par une magique puissance
Armide m’a conduite en ces aimables lieux,
Et je vivois dans la douce espérance
De voir bientôt ce que j’aime le mieux.
UBALDE.
Fuyez, faites-vous violence
LUCINDE.
Goûtons les doux plaisirs que pour nos coeurs fidelles
Dans cet heureux séjour l’amour a préparés.
Le devoir par des loix cruelles
Ne Nous a que trop séparés.
UBALDE.
Fuyez, faites-vous violence.
LE CHEVALIER.
L’amour ne le permet pas
Contre de si charmans appas
Mon coeur est sans défense.
UBALDE.
Est-ce là cette fermeté
Dont vous vous ètes tant vanté?
LUCINDE ET LE CHEVALIER.
Jouissons d’un bonheur extrême
He! quel autre bien peut valoir le plaisir
De voir ce qu’on aime.
UBALDE.
Malgré la puissance infernale
Malgré vous même il faut vous détromper,
Ce sceptre d’or peut dissiper
Une erreur si fatale.
Scene III.
Le Chevalier Dunois, Ubalde.
LE CHEVALIER.
Je tourne envain les yeux de toutes les parts,
Je ne vois plus cette beauté si chère.
Elle échappe à mes regards
Comme une vapeur légère.
UBALDE.
Ce que l’amour a de charmant
N’est qu’une illusion qui ne laisse aprés elle,
Qu’une honte éternelle.
Ce que l’amour a de charmant
N’est qu’un funeste enchentement.
LE CHEVALIER.
Je vois le danger, ou s’expose,
Un coeur qui ne fuit pas un charme si puissant.
Que vous ètes heureux, si vous ètes exempt
Des foiblesses que l’amour cause.
UBALDE.
Non je n’ai point gardé mon coeur jusqu’à ce jour,
Près de l’objet que j’aime il m’étoit doux de vivre.
Mais quand la gloire ordonne de la suivre
Il faut laisser gémir l’amour.
Des charmes les plus forts la raison me dégage.
Rien ne nous doit ici retenir davantage,
Profitons des conseils que l’on nous a donnés.
Scene IV.
Un Démon sous la figure de Melisse, Ubald, le Chevalier Dunois.
MELISSE, UBALDE.
D’où vient que vous vous détournez
De ces eaux et de cet ombrage?
Goutez un doux répos, étrangers fortunés!
Délassez-vous ici d’un pénible voyage
Un favorable sort vous appelle au partage
Des biens qui nous sont destinés,
Est-ce vous cher amant est-ce vous que je vois?
Au rapport de mes yeux je n’ose ajouter foi,
Se peut-il qu’en ces lieux l’amour nous réunisse?
Est-ce vous cher amant, est-ce vous que je vois?
LE CHEVALIER.
Non ce n’est qu’un charme trompeur
Dont il faut garder votre coeur.
Fuyez faites-vous violence.
MELISSE.
Pourquoi faut-il encore m’arracher mon amant?
Faut-il ne Vous voir qu’un moment
Aprés une si longue absence?
Je ne puis consentir à votre éloignement.
Je n’ai que trop souffert, un si cruel tourment
Et je mourrai s’il recommence.
LE CHEVALIER.
Est-ce là cette fermeté
Dont vous vous étes tant vantée
Sortez de votre erreur la raison vous appelle
UBALDE.
Ah! que la raison éternelle
Si je suis abusé pourquoi m’en avertir?
Que mon erreur me paroit belle!
Que je serois heureux de n’en jamais sortir!
LE CHEVALIER.
J’aurai soin malgré vous de vous en délivrer
Le Chevalier touche Mélisse.
UBALDE.
Que devient l’objet qui m’enflamme?
Melisse disparoit soudain:
Ciel! faut-il qu’un fantôme vain
Cause tant de trouble à mon ame?
LE CHEVALIER.
Ce que l’amour a de charmant
N’est qu’une illusion qui ne laisse après elle
Qu’une honte éternelle;
Ce que l’amour a de charmant
N’est qu’un funeste enchantement,
D’une nouvelle erreur songeons à nous deffendre,
Evitons de trompeurs attraits
Ne nous détournons point du chemin qu’il faut prendre
Pour arriver à ce Palais.
LE CHEVALIER, UBALDE.
Fuyons les douceurs dangereuses
Des illusions amoureuses
On s’égare quand on les suit.
Heureux qui n’en est pas séduit!
Se répète plusieurs fois.
Acte V.
Scene I.
Renaud, Armide.
RENAUD.
Armide! Vous m’allez quitter?
ARMIDE.
J’ai besoin des enfers, je vais les consulter
Mon art veut de la solitude
L’amour que j’ai pour vous, cause l’inquétude
Dont mon coeur se sent agiter.
RENAUD.
Armide vous m’allez quitter?
ARMIDE.
Voyez en quel lieux je Vous laisse.
RENAUD.
Puis-je rien voir que Vos appas?
ARMIDE.
Les plaisirs Vous suivront sans cesse.
RENAUD.
En est-il où Vous n’étes pas?
ARMIDE.
Un noir pressentiment me trouble et me tourmente;
Il m’annonce un malheur que je veux prévenir,
Et plus notre bonheur m’enchante,
Plus je crains de le voir finir.
RENAUD.
D’une vaine terreur pouvez-vous être atteinte,
Vous qui faites trembler le ténebreux Séjour?
ARMIDE.
Vous m’apprenez à connoître l’amour
L’amour m’apprend à connoître la crainte.
Vous bruliez de la gloire, avant que de m’aimer
Vous la cherchiez partout d’une ardeur sans égale
La gloire est une rivale
Qui doit toujours m’allarmer.
RENAUD.
Que j’étois insensé de croire
Qu’un vain laurier donné par la victoire
De tous les biens fut le plus précieux!
Tout l’éclat dont brille la gloire
Vaut-il un regard de vos yeux?
Est-il un bien si charmant et si rare
Que celui dont l’amour veut combler mon espoir?
ARMIDE.
La sévère raison et le devoir barbare
Sur les Héros n’ont que trop de pouvoir.
RENAUD.
J’en suis plus amoureux plus la raison m’éclaire
Vous aimer belle Armide! est mon premier devoir
Je fais ma gloire de Vous plaire
Et tout mon bonheur de vous voir.
ARMIDE.
Que sous d’aimables loix mon ame est asservie!
RENAUD.
Qu’il m’est doux de vous voir partager ma langueur.
ARMIDE.
Qu’il m’est doux d’enchainer un si fameux rainqueur!
RENAUD.
Qui mes fers sont dignes d’envie!
ARMIDE.
Aimons-nous, aimons nous tout nous y convie
Ah! si vous aviez la rigueur de m’ôter votre coeur,
Vous m’ôteriez la vie.
Non je perdrai plutôt le jour
Que d’éteindre ma flame
Non rien ne peut changer mon ame
Non, non je perdrai plutôt le jour
Que de me dégager d’un si charmant amour.
Est répété plusieurs fois.
ARMIDE.
Témoins de notre amour extrême,
Vous, qui suivez mes loix dans ce séjour
Heureux jusqu’à mon retour
Par d’agréables jeux occupez le héros que j’aime.
Scene II.
RENAUD, LES PLAISIRS, TROUPE D’AMANTS FORTUNÉS.
Les plaisirs ont choisi pour azile,
Ce séjour agréable et tranquille.
Que ces lieux sont charmants
Pour les heureux amants!
C’est l’amour qui retient dans ces chaines,
Mille oiseaux qu’en nos bois nuit et jour on entend.
Le choeur le répete.
ARMIDE.
Si l’amour ne causoit que des peines
Les oiseaux amoureux ne chanteroient par tant.
Le choeur le repéte plusieurs fois.
Jeunes coeurs! jeunes coeurs! tout vous est favorable,
Profitez, d’un bonheur peu durable;
Dans l’hyver de nos ans l’amour ne règne plus
Las beaux jours que l’on perd sont pour jamais perdus.
Est répète.
RENAUD.
Allez éloignez vous de moi
Doux plaisirs! attendez qu’Armide vous raméne.
Sans la beauté qui me tient sous sa loi
Rien ne me plait; tout augmente ma peine.
Il y a une répétition.
Scene III.
Renaud, Ubalde, le Chevalier Dunois.
UBALDE.
Il est seul profitons de ce tems précieux
RENAUD.
Que vois je quel éclat me vient frapper les yeux?
UBALDE.
Le ciel veut vous faire connoître
L’erreur dont vos sens sont séduits
RENAUD.
Ciel quelle honte de paroître
Dans l’indigne état où je suis!
UBALDE.
Notre Général Vous rappelle;
La victoire vous garde une palme immortelle,
Tout doit presser Votre retour;
De cent climats divers chacun court à la guerre,
Renaud seul, au bout de la terre
Caché dans un charmant séjour,
Veut suivre un honteux amour!
RENAUD.
Vains ornemens d’une indigne mollesse,
Ne m’offrez plus vos frivoles attraits:
Restez honteux de ma foiblesse
Allez allez quittez moi pour jamais.
Allez quittez moi, quittez moi pour jamais.
LE CHEVALIER.
Dérobez-vous aux pleurs d’Armide,
C’est l’unique danger donc votre ame intrépide
A besoin de se garantir
Dans ces lieux enchantés la volupté préside,
Vous n’en sauriez trop tôt sortir,
RENAUD, LE CHEVALIER ET UBALDE ENSEMBLE.
Allons hâtons nous de partir.
Hâtons nous de partir.
Scene IV.
Armide, Renaud, Ubalde, le Chevalier, Dunois.
ARMIDE.
Renaud! ciel! o mortelle peine!
Vous partez Renaud, vous partez?
Démons! suivez ses pas
Volez et l’arrêtez! Hélas!
Tout me trahit et ma puissance est vaine
Renaud! ciel! o mortelle peine!
Mes cris ne sont pas écoutés
Vous partez, Renaud! vous partez?
Si je ne vous vois plus, croyez vous que je vive?
Ai-je pu mériter un si cruel tourment?
Du moins comme ennemi, si ce n’est comme amant
Emmenez Armide captive.
J’irai dans les combats
J’irai m’offrir aux coups
Qui seront destinés pour vous.
Renaud! pourvu que je vous suive,
Le sort le plus affreux me paroîtra trop doux.
RENAUD.
Armide il est tems que j’évite
Le péril trop charmant que je trouve à vous voir,
La gloire veut que je vous quitte;
Elle ordonne à l’amour de céder au devoir.
Si vous souffrez vous pouvez croire,
Que je m’éloigne à regrèt de vos yeux,
Vous regnerez toujours dans ma mémoire
Vous serez après la gloire ce que j’aimerai la mieux.
ARMIDE.
Non, jamais de l’amour tu n’as senti le charme.
Tu te plais à causer de funestes malheurs;
Tu m’entends soupirer tu vois couler mes pleurs
Sans me rendre un soupir, sans verser une larme.
Par les noeuds les plus doux je te conjure envain;
Tu suis un fier devoir, tu veux qu’il nous sépare,
Non, non ton coeur n’a rien d’humain
Le coeur d’un Tigre est moins barbare.
Je mourrai si tu pars et tu n’en peux douter
Ingrat! sans toi, sans toi je ne puis vivre!
Mais après mon trépas ne crois pas éviter
Mon ombre obstinée à te suivre!
Tu la verras s’armer contre ton coeur cent fois,
Tu la trouveras inflexible
Comme tu l’as été pour moi
Et sa fureur s’il est possible
Egalera l’amour dont j’ai brulé pour toi.
Ah! la lumière m’est ravie!
Barbare est tu content?
Tu jouis en partant
Du plaisir de m’ôter la vie.
RENAUD.
Trop malheureuse Armide, trop malheureuse Armide: hélas!
Que ton destin est déplorable!
LE CHEVALIER, UBALDE.
Il faut partir, hatez vos pas!
La gloire attend de vous un coeur inébranlable.
RENAUD.
Non, la gloire n’ordonne pas qu’un grand coeur soit impitoyable.
LE CHEVALIER, UBALDE.
Il faut vous arracher aux dangereux appas d’un objet trop aimable.
RENAUD.
Trop malheureuse Armide! hélas! que ton destin est déplorable.
Scene dernière
ARMIDE seule.
Le perfide Renaud me fuit,
Tout perfide qu’il est mon lâche coeur le suit
Il me laisse mourante, il veut que je périsse
A regret je vois, la clarté qui me luit
L’horreur de l’éternelle nuit
Cede à l’horreur de mon supplice.
Quand le barbare étoit en ma puissance
Que n’ai-je crû la haine et la vengeance?
Que n’ai-je suivi leurs transports?
Il m’échappe, il s’éloigne, il va quitter ces bords,
Il brave l’enfer et ma rage,
Il est déja prés du rivage
Je fais pour m’y trainer d’inutiles efforts.
Traitre attends! je le tiens, je tiens son coeur perfide,
Ah! ah! je l’immole, je l’immole à ma fureur!
Que dis-je? Où suis je? hélas! infortunée Armide!
Où t’emporte une aveugle erreur?
L’espoir de la vengeance est le seul qui me reste!
Fuyez plaisirs! fuyez, perdez tous vos attraits!
Démons! détruisez ce Palais,
Partons et s’il se peut que mon amour funeste
Demeure ensêveli dans ces lieux pour jamais!
Fin.